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Regarder un match de foot dans un bar est la pire expérience possible

Pas de place, gens insupportables et problèmes techniques : la Coupe du monde dans un bar est une épreuve dispensable.
Paul Douard
Paris, FR
Regarder un match de foot dans un bar est la pire expérience possible
Des supporters français alors qu'ils regardent le match de la Coupe du monde de football Qatar 2022 entre la France et l'Angleterre dans un bar de Toulouse, le 10 décembre 2022. (Photo par Valentine CHAPUIS / AFP)

Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais passé un bon moment devant un match dans un bar. Pourtant, je m’applique à reproduire cette activité chaque année, croyant naïvement que cette fois-ci, ce serait sympa – avant de rentrer chez moi à la mi-temps après avoir lâché 50 balles pour de la bière chaude et une planche mixte devant une télévision sans son. Si Marcel Proust écrivait que, « on ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver pleinement », il n’a sans doute jamais regardé un France-Angleterre de Coupe du monde dans un bar bondé.

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Généralement, tout commence par un pote (souvent celui qui ne regarde jamais de foot) disant quelque chose comme « Hey, on se regarde le match dans un bar ? ». À chaque compétition majeure, les gens veulent voir les matchs dans un bar, parce que « c’est cool », « qu’il y aura de l’ambiance » ou je ne sais quel autre poncif qui sort de la bouche de n’importe quel cadre trentenaire sur le déclin. Au premier abord, cela peut sembler plus excitant qu’un canapé deux places IKEA avec trois canettes de bière placées sur une table basse à côté d’un MacBook Air diffusant le match en streaming sur Rojadirecta. Pourtant, s’entasser dans un bar tels des bœufs pour regarder un match ressemble plus à une séance de crossfit où l’haleine fétide de vos compatriotes hurlant des onomatopées vient caresser votre visage rouge de fatigue.

« La moniteur s’éteindra automatiquement dans une minute »

Une fois la décision prise de sortir de chez vous, il vous faut trouver de la place. Dès lors, il y a deux types de personnes : ceux qui arrivent six heures avant pour prendre une table comme on prend un transat au Club Med et ceux qui vous disent « Oh t’inquiètes, on trouvera un bar » dix minutes avant le début du match. Dans le premier cas, vous finirez sans doute bourré avant d’avoir entendu la Marseillaise, réveillé par le patron qui vous expliquera qu’il faut libérer la table pour la réservation de 36 personnes faite il y a six mois. Dans le second cas, vous pourrez apercevoir (avec de la chance) un bout de télévision derrière des centaines de personnes, eux-mêmes placés derrière la baie vitrée du bar. Dépité, il nous restera plus que le restaurant kebab du coin.

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Pour ceux qui par chance arrivent à se frayer un chemin à l’intérieur, le pire reste à venir. Vous voilà debout, compressé entre des concepteurs-rédacteurs d’agence de publicité et autres conseillers en patrimoine Caisse d’Epargne qui passent leurs journées sur Monpetitgazon. Vous ne pouvez voir que le coin droit de la télévision du bar, magnifiquement fixée sur le plafond, inclinée vers le bas comme dans un salon de coiffure. Mais sans surprise, rien n’est prêt. Comme votre prof de lycée incapable d’allumer la télévision de la classe après vingt ans de service, le propriétaire du bar est debout sur un tabouret fragile pour essayer d’activer le son et de trouver la bonne chaîne pour ne pas créer d’émeute. Et alors qu’il pensait sa mission réussie, vous apercevez sur l’image un terrible message : « La moniteur s’éteindra automatiquement dans une minute ». Vous hurlez. 

À Paris, il y a environ un bar pour 2000 habitants. Avec une population de deux millions de Parisiens, cela fait donc 1000 bars sur une superficie de 100 kilomètres carrés.

De toute façon, vous n’allez sûrement rien voir du match si vous ne faites pas plus de 1m85. Votre vision se bloque systématiquement sur des façades arrières de mecs plus grands que vous, qui comme des Golden Retriever n’ont pas conscience de leur corps. Vous tentez régulièrement de vous pencher d’un côté ou de l’autre de leur grosse tête, sans succès. Chose nouvelle cette année, la Coupe du monde de football se tient en hiver. En plus de rester debout pendant plusieurs heures, vous le ferez à côté d’une porte en plein courant d’air. Malgré tout, c'est un jour de fête. Vous décidez de profiter de ce premier échec pour aller boire de la bière. Sachez que vous n’aurez rien d’autre puisque quelqu’un a décidé un jour que la bière était une boisson agréable et obligatoire pendant les matchs. Mais voilà, si vous allez au comptoir, vous perdez votre misérable place – mais place quand même. Si vous buvez, vous allez d’abord rester accoudé au comptoir pour regarder la suite du match, sans cesse apostrophé par ceux qui veulent boire à leur tour et vous demandent de vous casser. Puis vous allez pisser et perdre votre place. Par dépit, vous restez donc planté là, demandant à l’un de vos potes de prendre à boire. Vous ne le reverrai plus jamais. 

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Si la configuration de l’événement est déjà assez éreintante, que reste-t-il pour motiver certains à y trouver une quelconque satisfaction ? « L’ambiance » diront-ils. C’est vrai, qui ne rêve pas le matin de chanter la Marseillaise avec de jeunes cadres supérieurs comme s’ils allaient se battre sur le front de l’est ? Instant particulièrement gênant à cheval entre l’élection d’Eric Ciotti à la tête des LR et votre dernière soirée avec le BDE de l’Essec. Cette énergie populaire nationale qui nourrit habituellement vos threads Twitter vindicatifs (et votre vomi) tous les autres jours de l’année se verra ici foudroyée par le niveau général des commentaires. De « Mais faites entrer Guendouzi là !! » aux « Griezmann il est rincé », vous comprenez que regarder un match dans un bar est en fait le repère de ceux qui n’y connaissent rien – comme ceux qui vont au Lollapalooza pour la musique où en Espagne pour la cuisine. Ce n’est pas encore la mi-temps et les comparaisons avec le rugby débutent, « franchement, ils sont fragiles, au rugby on ne simule pas » – remarque pertinente d’une personne basée sur son unique expérience sportive, à savoir trois jours à Calvi on the Rocks. Quelle ambiance.

Vous restez néanmoins concentré sur le match, jusqu’à entendre du bruit à l’extérieur. Ce puissant bruit, ce sont des gens qui célèbrent de joie un but. Un but que vous n’avez pas vu puisqu’à cet instant Olivier Giroud marche tranquillement dans le rond central. À Paris, il y a environ un bar pour 2000 habitants. Avec une population de deux millions de Parisiens, cela fait donc 1000 bars sur une superficie de 100 kilomètres carrés. Avec donc dix bars par kilomètre carré, vous allez avoir autant de mauvais flux streaming que de fournisseurs d’accès à Internet différents. Il y aura celui qui est en avance et celui qui est en retard. Voilà, vous venez de vous faire spoiler un but par le PMU d’en face. Incapable de célébrer un moment qu’on vous a volé, vous buvez. Plus le match arrive à son terme, moins vous regardez tant vous avez mal au cou, mal aux jambes et une furieuse envie de pisser. Quelques commentaires racistes socialement admis en période de coupe du monde vous feront néanmoins esquisser un sourire. 

Peut-être que finalement cette souffrance intrinsèque fait partie de l’expérience.

Mais revenons-en au fait. Il n’y a aucun intérêt à regarder un match dans un bar. Il n’y a ni le confort de la maison ni l’excitation du stade. Juste un lieu froid et humide où tout est cher et mauvais. Peut-être que finalement cette souffrance intrinsèque fait partie de l’expérience. À moins d’être un Anglais et d’aimer se faire recouvrir de bière à chaque pénalty de Harry Kane ou d’avoir une furieuse envie de contact humain, regarder un match dans un bar est aussi agréable qu’une coloscopie un lundi matin. De toute façon, tout le monde termine complètement ivre. D’ailleurs, les seules personnes qui trouvent ça cool sont celles qui ne regardent pas de foot. Cela me fait penser que les seuls matchs intéressants à regarder dans un bar sont ceux qui n'intéressent personne.

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