Le docteur qui croyait révolutionner le monde grâce aux orgasmes et à l’énergie cosmique
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Art de vivre

Le docteur qui croyait révolutionner le monde grâce aux orgasmes et à l’énergie cosmique

La révolution sexuelle impliquerait des orgasmes simultanés entre hétérosexuels qui ne se parlent pas, ou qui s’enferment seuls dans un garde-robe.

Wilhelm Reich, le plus jeune collaborateur de Freud, est né en 1897. Il a lié sexologie, thérapie psychanalytique et théories marxistes, inspiré par son éducation à la ferme familiale, où les accouplements de taureaux et de vaches ont joué le rôle de divertissement enfantin que l'émission Robin et Stella a tenu pour moi. Croyant que la chasteté est mauvaise pour la santé, ses idées perdurent, mais le psychanalyste semble plus reconnu aujourd'hui comme un être controversé, marquant mais dérangeant, que comme un pionnier de la sexualité.

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Des orgasmes révolutionnaires et guérisseurs

Freud avait développé l'idée-clé de la libido, en 1915, dix ans après la publication de ses Trois essais sur la théorie sexuelle. Il la définissait comme une énergie spécifiquement sexuelle, non quantifiable lorsqu'il en envisage d'abord le concept. Reich reprend le concept de Freud et tente d'y lier une science expérimentale qui serait capable de la quantifier, de faire en sorte de mesurer ce que le jeune psychanalyste et docteur appelle la puissance orgastique. Pour Reich, l'orgasme a un pouvoir insoupçonné de guérison et de révolution. L'orgasme constituerait la source vitale des individus et des sociétés, qui sont malheureusement contaminées par les angoisses et tout ce qui bloque la libération de leur puissance transformatrice couleur foutre. Dans sa clinique où il soigne parfois gratuitement des patients, il refuse la position statique du psychanalyste éloigné de son patient. Reich entreprend d'écouter à la fois les mots, mais aussi les mouvements du corps de ses sujets. Il n'hésite pas à les toucher, ni à avoir des relations sexuelles, tout au long de sa vie, avec des patientes, dont une qui mourut quelques mois après le début de leur relation, vraisemblablement d'une tentative d'avortement échouée.

Un laboratoire qui sent les éjaculations

Exclu des institutions psychanalytiques et du parti communiste allemand en 1933, Reich persiste tout de même à tenter de décoder l'orgasme et les lois de l'économie sexuelle. Dans son livre La Fonction de l'orgasme, dont la publication originale date de 1942, Reich rend compte de son obsession à mieux saisir l'orgasme comme outil d'émancipation. Il en explique les phases, dont « le contrôle volontaire de l'accroissement de l'excitation », qu'il étudie à l'aide de représentations graphiques du plaisir sexuel, estimant la durée de chacune. Pour ces études inédites, il met en place un laboratoire et une cure expérimentale, qui rappelle son travail thérapeutique en clinique mais qui ne se fait désormais que directement sur le corps.

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Dans le laboratoire, Reich installe un oscillographe et veut prouver que l'excitation des zones érogènes est d'ordre électrique. Les participants sont placés dans une autre pièce que l'oscillographe, afin qu'ils ne subissent pas un quelconque effet de suggestion. Certaines parties de leur corps sont stimulées à l'aide d'électrodes. La lecture des oscillations est confiée à un adjoint de Reich. Les sujets se masturbent ou sont touchés par Reich, qui les caressent ou compressent leurs organes sexuels. En analysant le résultat des expérimentations, Reich veut déjouer tout refoulement et amener les sujets à s'ouvrir et à jouir sainement, garantissant ainsi leur santé physique et psychologique dans un monde à l'équilibre précaire, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

Les conditions idéales pour un bon orgasme

Reich établit que l'orgasme peut sauver, mais il peut aussi nuire, si les conditions idéales ne sont pas rassemblées. Il préconise uniquement des relations hétérosexuelles, allant jusqu'à refuser de traiter des patients homosexuels, et un abandon total à son partenaire. Dans La Fonction de l'orgasme, il note que « chez les deux sexes, l'orgasme est plus intense si les sommets de l'excitation génitale coïncident. Cela arrive fréquemment chez des individus capables de concentrer sur un partenaire leurs sentiments tendres en même temps que leurs sentiments sensuels. La faculté de se concentrer avec sa personnalité entière dans le vécu de l'orgasme, malgré tous les conflits possibles, est un autre critère de la puissance orgastique. » Il faut donc jouir avec synchronicité et ne pas avoir de fantaisie autre que son partenaire. À l'aide des représentations graphiques résultant de ces expérimentations en laboratoire, Reich montre que les orgasmes qu'ils jugent mauvais, ceux qui ont lieu lors d'une relation sexuelle sans tendresse et écoute de l'autre, avec des préliminaires absents, interminables ou discussions sur la météo, avec pénétration d'un vagin sec et résistant par un pénis à l'érection mécanique, amènent beaucoup de frustrations. La fatigue et la pudeur sont également proscrites. Si la recherche de la performance et de l'exploit prime et qu'il y a des jeux anaux ou de domination et de soumission, l'orgasme ne peut pas être satisfaisant non plus et amener le bonheur sur la Terre.

Être insatisfait sexuellement rend pervers et violent

Les insatisfactions sexuelles sont dangereuses, car elles entraînent des sentiments agressifs, qui se muent en perversions et névroses. Arrivé au États-Unis en 1939, il s'attaque à un projet qui empêchera les gens de devenir des déviants par faute de leurs mauvais orgasmes : l'accumulateur d'orgone, une machine permettant de jouir et de s'émanciper sexuellement, grâce à l' « énergie d'orgone ».

Capteur d'orgone. Image via Flickr

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Reich décrit dans son essai Orgone Energy Accumulator, Its Scientific and Medical Use, publié en 1951, la fameuse boite en bois recouverte de matière organique, tapissée à l'intérieur d'une couche métallique, comme « un instrument assemblé et agencé matériellement de telle sorte que l'énergie vitale présente dans l'atmosphère de notre planète puisse être recueillie, accumulée et rendue utilisable à des fins scientifiques, éducatives et médicales » Il veut utiliser l'énergie imaginaire et organique pour aider les sujets, qui prennent placent seuls dans la boite, nu ou légèrement habillés, à jouir et à guérir, exposés pendant un temps variable au champ orgonotique.

Une machine à orgasmes testée par Albert Einstein

Pendant deux semaines, Albert Einstein teste la machine, pour finalement décréter que ça ne fonctionne pas. Elle devient néanmoins très populaire, dans un mouvement de révolution sexuelle, célébrant un anticonformisme sans contrainte, hypocrisie et répression, qui s'empare des États-Unis. En 1940, le premier accumulateur pour usage domestique est fabriqué et commercialisé. Reich est vu comme un héros de la contre-culture. Sean Connery, au sommet de sa gloire de personnificateur de James Bond, ne jure que par cette machine. L'auteur Saul Bellow atteste que l'accumulateur a guéri ses verrues et amélioré sa respiration. L'artiste beatnik William Burroughs s'en ai fait construire de toutes les tailles et formes. Il en avait une au fond de son jardin, près d'une mare aux poissons rouges, et il y fumait des joints, tout en rechargeant son corps d'énergie orgone. Norman Mailer, lui, en avait en forme d'œufs de dinosaure.

Dès son arrivée aux États-Unis, Reich est surveillé par le FBI, à cause de son allégeance au communisme. Son dossier comporte 789 pages. C'est toutefois lorsqu'il allègue que son accumulateur d'orgone peut guérir le cancer et la schizophrénie que la Food and Drug Administration dépense 2 millions de dollars dans une enquête et exige, en 1947, que Reich cesse toute location de cette machine frauduleuse. Reich, se sentant persécuté et incompris, se comparant même à Jésus, devient paranoïaque et construit un fusil à énergie orgone, qui, selon lui, pourrait faire dévier des ouragans mais aussi protéger le peuple américain d'une invasion d'extra-terrestres.

De la prison à l'Orgasmatron

Outrepassant les injonctions de la FDA, Reich se fait arrêter en 1956, puis condamner à deux ans de prison. Les accumulateurs d'orgone sont détruits. Il meurt d'une crise cardiaque en 1957, laissant derrière lui un activisme politique transformé en morale du plaisir, et des machines qui seront plus tard ridiculisés et parodiés, comme l'Orgasmatron de Woody Allen, dans le film Sleeper, datant de 1973. L'idée que le sexe, comme promesse d'une réforme sociale et radicale, n'a jamais abouti. Il est aujourd'hui étrange et plutôt ironique de s'imaginer que la liberté a déjà été de s'enfermer dans un dispositif rappelant une garde-robe, alors que pour contrer les répressions sexuelles, la nécessité de sortir de la garde-robe, de faire un coming out, est maintenant souvent évoqué.