Wilhelm Reich, le plus jeune collaborateur de Freud, est né en 1897. Il a lié sexologie, thérapie psychanalytique et théories marxistes, inspiré par son éducation à la ferme familiale, où les accouplements de taureaux et de vaches ont joué le rôle de divertissement enfantin que l'émission Robin et Stella a tenu pour moi. Croyant que la chasteté est mauvaise pour la santé, ses idées perdurent, mais le psychanalyste semble plus reconnu aujourd'hui comme un être controversé, marquant mais dérangeant, que comme un pionnier de la sexualité.
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Des orgasmes révolutionnaires et guérisseurs
Un laboratoire qui sent les éjaculations
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Dans le laboratoire, Reich installe un oscillographe et veut prouver que l'excitation des zones érogènes est d'ordre électrique. Les participants sont placés dans une autre pièce que l'oscillographe, afin qu'ils ne subissent pas un quelconque effet de suggestion. Certaines parties de leur corps sont stimulées à l'aide d'électrodes. La lecture des oscillations est confiée à un adjoint de Reich. Les sujets se masturbent ou sont touchés par Reich, qui les caressent ou compressent leurs organes sexuels. En analysant le résultat des expérimentations, Reich veut déjouer tout refoulement et amener les sujets à s'ouvrir et à jouir sainement, garantissant ainsi leur santé physique et psychologique dans un monde à l'équilibre précaire, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.Reich établit que l'orgasme peut sauver, mais il peut aussi nuire, si les conditions idéales ne sont pas rassemblées. Il préconise uniquement des relations hétérosexuelles, allant jusqu'à refuser de traiter des patients homosexuels, et un abandon total à son partenaire. Dans La Fonction de l'orgasme, il note que « chez les deux sexes, l'orgasme est plus intense si les sommets de l'excitation génitale coïncident. Cela arrive fréquemment chez des individus capables de concentrer sur un partenaire leurs sentiments tendres en même temps que leurs sentiments sensuels. La faculté de se concentrer avec sa personnalité entière dans le vécu de l'orgasme, malgré tous les conflits possibles, est un autre critère de la puissance orgastique. »
Il faut donc jouir avec synchronicité et ne pas avoir de fantaisie autre que son partenaire. À l'aide des représentations graphiques résultant de ces expérimentations en laboratoire, Reich montre que les orgasmes qu'ils jugent mauvais, ceux qui ont lieu lors d'une relation sexuelle sans tendresse et écoute de l'autre, avec des préliminaires absents, interminables ou discussions sur la météo, avec pénétration d'un vagin sec et résistant par un pénis à l'érection mécanique, amènent beaucoup de frustrations. La fatigue et la pudeur sont également proscrites. Si la recherche de la performance et de l'exploit prime et qu'il y a des jeux anaux ou de domination et de soumission, l'orgasme ne peut pas être satisfaisant non plus et amener le bonheur sur la Terre.Les insatisfactions sexuelles sont dangereuses, car elles entraînent des sentiments agressifs, qui se muent en perversions et névroses. Arrivé au États-Unis en 1939, il s'attaque à un projet qui empêchera les gens de devenir des déviants par faute de leurs mauvais orgasmes : l'accumulateur d'orgone, une machine permettant de jouir et de s'émanciper sexuellement, grâce à l' « énergie d'orgone ».
Les conditions idéales pour un bon orgasme
Être insatisfait sexuellement rend pervers et violent
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Reich décrit dans son essai Orgone Energy Accumulator, Its Scientific and Medical Use, publié en 1951, la fameuse boite en bois recouverte de matière organique, tapissée à l'intérieur d'une couche métallique, comme « un instrument assemblé et agencé matériellement de telle sorte que l'énergie vitale présente dans l'atmosphère de notre planète puisse être recueillie, accumulée et rendue utilisable à des fins scientifiques, éducatives et médicales » Il veut utiliser l'énergie imaginaire et organique pour aider les sujets, qui prennent placent seuls dans la boite, nu ou légèrement habillés, à jouir et à guérir, exposés pendant un temps variable au champ orgonotique.Pendant deux semaines, Albert Einstein teste la machine, pour finalement décréter que ça ne fonctionne pas. Elle devient néanmoins très populaire, dans un mouvement de révolution sexuelle, célébrant un anticonformisme sans contrainte, hypocrisie et répression, qui s'empare des États-Unis. En 1940, le premier accumulateur pour usage domestique est fabriqué et commercialisé. Reich est vu comme un héros de la contre-culture. Sean Connery, au sommet de sa gloire de personnificateur de James Bond, ne jure que par cette machine. L'auteur Saul Bellow atteste que l'accumulateur a guéri ses verrues et amélioré sa respiration. L'artiste beatnik William Burroughs s'en ai fait construire de toutes les tailles et formes. Il en avait une au fond de son jardin, près d'une mare aux poissons rouges, et il y fumait des joints, tout en rechargeant son corps d'énergie orgone. Norman Mailer, lui, en avait en forme d'œufs de dinosaure.
Une machine à orgasmes testée par Albert Einstein
Dès son arrivée aux États-Unis, Reich est surveillé par le FBI, à cause de son allégeance au communisme. Son dossier comporte 789 pages. C'est toutefois lorsqu'il allègue que son accumulateur d'orgone peut guérir le cancer et la schizophrénie que la Food and Drug Administration dépense 2 millions de dollars dans une enquête et exige, en 1947, que Reich cesse toute location de cette machine frauduleuse. Reich, se sentant persécuté et incompris, se comparant même à Jésus, devient paranoïaque et construit un fusil à énergie orgone, qui, selon lui, pourrait faire dévier des ouragans mais aussi protéger le peuple américain d'une invasion d'extra-terrestres.Outrepassant les injonctions de la FDA, Reich se fait arrêter en 1956, puis condamner à deux ans de prison. Les accumulateurs d'orgone sont détruits. Il meurt d'une crise cardiaque en 1957, laissant derrière lui un activisme politique transformé en morale du plaisir, et des machines qui seront plus tard ridiculisés et parodiés, comme l'Orgasmatron de Woody Allen, dans le film Sleeper, datant de 1973. L'idée que le sexe, comme promesse d'une réforme sociale et radicale, n'a jamais abouti. Il est aujourd'hui étrange et plutôt ironique de s'imaginer que la liberté a déjà été de s'enfermer dans un dispositif rappelant une garde-robe, alors que pour contrer les répressions sexuelles, la nécessité de sortir de la garde-robe, de faire un coming out, est maintenant souvent évoqué.