Skate Bowl des Trixhes skatepark flemalle liege elles roulent
Photo : Samuel Szpetiuk & Clément Jadot
Sports

À Liège, Elles Roulent féminise (enfin) le skate

« La plupart des skateurs que j’ai rencontrés étaient plutôt sympas, mais j’ai aussi dû essuyer des remarques pénibles au skatepark, du style “je ne peux pas me concentrer sur les figures parce que je vois les fesses de la fille qui skate”. »
KW
Liège, BE

Toute la culture et l'art de vivre de la scène locale du skate est à découvrir dans notre série VICE « LE SKATE EN BELGIQUE ».

VICE s’est rendu au Bowl des Trixhes, un skatepark situé à Flémalle, près de Liège, pour rencontrer Roxana Černický (36 ans), fondatrice d’Elles Roulent, un projet ayant pour but de favoriser le skate féminin.

Baignée d’un soleil bas de fin d’été qui cogne sur les façades de ses lotissements de brique claire, Flémalle a de faux airs de banlieue de la côte Ouest, jusqu’à son skatepark au bowl rose pastel. On le trouve à l’oreille, en suivant le fracas hypnotique des roues des skateboards sur le béton. En ce samedi fin de matinée, l’endroit est encore désert, occupé seulement par Roxana aka Roxy, qui arpente le périmètre pour endormir son nouveau-né, Dino, tout en jetant un regard empli de fierté sur Medina et Chloé, deux de ses protégées qui enchainent les drops aux côtés de Joràn, son compagnon.

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C’est ici qu’elle l’a rencontré, dans le skatepark dont le gamin du coin a construit le bowl en 2009. « J’habitais Bruxelles à ce moment-là, et je ne connaissais pas du tout le skatepark, mais des potes skateurs m’ont invitée à venir fêter le premier anniversaire du bowl et c’est là que j’ai rencontré Joràn. Six ans plus tard, il a aidé à construire la suite du park, et cette fois, j’ai participé aussi. » Un exemple supplémentaire du cliché éculé (merci Avril Lavigne) de la groupie qui s’encanaille avec un skateur et l’accompagne sagement au park, tant qu’on ne lui demande surtout pas de monter sur une planche ? Justement pas.

D’ailleurs, Joràn prend rapidement le relais avec Dino pour laisser Roxy monter sur son skate et enchaîner les figures avec une maîtrise qui ne laisse pas imaginer que celle qui a skaté jusqu’à son 8ème mois de grossesse a accouché il y a quelques semaines seulement. Avant la session, allaitement oblige, elle troque sa Hoegaarden rituelle contre une version 0% : « Je n’ai rien changé à mes habitudes, je skate toujours avec une bière, mais sans alcool. »

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Option coriandre.

Elle nous raconte son enfance, la bande de potes avec laquelle elle faisait du hip-hop ado, et puis cette fois où ils ont amené leurs skateboards à une répétition. « Ils m’ont laissée essayer, et je ne leur ai pas rendu leur planche de toute la soirée. J’ai décidé qu’il m’en fallait absolument une et j’ai économisé pendant un mois pour pouvoir m’acheter mon premier skate, une planche ultra basique avec un squelette dessus. J’ai appris mes premières figures avec ça, les Ollies, les Shove-Its… Dès que j’ai eu ma planche, j’ai arrêté le bus et le vélo et je me suis déplacée partout en skateboard pour apprendre. C’est marrant parce que ça m’a permis de rencontrer plein d’autres skateurs de mon quartier, auxquels je n’avais jamais parlé avant, mais le skate a brisé la glace ».

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« Quand je suis au park avec des mecs, je suis une fille qui fait du skate, il y a toujours une sorte de rapport de séduction qui se joue. Quand je roule avec des filles, je suis une skateuse, point. »

Une intégration comme sur des roulettes ? Pas si simple. Si Roxy raconte avoir appris les bases au contact d’autres skateurs et se souvient avec enthousiasme des copies de vidéos de skate qu’ils se refilaient pour apprendre de nouvelles figures, la camaraderie laissait parfois place au sexisme. « La plupart des skateurs que j’ai rencontrés étaient plutôt sympas, mais j’ai aussi dû essuyer des remarques pénibles au skatepark, style “je ne peux pas me concentrer sur les figures parce que je vois les fesses de la fille qui skate”. » Et si elle tient à souligner que son expérience est majoritairement positive, et que certains skateurs étaient extrêmement gentils et encore plus disposés à donner des conseils aux filles, elle remarque tout de même une différence de taille : « Quand je suis au park avec des mecs, je suis une fille qui fait du skate, il y a toujours une sorte de rapport de séduction qui se joue. Quand je roule avec des filles, je suis une skateuse, point. »

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Installée à Liège avec Joràn, Roxy a trouvé un poste de médiatrice culturelle au Point Culture, où l’idée d’Elles Roulent germe à l’occasion d’un événement féministe, en marge duquel elle s’associe au skatepark Local Bastard pour donner un cours de skate 100% féminin. « Ça a super bien marché et je me suis rendu compte qu’il y avait une vraie demande. Je n’avais jamais vu un skatepark rempli de filles comme ça avant et ça m’a donné envie de continuer ».

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Aujourd’hui, l’initiative organise une journée de cours par mois et rassemble une vingtaine de filles, dont Chloé, 14 ans, que Roxy présente fièrement comme une petite prodige. Un compliment que l’ado n’entend pas, trop occupée à dropper en continu de la rampe : « C’est ce que je préfère dans le skate, c’est comme se jeter dans le vide. » Un sentiment grisant pour celle qui a découvert le skate il y a un an via une pub et à qui ses amies ont offert une initiation Elles Roulent pour son anniversaire. « C’est bien d’être entre filles, je me sens moins jugée », confie-t-elle. Medina (26 ans), machiniste à l’opéra de Liège, skateuse depuis l’âge de dix ans, confirme : « C’est libérateur. Quand des nouvelles arrivent aux initiations, elles sont un peu gênées, puis très vite, le fait d’être entre nous les met à l’aise, et ça se voit directement dans leurs mouvements. »

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Et tant pis si pour certains, les initiations Elles Roulent sont sexistes : « Certains skateurs nous soutiennent, mais d’autres trouvent que c’est pas bien, qu’on crée de la séparation alors que la culture skate est ouverte à tout le monde… Soi-disant. Quand tu regardes de plus près, il y a surtout beaucoup de jeunes hommes blancs de classe moyenne. La séparation existe déjà, on ne l’a pas créée », rappelle Roxy.

« Certains skateurs nous soutiennent, mais d’autres trouvent qu’on crée une séparation alors que la culture skate est ouverte à tout le monde… Soit-disant. Quand tu regardes de plus près, il y a surtout beaucoup de jeunes hommes blancs de classe moyenne. »

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Elle souligne également qu’Elles Roulent offre un safe space aux filles pour gagner confiance en elles : « Elles ont la possibilité de choisir. Et si elles choisissent de venir à des sessions entre filles, c’est peut-être qu’elles ont une bonne raison. Pourquoi les hommes devraient imposer la mixité si elles n’en ont pas envie ? »

À voir l’abandon avec lequel Medina et Chloé s’appliquent à enchaîner les figures loin du male gaze, la réponse semble claire.

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