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Drogue

Profession : dealeuse

En France, l’immense majorité des vendeurs de stupéfiants sont des hommes. Dans cet univers aux codes virilistes, pas facile pour une femme de se faire une place. Entre harcèlement sexuels et clichés sexistes.
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Illustration : Bobby Dollars pour Vice FR  

Dans l’imaginaire collectif, le dealeur est un homme. Logique : en France, les femmes représentent à peine 8% des personnes interpelées par la police pour vente de stupéfiants. Mais cela ne signifie pas qu’elles sont absentes du trafic, comme l’explique Kathia Barbier, chercheuse au Centre de recherche sociologiques sur le droit et les institutions pénales, et qui a consacré sa thèse à la place des femmes dans les procédures pénales en matière de stupéfiants : « J’ai de sérieuses raisons de penser que l’on sous-estime le nombre de femmes actives dans l’économie de la drogue ». À ses yeux, c’est lié à des facteurs culturels : « Les stéréotypes de genre sont très présents dans la culture policière. Tout particulièrement chez les hommes, qui sont d’ailleurs surreprésentés au sein de l’institution. Les femmes impliquées, de près ou de loin, dans les trafics, bénéficient d’une forme de clémence liées à leur sexe ».

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Clairement, dans la tête d’un flic, une femme évoluant dans le milieu de la drogue ne peut-être qu’une « petite main » exploitée par un gros bonnet. Pourtant, celles que nous avons rencontrées sont bel et bien à la tête de leur business, petit ou gros. Et de fait, elles bénéficient d’un avantage indéniable : elles passent plus facilement inaperçues que leurs homologues masculins. Mais être une femme dans un univers aux codes aussi virilistes a bien d’autres inconvénients. En premier lieu, en évoluant dans un monde essentiellement masculin, elles sont très exposées au harcèlement sexuel. Pas tant de la part des clients, comme l’explique Sophie, la vingtaine, qui vend depuis trois ans du cannabis dans son appartement de Bordeaux pour se « faire un peu d’argent » en parallèle de ses études d’arts : « Les clients sont plutôt surpris, et même impressionnés de voir une meuf qui deale. Certains ont essayé de me draguer, mais ça n’est jamais allé plus loin. Ils n’osent pas : ils savent que c’est moi qui ait ce qu’ils veulent ». Homme ou femme, le dealer est presque toujours en position de force dans la relation marchande : c’est lui (ou elle, donc) qui détient le produit illicite – et donc difficile d’accès – que le client souhaite acquérir.

« Certains fournisseurs pensant que s’ils te filent de la drogue moins cher, tu vas coucher avec eux. Ils te prennent pour une pute, quoi ! » – Sophie, dealeuse de cannabis

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Non, ce sont les fournisseurs que les dealeuses craignent le plus. Sophie raconte ainsi qu’ils n’hésitent pas commenter le physique de cette jolie brune et à lui faire des propositions sexuelles : « Certains pensent que s’ils te filent de la drogue moins cher, tu vas coucher avec eux. Ils te prennent pour une pute, quoi ! ». Mais cela peut aller bien plus loin : Nadia a été violée à l’âge de 16 ans en allant acheter du cannabis auprès de fournisseurs, dans une petite commune de Nouvelle-Aquitaine. Cette grande blonde aux yeux bleus a commencé à en fumer très jeune et n’ayant pas les moyens de financer sa consommation, elle s’est mise à dealer auprès de ses potes. Au départ, elle se fournissait toujours auprès du même grossiste de confiance, jusqu’à ce qu’il se fasse arrêter par la police. Du coup, elle s’est tournée vers un groupe de dealeurs de rue qu’elle ne connaissait pas. L’un deux lui a demandé de le suivre et l’a violée. Lorsqu’elle a porté plainte, l’année dernière, la police a considéré que le fait qu’elle ait été impliquée dans un trafic de drogue jouait en sa défaveur…

Les violences et le harcèlement sexuel peuvent aussi venir des dealers avec qui la vendeuse est en concurrence. Alice, 27 ans, les bras recouverts de tatouages, vend de la cocaïne, du cannabis et de l’ecstasy depuis plusieurs années, dans son appartement, à Toulouse. Ses amis, sa soeur et son petit ami savent qu’elle deale, et lui achètent régulièrement des produits. Alice, qui a arrêté l’école à 16 ans, trouve dans les revenus du deal un moyen de subvenir à ses besoins car, explique-t-elle, « avec juste le RSA, je ne m’en sors pas ». Avant de dealer en appartement, ce qui lui offre une certaine « tranquillité », elle est passée par le deal de rue et vendait sur une place de la ville, aux côtés d’autres hommes avec qui elle était en concurrence – et qui l’ont harcelée quotidiennement : « Ils disaient que je couchais avec mes clients pour qu’ils reviennent. Et me demandaient si, eux aussi, pouvaient me passer dessus ».

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« On va penser que la femme est moins connaisseuse, que sa drogue est moins bonne, qu’elle tient moins bien les produits… » – Marina, ex-dealeuse de cannabis

Les dealeuses le savent : le monde du deal peut être violent. Les femmes se font rarement agresser, car les dealers trouvent rabaissant de lever la main sur « le sexe faible ». Mais les dealeuses sont souvent menacées, parce que les hommes pensent qu’elles sont plus impressionnables. Philippe, 30 ans, qui deale de la cocaïne dans son appartement de la région parisienne depuis douze ans, résume bien la situation : « il y aura toujours des mecs misogynes qui vont se dire : "Une meuf ne devrait pas faire ça donc je vais la carotte" ».

Et puis, quand on est une femme dans le deal, on est souvent considérée comme une « éternelle pigeonne », pour reprendre les mots de Néo. Cette jeune femme de 25 ans, piercing au sourcil et cheveux courts, vend du cannabis dans son appartement du 92 depuis quelques mois : « Tous mes potes le faisaient, ça avait l’air facile, donc, je me suis lancée ». Elle lève les yeux au ciel : aujourd’hui, elle sait que le deal pour une femme n’a rien de simple. Elle vend seulement des petites quantités et n’en retire pas beaucoup d’argent. Mais elle ne veut pas renoncer et a récemment décidé de se mettre à la boxe : « Comme ça j’ai pas besoin de m’armer quand je vend, l’arme c’est moi. » Marina est la petite soeur d’Alice. Elle connaît bien le milieu du deal pour avoir suivi sa sœur dans ses activités et revendu de la marijuana à Bordeaux pour dépanner les copains. Clope au bec et mojito à la main, l’étudiante résume parfaitement les préjugés sexistes – somme toute très banals – qui pèsent sur les dealeuses : « On va penser que la femme est moins connaisseuse, que sa drogue est moins bonne, qu’elle tient moins bien les produits, qu’on pourrait peut-être l’enculer plus facilement parce que c’est une fille et qu’elle est faible… Bref, qu’elle n’est pas capable de gérer ».

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Conséquence directe : les femmes dealeuses subissent bien plus souvent que leurs confrères des tentatives d’escroquerie. Sophie explique que, comparée à ses collègues masculins, elle doit faire deux fois plus attention : « Quand je vais acheter ma cargaison à mes grossistes, je pèse tout sous leurs yeux évidemment. Et régulièrement, il manque cent ou deux-cents grammes… Alors que pour les mecs, y a toujours le poids ! ».

« Quand je deale, j’accentue une part de virilité » – Néo, dealeuse de cannabis

Quand Alice rencontre ses clients, elle recompte minutieusement les billets car elle s’est déjà fait avoir : « Une fois, un client de confiance est venu m’acheter vingt grammes de beuh. Comme je le connaissais bien, je n’ai pas compté l’argent devant lui. Après son départ, je me suis apercue qu’il manquait cinquante euros. Il n’aurait jamais tenté ça avec mes collègues mecs : il aurait eu trop peur de se faire casser la gueule ».

Les dealeuses doivent donc davantage que les hommes montrer qu’elles s’y connaissent et qu’elles ne sont pas impressionnables. Néo raconte que lorsqu’elle deale, elle « accentue une part de virilité ». Marina m’affirme qu’avant même que le rapport marchand ait commencé, « il faut pallier au fait d’être une femme en cherchant à en imposer, à s’affirmer, plus que ne le ferait un mec ». Bref, surtout de ne pas donner l’impression d’être une fille fragile, quitte à perpétuer les stéréotypes qu’elles sont les premières à dénoncer.

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