syndrome Diogene
Photo via Wikimedia Commons – montage : VICE
Société

Des amours asphyxiés par le syndrome de Diogène

On a cherché l’amour au milieu d’appartements insalubres, d’objets entassés et de piles de déchets.

Une dizaine d’années en arrière, Bastien était du genre à lustrer les contours de ses fenêtres au coton-tige. Mais après la perte de son emploi, une rupture et une dépression, son attrait pour les produits ménagers et les plumeaux Swiffer s’est complètement inversé. « J’arrivais à rien jeter, je récupérais des déchets à droite, à gauche, aux encombrants. Un jour, la poubelle était pleine et j’ai pas pu la sortir parce que j’avais mis trop de choses derrière ma porte d’entrée. J’ai commencé à poser des cartons par terre et ma cuisine a fini par être inaccessible. C’était un vrai calvaire mais je me suis adapté, j’ai mangé froid pendant deux ans », retrace-t-il. Après quelques années, l'association Survivre à l'insécurité l'a aidé à vider son appartement, pour un retour à la normale à la fois discret et empathique.

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Désormais guéri, Bastien a vécu pendant huit ans avec le syndrome de Diogène, un trouble du comportement qui conduit à l’accumulation compulsive d’objets ou de déchets. Le déni faisant partie des symptômes, le diagnostic et la prise en charge peuvent survenir tardivement – s’ils arrivent un jour – laissant le temps au syndrome d’abîmer la santé physique et mentale, les relations sociales et le rapport à l’hygiène des personnes qui en souffrent. Là où Diogène envahit l’espace et ronge l’image de soi, que reste-t-il pour les liens affectifs, amoureux et sexuels ?

Relations à durée déterminée

À l’inverse d’un·e collectionneur·se, une personne touchée par Diogène n’accumule ni pour le plaisir, ni pour montrer ses objets avec fierté. Enclenchée par un trouble comportemental, l’accumulation génère plutôt un sentiment de honte qui pousse les personnes en question à l’isolement. « J’ai vécu reclus pendant huit ans, remet Bastien. Quand quelqu’un passait devant chez moi je baissais la télé pour faire comme si j’étais absent, et avant de sortir j’écoutais à la porte pour vérifier que personne n’était sur le palier. Il était hors de question que quelqu’un voie mon appartement. »

Pendant cette période, il connaît trois relations avec des femmes : « Je me présentais chez elles le week-end propre sur moi, j’avais un petit sac à dos, j’étais joyeux, hyperactif, impliqué dans l’associatif… Elles ne pouvaient pas imaginer que mon appartement était bourré de déchets. » Pour cacher cet aspect de sa vie, le Seine-et-Marnais s’emploie à ne jamais inviter ses fréquentations chez lui. Lorsque l’une d’elles prend un aller-retour Nancy-Paris pour le voir, il esquive son cauchemar en lui proposant une nuit à l’hôtel. 

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« J’avouais que mon appartement était un bordel inimaginable, mais j’ai jamais accepté l’aide que l’une d’elles m’a proposée, poursuit-il. Ça aurait été trop humiliant, je n’aurais plus pu la regarder dans les yeux. » À la longue, son refus catégorique d’inviter ses copines chez lui finit par bloquer. Diogène plane au-dessus des histoires d’amour de Bastien et leur assène une date de péremption : elles durent quelques mois, un an tout au plus. « L’une d’elles m’a quitté parce que je pouvais pas la recevoir et, quand je me suis retrouvé au pied du mur dans mes autres relations, j’ai trouvé une excuse pour rompre. »

Déplacer des montagnes pour dater

Avec Diogène dans l’équation, ce ne sont pas seulement les relations de couple qui se compliquent. Un simple date peut demander de déplacer des montagnes de déchets, littéralement. À Paris, Laurence Hugonot-Diener, psychogériatre et co-autrice du livre Le syndrome de Diogène - Comprendre et soigner suit une centaine de patient·es Diogène, parmi lesquels une femme d’une quarantaine d’années. La spécialiste l’a accompagnée lors du nettoyage de son appartement en vue de rencontrer un homme avec qui elle flirtait sur internet. « Elle vivait avec des dizaines de chats dans son studio dont un tiers étaient morts. On a tout fait débarrasser par une entreprise et à chaque fois que l’un des chats était emmené, elle pleurait. Elle a finalement pu accueillir cet homme chez elle », se souvient la psychogériatre de ce rendez-vous à la préparation plus intense que la moyenne.

Si l’on dispose de peu de chiffres sur la vie affective et sexuelle des personnes touchées par Diogène, Laurence Hugonot-Diener remarque des similitudes dans les parcours qu’elle suit, et l’amour en fait rarement partie. « Peu de couples résistent à ça, c’est une épreuve de couple et de famille », appuie-t-elle. Les rares couples qu’elle rencontre s'inscrivent souvent dans deux schémas de pensée : « Soit le conjoint ne s’est pas encore rendu compte du désastre ou ne l’a pas accepté comme le sien, soit il vient chercher de l’aide. Dans ce cas, je suis vécue comme une bouée de sauvetage dans leur relation. »

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« Quand je le vois revenir d’Emmaüs, je suis prise d’angoisses. » 

Il arrive aussi que l’amour soit plus fort que les encombrants, et ce sans durée déterminée. Patricia*, retraitée, vit avec son conjoint atteint du syndrome de Diogène – comme elle le suspecte puisqu’il nie tout comportement pathologique – avec qui elle a eu un fils de 25 ans. Quand elle l’a rencontré, il lui était inconcevable que « son bordel devienne aussi le [sien] » : « Il avait un appartement en couches sédimentaires, il stratifiait tous les objets inutiles qu’il trouvait et achetait. C’était des vieux échantillons de collants, des cendriers alors qu’il ne fume pas, des présentoirs à cartes postales… Il ne supporte pas qu’un objet soit abandonné donc il récupère tout. »

Depuis leur vie commune, Patricia a vu son espace vital s’amenuiser au profit des phases d’accumulation de son partenaire. Le trouble de ce dernier pèse sur leur vie quotidienne – à travers des conflits à répétition – sur leurs vacances – lorsqu’il veut absolument voyager en voiture pour s’arrêter dans tous les Emmaüs environnants – et sur la santé mentale de ses proches. 

« Quand je le vois revenir d'Emmaüs, je suis prise d’angoisses, admet Patricia. Il ne supporte pas qu’il y ait un petit espace vide alors il l’occupe immédiatement. C’est très pénible pour les autres parce qu’on associe cet encombrement à un sentiment d’étouffement que l’on déplace sur lui. Il arrive que sa présence m’étouffe, alors on se sépare pour quelques jours. Le 24h sur 24, 365 jours par an serait impossible. »

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Diviser l’espace selon Diogène

Si la Lyonnaise est restée auprès de son partenaire malgré Diogène c’est grâce à ces respirations régulières, mais aussi parce qu’elle a trouvé une sorte d’arrangement pour empêcher leur logement de crouler sous la récup’. Son compagnon et elle ayant respectivement hérité de maisons familiales, les objets sont entreposés là-bas autant que possible. C’est d’ailleurs ce que conseille Laurence Hugonot-Diener aux couples qui composent avec Diogène :« Si la personne ne reconnaît pas le problème, inutile d’insister. Mais on peut lui dire que l’on veut l’aider à aller bien, l’amener à consulter un·e spécialiste du sujet ou trouver des arrangements, comme en conservant une ou deux pièces dans le domicile qui ne seraient pas touchées par l’accumulation. »

Quant aux répercussions sur la famille et les enfants, difficile de faire des prédictions en l’absence d’études sur le sujet. De son côté, Patricia a déjà envisagé l’épreuve qui se dessine pour son fils, à la disparition de son père. « Ce sera une déchirure pour lui de se séparer d’objets que son père a accumulés toute sa vie. Parfois je lui dis en rigolant : “T’attendras qu’il n’y ait personne et tu mettras le feu à la maison de ta grand-mère”. Je sais pas s’il s’en rend compte, mais mon conjoint transmet une souffrance et ça reste un sujet tabou. » 

Dépendamment de l’origine du trouble, il existe des solutions pour prendre en charge les personnes souffrant de Diogène : thérapies cognitives et comportementales, visualisation en réalité virtuelle pour se séparer de ses possessions, accompagnement associatif… À condition d’accepter une aide extérieure et de laisser une tierce personne, partenaire ou non, briser la protection que représentent les objets amoncelés.

* Le prénom a été modifié pour protéger l’identité de la personne en question. 

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