Culture

Robert Pattinson, prototype de l'acteur-forceur contemporain

Et si le futur Batman avait supplanté Leonardo DiCaprio dans la catégorie des acteurs qui veulent un peu trop prouver qu'ils sont des génies ?
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
The Devil All The Time Robert Pattinson

Dans son nouveau film diffusé sur Netflix depuis la mi-septembre, The Devil All The Time, Robert Pattinson joue le rôle (assez anecdotique au passage) d’un prédicateur évangéliste du Sud des États-Unis pendant les années 60. Pour se préparer à ce rôle « à contre-emploi », l’acteur britannique a cru bon devoir se débarrasser de son accent de Londres en employant non pas des méthodes conventionnelles (comme au hasard, s’appuyer sur l’aide d’un coach vocal), mais en insistant pour trouver lui-même les inflexions nécessaires à son accent de péquenaud gratiné, comme un grand garçon, et surtout pour montrer qu’il en avait dans le pantalon. Le résultat est tout aussi impressionnant que cartoonesque, tant l’acteur en fait des caisses dans chacune de ses courtes apparitions dans cette œuvrette assez anecdotique et bouffe tout l’espace autour de lui. D’ailleurs, depuis, on ne parle quasiment que de ses prouesses labiales, mais j’imagine que c’était un peu le but.

Publicité

Cette démarche, qu’on appellera faute de mieux de « forceur », c’est ce que fait plus ou moins Pattinson depuis une grosse décennie, coïncidant avec la fin de la saga Twilight, soit ce moment où il a compris qu’il ne pourrait jouer éternellement des rôles d’appât à midinettes énamourées – et sans doute car il avait envie d’aller voir ailleurs, notamment auprès de la frange la plus intéressante du cinéma d’auteur contemporain. Sauf qu’on ne voit plus que ça. Que ce soit dans The Lighthouse, où il joue un marin porté sur la branlette et le port de la moustache, dans Good Time, où il joue un petit malfrat de Brooklyn, ou encore dans l’inénarrable The King, où il joue le dauphin français ridicule, tous ses rôles, taillés sur mesure pour l’étendue de sa versatilité, ne semblent crier que : « Par pitié, je suis un acteur avec un grand A. »

Le phénomène n’a rien de nouveau. Pattinson fait partie lui-même de cette race immémoriale d’acteurs qui forcent le trait, lesquels fleurissent à Hollywood depuis au moins la fameuse « méthode » de l’Actors Studio. Aujourd’hui, la galaxie des cabotins n’est pas aussi étendue qu’elle l’a pu être un jour, même si certains noms tirent bien souvent leur épingle du jeu : Leonardo DiCaprio, Robert Pattinson, Christian Bale, Joaquin Phoenix, Matthew McConaughey, Paul Dano, et j’en oublie – Timothée Chalamet n’est pas très loin d’arriver dans le peloton de tête. Mais qu’est-ce qui peut bien réunir des acteurs aux parcours a priori si disparates ?

Publicité

Ils sont beaux (mais pas que, et pas tout le temps)

Selon les règles tacites en vigueur depuis qu’Hollywood est Hollywood, un acteur dramatique en haut de l’affiche se devra d’afficher un sourire écarlate et une structure osseuse admirable sous peine d’excommunication - sauf à de rares mais notables exceptions, comme, au hasard, quand on s’appelle Paul Giamatti.

Sauf que, et c’est sans doute un paradoxe pour ceux qui ne peuvent que rêver de ressembler un jour à une gravure de mode, mais les traits parfaits peuvent parfois s’avérer être des handicaps, et figer les prétendants à une quête de respectabilité dans des postures peu enviables. Les DiCaprio et Pattinson en ont d’ailleurs fait les frais, cantonnés dans leurs jeunes années à des rôles de jeunes premiers à l’œil brillant, mais à la palette de jeu limitée (même si les choses étaient plus compliquées pour DiCaprio, qui, contrairement à Pattinson pour Twilight, a eu une vie bien remplie avant Titanic). Depuis, les deux ont tout fait pour se débarrasser de leur image de poster boy pour pucelles en fleur, en s’engageant dans des rôles toujours plus torturés pour le premier, et toujours plus cinglés pour le second. Le tout en n’ayant jamais peur de sombrer dans l’outrance la plus totale, ce qui n’empêche pas de notables morceaux de bravoure.

Ils ont été pondus à Hollywood (même s’ils ne sont pas tous américains)

La plupart des acteurs-forceurs partagent une certaine science du caméléon, qui est, en soi, déjà quelque chose de très américain. En France, quand Depardieu joue, on ne voit que Depardieu, il ne sort pour ainsi dire jamais de son personnage d’ogre débordant. Aux États-Unis, il est souvent attendu que les acteurs s’immergent dans leurs personnages jusqu’à plus-soif, qu’ils infiltrent la mafia irlandaise pendant des mois pour pouvoir ne serait-ce que tenir leur pinte correctement face à la caméra. Et ils n’ont pas besoin d’être américains pour forcer le trait : pensons à Daniel Day Lewis, sans doute le parrain officieux de cette génération actuelle d’acteurs-là. Mais si l’Irlandais s’est illustré dans des productions européennes, c’est surtout à Hollywood qu’il a pu abattre le mieux ses qualités les plus immodérées.

C’est une tradition qui vient, comme on l’a dit, de la « méthode » de l’Actors Studio, importée à New York par Lee Strasberg dans les années 40, et qui fait aujourd’hui que tout jeune acteur qui débarque à Hollywood veut plus ou moins être Al Pacino. Un des moments qui illustrent le plus ce particularisme est arrivé dans Marathon Man, où Dustin Hoffmann s’entrainait à la course comme un dératé tous les, et que le sire anglais Lawrence Oliver, issue d’une tradition théâtrale autrement plus « élisabéthaine », lui aurait demandé s’il ne comptait pas se mettre à jouer tout simplement.

Publicité

Et c’est là que ça se corsent pour nos esthètes du forcing d’aujourd’hui. Car à force de vouloir en faire des caisses et de rentrer au pied de biche dans leur personnage, on ne voit plus qu’eux – l’acteur, pas le personnage. Ce qui nous amène à notre point suivant.

Ils prennent toute la place

Dans The Devil All The Time, quand Robert Pattinson débarque lors d'un déjeuner organisé par les membres de sa nouvelle paroisse pour l’accueillir, on ne voit tout de suite que lui - alors même qu'il a plutôt un rôle secondaire dans le film. La voix off nous indique que son personnage «  mange avec ses doigts, pendant que le jus des abats se répand dans sa bouche », son accent du sud pas possible bouffe tout l'espace, si bien qu'on ne pense plus qu'à lui et qu'on oublie presque ce qu'on était venu faire là à la base. Cela fait plusieurs films (à quelques exceptions notables près, comme Tenet) où dès que Pattinson apparaît à l'écran, le film devient The Pattinson Show.

Faites place à l'acteur avec un grand A, et tant pis si tous ses personnages de jeu n'en récoltent que les miettes – à ce titre, The Lighthouse est intéressant, en ce qu'il apparaît comme face-à-face méta entre deux acteurs-forceurs de génie, Robert Pattinson et Willem Dafoe, lesquels sont enfermés dans un phare pendant toute la durée du film, et finissent immanquablement par s'entre-tuer. Autre exemple notable de battle de forceurs : ce moment dans The Wolf of Wall Street où Leonardo DiCaprio se fait battre sur son propre terrain de jeu hystérique par un Matthew McConaughey hilare qui lui enseigne les joies de l'échauffement sous coke en entreprise. A ce moment-là, on se dit que les forceurs ne sont jamais mieux lotis que lorsqu'ils sont lâchés comme dans un combat de gladiateur. Au moins, un des deux va forcément canaliser l'autre.

Publicité

Ils font du zèle

Regardez-moi Robert Pattinson dans sa première apparition dansThe King, film plutôt soporifique par ailleurs, mais que l'acteur britannique dynamite dans une scène hilarante qu'un peu embarrassante. Dedans, il débarque en Louis de Guyenne, dauphin français et fils de Charles VI qui défie le roi d'Angleterre Henry V, joué par Timothée Chalamet, en se foutant de sa gueule et en lui lançant, en gros, qu'il a peut-être « des grosses couilles mais une toute petite bite ».

En roue libre totale, il dit tout ça avec un accent d'écolier de CM2 qui se forcerait à lire un texte dont il n'a pas la moindre idée de la signification. Sa performance outrée pour un film qui est par ailleurs d'un sérieux papal montre une chose : quand ils ne sont pas dirigés, les acteurs-forceurs n'en font qu'à leur tête. Avec bien souvent le risque de faire n'importe quoi - pour le cas de Pattinson dans le film suscité, un pastiche involontaire des Monty Python du plus bel effet. Tout le monde a compris que vous étiez des grands acteurs, il serait peut-être temps d'arrêter un peu d'en faire des caisses et des caisses à chacune de vos apparitions. Il y a un moment où vous allez vraiment vous faire du mal.

Ils sont un peu tarés (et ça les rend plutôt fascinants)

Il est communément accepté que les acteurs-forceurs, dans la plus pure tradition des casse-couilles, sont des gens « difficiles ». C'est le cas avec Christian Bale qui pique une colère monstre parce qu'un technicien a le malheur de passer dans le plan pendant une prise de Terminator, c'est également le cas avec Pattinson qui refuse de faire de l'exercice ni de suivre un régime alimentaire strict pendant le confinement pour Batman, en déclarant notamment : « Si vous vous entrainez tout le temps, vous faites partie du problème. « Personne ne faisait cela dans les années 1970. Même James Dean – il n’était pas exactement bodybuildé.  »

Résultat, le tournage de The Batman a dû être encore une fois repoussé, car Pattinson aurait officiellement chopé le Covid, mais d'autres rumeurs indiquent des problèmes de poids pris pendant le confinement. Sans faire de la psychologie de comptoir, on se dit que le jusqu’au-boutisme de ces acteurs-là doit forcément traduire une forme d’inconscience qu’on ne suivrait pas s’ils n’étaient pas tous aussi excellents. Et que leur hardiesse n’est pas aussi troublante que lorsqu’ils se mettent réellement en danger -eux comme leur carrière. Il n’y a qu’à observer Joaquin Phoenix dans I’m Still Here, dans lequel il fait semblant pendant deux ans d’abandonner sa carrière d’acteur pour se lancer dans le rap bouffi, pour se dire qu’on a face à nous, mine de rien, des types dont l’art du sacrifice et du don de leur personne est, dans le meilleur des cas, une source de fascination absolue. Quand elle n’est pas franchement épuisante.

Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard. VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.