Sexe

Mommy kink : quand se faire materner devient un fantasme au pieu

Adieu, daddy. C’est mommy qui mène la barque de nos désirs.
mommy kink
Illustration : Cathryn Virginia

Si vous avez gardé un œil sur ce qui se trame actuellement dans l’univers de la pop culture, vous avez peut-être remarqué un changement important dans la dynamique de pouvoir. Alors que les pères sont mis en retrait, les mères dominent le discours. Il suffit de constater la montée en puissance d’émissions comme MILF Manor, le retour fulgurant de RiRi enceinte ou encore la chanteuse Meghan Trainor qui a surfé sur la vague pour se déclarer mère (recevant un accueil, disons, mitigé). De toute évidence, on refuse tou·tes de grandir. On préfère s’attacher à toutes les figures matriarcales possibles en espérant y téter un peu de vie.

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Mais il n’y a pas que nos relations parasociales un peu douteuses avec les célébrités qui sont en hausse – cette dynamique de la maternité se taille également une place dans la chambre à coucher. Selon Google Trends, les recherches de « mommy kink » ont augmenté de façon exponentielle au cours de la dernière décennie, atteignant un pic en 2021. Pic qui coïncide étrangement, à mon avis, avec la montée en puissance du « Excuse me ? Mommy ? Sorry » sur TikTok. Mais qu’est-ce qu’un mommy kink ? S’agit-il vraiment d’une tendance ? Et pourquoi est-ce que ça nous excite autant ?

C’est quoi, un mommy kink ?

Le terme « mommy kink » fait généralement référence à une dynamique sexuelle entre deux partenaires, où l’un·e endosse le rôle d’une mère dominante (ou d’une figure maternelle similaire), et l’autre celui d’une personne plus jeune et soumise – parfois appelée « bébé » ou « petit·e », ce genre de trucs. Ce kink est moins hétéronormatif que d’autres centrés sur l’âge, comme le DDLG (abréviation de daddy dom/little girl, soit papa dominant/petite fille), ce qui le rend particulièrement populaire auprès des femmes queers. Mais il attire également des hommes cis hétéro qui ont besoin de recevoir un peu d’attention – ou de correction – de la part d’une figure maternelle forte (voir : Roman et Gerri dans Succession).

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Pour Jordyn, âgée de 25 ans et originaire de Chicago, l’attrait principal du kink réside dans sa nature nourricière – quelque chose dont elle estime avoir manqué dans son enfance. « J’ai grandi avec le besoin désespéré de sentir que quelqu’un se souciait de moi, m’aimait, me protégeait et allait me prendre dans ses bras quand je pleurais. Une personne qui m’aurait dit quelle bonne fille j’étais et qui aurait été fière de moi », explique-t-elle. « Je ne pense pas que les relations parentales dysfonctionnelles soient un catalyseur pour toutes les personnes qui se lancent dans cette aventure, mais j’ai rencontré beaucoup d’autres filles homosexuelles qui ont traversé des expériences similaires. »

« Le mommy kink concerne plutôt la soumission par le soin et l’attention portée, plutôt que la soumission par la douleur. »

Mommy Miss Jean, 27 ans, a commencé à explorer le kink dans sa vie privée avant de devenir dominatrice professionnelle. Si elle est d’accord avec Jordyn, elle ajoute que ce kink permet d’en explorer d’autres, comme l’humiliation. « L’humiliation procure un sentiment de sécurité, mais aussi d’intimidation, dit-elle. Je pense qu’appeler quelqu’un “maman” permet de se sentir petit et pris en charge. C’est particulièrement important pour les sujets qui ne se sentent pas en phase avec les attentes traditionnelles de la société en matière de soumission, surtout si, en raison de leur genre, de leur apparence ou de leur personnalité, ils sont vus comme ceux qui doivent prendre l’initiative dans la chambre à coucher ».

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Dans son film Maman – une exploration érotique du sexe et de la maternité éclairée par de doux pastels roses et blancs – la cinéaste Vex Ashley met en avant la nature nourricière du kink. « La domination féminine est souvent présentée comme le fait de repousser quelqu’un, de lui refuser quelque chose ou de lui faire physiquement mal, explique Vex Ashley. Alors que pour nous, le mommy kink concerne plutôt la soumission par le soin et l’attention portée, plutôt que la soumission par la douleur. C’est une sorte d’expérience qui va créer des liens profonds, une expérience aussi enrichissante pour la personne soumise que pour la personne qui soumet. » 

Selon la réalisatrice, il est logique que ce profond désir d’être dorloté coïncide avec l’une des périodes sociopolitiques les plus difficiles de l’histoire de l’humanité. « C’est vraiment compliqué de vivre dans ce monde actuellement, dit-elle, et les gens ont sans doute besoin d’un peu de réconfort et d’attention ».

D’où vient cette dynamique ?

Bien que les figures maternelles aient toujours été sexualisées (il suffit de penser à la mère de Stifler, au tubesque Stacy’s Mom et au mouvement MILF des années 2000), cette relation reste complexe – les mères sexy étant considérées comme inenvisageables, inatteignables ou comme un truc héroïque à tester, plutôt que comme une association automatique entre deux éléments naturels de la féminité.

« Si la maternité est un kink, c’est uniquement parce qu’on continue de la tenir éloignée du sexe et de la sexualité », suggère l’autrice Clio Wood, dont le dernier livre aborde la perspective souvent difficile de se réapproprier sa sexualité après être devenue mère. « Le complexe de la mère et de la putain est évidemment lié au fait qu’une femme ne pourrait être que deux choses : soit elle est super sexy et disponible pour le sexe – la sirène, si vous voulez, soit elle est mère, symbole de pureté, et doit alors se consacrer à l’éducation de la famille tout en cultivant sa “gentillesse” ».

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D’après Ashley, le mommy kink est un excellent moyen de réaligner ces deux extrêmes. Une dichotomie que le film Maman illustre par le phénomène de sexualisation du lait maternel (les interprètes du film ont provoqué la lactation pendant le tournage, mais ont gardé leurs techniques de biohacking top secrètes). « [Lorsque vous devenez mère], la société veut faire de vous un être totalement désexualisé, pur et chaste, explique-t-elle. Mais vous ne cessez pas d’être une personne vivante, qui respire, qui a des besoins et éprouve des désirs ».

Elle estime également que si la popularité du mommy kink explose, c’est parce que n’importe qui, indépendamment de son genre, de sa sexualité ou des circonstances de la vie, peut s’en servir afin de savoir ce que ça fait d’être mère. Ça s’applique non seulement aux personnes queers qui souhaitent reproduire les rôles nourriciers qu’elles assument au sein de leur propre communauté – ce qui, d’après Ashley, est assez courant chez les adeptes –, mais aussi à toute personne qui, pour une raison ou une autre, ne peut pas ou a choisi de ne pas être mère et en fait le deuil. « Je suis à un âge où je dois prendre la décision, dans les dix prochaines années, d’avoir ou non des enfants, explique Ashley. Je pense que pour moi, le rôle de mommy est une façon de m’approprier cet espace, plutôt que d’attendre qu’il me soit accordé par la société. »

Et qu’en est-il des personnes qui endossent le rôle de Baby plutôt que celui de Mommy ? Celles-là aussi peuvent chercher à échapper à la réalité et même, dans de nombreux cas, aux limites du genre. « Il y a parfois une véritable euphorie en ce qui concerne le genre, tant pour la maman que pour le bébé, parce que les bébés sont non genrés », explique Ashley.

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Bien que l’« ageplay », ou littéralement « jeu de l’âge », ait longtemps été dénigré et mal interprété dans les médias, ce kink va bien au-delà des couches pour adultes (jamais de kinkshaming, please), et n’est en aucun cas lié à la pédophilie. « Il s’agit toujours d’un échange de pouvoir entre deux adultes consentants et il est important de ne pas l’oublier. Ça n’implique pas une attirance envers les enfants, pas plus que le “pet play” n’implique une attirance sexuelle envers les chiens », explique Miss Jean. Elle reconnaît qu’il peut s’agir d’une forme puissante d’évasion pour ses clients. « Il arrive que certains d’entre eux réservent des sessions avec moi pour qu’on fasse du shopping en ligne ensemble, et que je choisisse des trucs pour eux. Ils établissent une sorte de wishlist et de mon côté, je les oblige à ne choisir qu’un seul article, ou je choisis à leur place. »

Mais pour chaque fan de pop girly qui chantonne « step on me, mommy », combien de personnes lancent actuellement la même chose à leur partenaire dans la chambre à coucher ? Notre comportement parasocial a-t-il vraiment une influence sur nos désirs ? D’après Wood, ce kink n’est pas nouveau, mais peut-être que notre volonté d’en parler l’est. « C’est drôle qu’on en parle maintenant, car je ne pense pas que ce soit si récent que ça », explique-t-elle. Elle estime toutefois que cette mise en lumière pourrait avoir des conséquences à la fois positives et négatives : « Si ce n’est que le sommet de l’iceberg, ça va permettre aux mères de pouvoir être sexy, ce qui ne peut être qu’une bonne chose. Mais si ça reste encore un peu tabou, ça va simplement renforcer les aspects négatifs de la question. »

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Jordyn reconnaît aussi que ce kink n’a rien de révolutionnaire. D’après elle, ce serait notre ouverture d’esprit qui a changé. « Il y a encore énormément de violence dans le monde, mais dans l’ensemble, je pense que les gens sont relativement plus compréhensifs et ouverts sur les choses qui se passent en privé, même s’ils ne s’y engageraient pas nécessairement eux-mêmes. »

Il est bien sûr essentiel de mentionner qu’une évolution vers une acceptation plus large et généralisée du BDSM est due, au moins en partie, aux personnes queers, aux travailleur·ses du sexe et aux lieux à prédominance queer, qui ont historiquement créé de l’espace pour que d’autres puissent venir y explorer et expérimenter leur sexualité.

« Je pense qu’il s’agit d’une progression naturelle qui accompagne l’ouverture de la société sur la sexualité, la normalisation du kink en général et… les changements dans notre perception de la féminité, de la masculinité et de ce vers quoi les gens s’autorisent à être attirés », explique Miss Jean, soulignant toutefois que « toutes les personnes qui commentent “mommy” sous une photo de femme sexy n’ont pas nécessairement un mommy kink ».

Comment explorer le kink

Si vous souhaitez explorer ce kink avec quelqu’un que vous fréquentez, il faut discuter à l’avance du déroulement des scènes et établir des règles de sécurité. « Comme pour tout autre kink, il est important d’obtenir le consentement de votre partenaire avant de vous engager dans cette voie, explique Miss Jean. Pour une raison ou une autre, cette règle semble ne plus exister dès lors qu’il s’agit d’appeler quelqu’un “mommy” ou “daddy” sur internet. »

Tant qu’il est pratiqué en toute sécurité et avec le consentement des deux parties, le mommy kink peut s’avérer être un moyen amusant d’explorer les dynamiques de pouvoir. Et en toute honnêteté, c’est une bouffée d’air frais par rapport à la montagne de faux doms à la recherche de « meufs qui kiffent être étouffées », ceux-là mêmes qui nous incitent à désinstaller collectivement nos applis de dating pendant quelques jours.

« Si ça en attire certain·es à ce point, je pense que c’est parce qu’en tant qu’êtres humains, nous avons ce désir naturel de nous sentir en sécurité, en particulier au sein de nos relations, explique Jordyn. Nous sommes des êtres sociaux, et toute personne qui a besoin de ressentir cette connexion humaine en étant chouchoutée prendra son pied avec le mommy kink. »

Et elle a raison. En fin de compte, qui d’entre nous ne voudrait pas passer son temps bien calé·e dans les bras – ou enfoui·e dans la poitrine – d’une personne qui nous aime, nous protège et nous serre fort quand on a juste envie de chialer ?

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