Pourquoi le premier single malt québécois n’est pas un whisky… pour l’instant

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Pourquoi le premier single malt québécois n’est pas un whisky… pour l’instant

Au Canada, un whisky qui n’a pas encore passé trois ans en fût de chêne n’en est pas un. Aux États-Unis, on est moins exigeant : il n’y a qu’à indiquer l’âge sur la bouteille.

La distillerie de Janos Sivo se situe sur une ferme de Franklin, en Montérégie, près de la frontière canado-américaine.

« Deux kilomètres au sud d'ici, ce serait un whisky », dit-il en pointant une bouteille du premier alcool de malt québécois.

De notre côté de la frontière, un whisky qui n'a pas encore passé trois ans en fût de chêne n'en est pas un. Aux États-Unis, on est moins exigeant : il n'y a qu'à indiquer l'âge sur la bouteille. (Mais ce n'est qu'après deux ans d'âge qu'on l'appelle straight whisky).

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Janos Sivo. Photos : Alison Slattery

La première cuvée de Janos — faite exclusivement d'orge de la Malterie Frontenac — a été vieillie pendant neuf mois, 27 de moins qu'il en faut pour qu'on puisse officiellement parler du premier whisky québécois. Mais, malgré cette lacune temporaire, il attire déjà l'attention dans une province de mieux en mieux connue pour ses vins, même si le climat y est beaucoup plus hospitalier à l'orge qu'à la vigne.

« Le seul client au Québec, c'est la SAQ. Je ne vends à personne, explique Janos. Selon la réglementation et les appellations du Québec, le whisky doit avoir vieilli au moins deux ans en fût de chêne. Mon produit n'a vieilli que deux ans. À cause de l'humidité et des changements de température d'ici, il vieillit beaucoup plus vite, mais la réglementation se fiche de la vitesse à laquelle il vieillit. »

Quand la monolithique SAQ s'intéresse à un produit, comme elle l'était pour l'alcool de malt de Janos, on s'adapte. Il a donc embouteillé une cuvée vieillie neuf mois et l'a appelée L'Essence du Single Malt, question de sonder l'intérêt du marché québécois.

« J'ai produit un alcool de malt de neuf mois pour que mon nom entre dans le marché, pour être honnête. Ça nous a donné le temps de découvrir les températures d'embouteillage et de filtrage. On n'avait même pas filtré la première cargaison à la SAQ; il y a avait des particules en suspension dans les bouteilles, raconte Janos en riant. Mais beaucoup de gens ont aimé son goût. »

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Parmi eux, Jean-Sébastien Michel, mixologue et propriétaire d'Alambika, une boutique spécialisée en accessoires de dégustation et couteaux japonais.

« J'aime utiliser de jeunes whiskys dans les cocktails, ils ajoutent de la fraîcheur, dit-il. C'est aussi un excellent échantillon de l'évolution du produit. Parce qu'il fallait le commercialiser, c'est un jeune whisky qui se retrouve sur les tablettes en ce moment. On doit l'apprécier pour ce qu'il est, c'est-à-dire un jeune whisky, et le comparer à d'autres très jeunes whiskys. »

« Le Québec est une région nordique, ajoute Jean-Sébastien. Produire du vin ici sera un défi tant que la Floride ne sera pas un désert. Nos matières premières sont les céréales, les herbes aromatiques et les baies. Le monde en a assez de l'agriculture industrielle. Pour Janos, c'est le terroir avant tout, et il ajoute sa propre touche culturelle. »

Comme l'industrie est encore naissante, un gentleman-farmer comme Janos profite de ce désert commercial pour faire sa marque. Et il n'expérimente pas qu'avec l'orge.

Janos produit entre autres aussi un whisky de seigle, une liqueur d'herbes et des eaux-de-vie à base de fruit. Non seulement ces boissons profitent-elles des qualités des végétaux précédemment mentionnés, mais elles puisent dans le lieu et l'époque où Janos a appris à fabriquer de l'alcool.

Dans son enfance en Hongrie, raconte-t-il, ses grands-parents produisaient des pálinka – des cognacs à base de fruit – dans leur maison de Tököl, un petit village de l'île de Csepel, à 40 kilomètres au sud de Budapest.

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« C'était illégal, et c'est encore illégal, mais les gens en font toujours. » En fait, quand un policier se présentait chez ses grands-parents, ce n'était pas pour les arrêter, mais pour se procurer de l'alcool.

« C'est très présent dans la culture hongroise, surtout dans les villages. Chacun fait son propre alcool. Personne ne va en acheter, sauf aux voisins. La première chose qu'on fait le matin, c'est prendre un petit verre. C'est dans la culture. »

Aujourd'hui au Québec, il n'a pas la même latitude. Comme il est illégal de distiller de l'alcool à domicile, Janos, qui se cherchait un passe-temps pour sa retraite après des décennies comme cadre dans les télécommunications (dont 12 ans comme vice-président chez Vidéotron), a lancé sa propre distillerie. C'est devenu beaucoup plus qu'un passe-temps.

Et son intérêt ne se limite pas à un seul produit. Il a aussi créé une liqueur d'herbes qui pourrait tenir tête aux classiques. Baptisée Shámán, elle évoque les expériences spirituelles et les propriétés psychoactives souvent associées aux quantités excessives de chartreuse, de Jägermeister et d'absinthe.

« Shámán serait dans la catégorie du Jägermeister, mais c'est différent. Il y a moins de sucre. C'est un goût qui se développe, mais ceux qui connaissent les liqueurs d'herbes l'aiment. Je ne dévoilerai pas la recette ou le nombre d'herbes qu'il y a dedans, mais vous l'aimerez, vous la trouverez magique. »

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Jean-Sébastien est de toute évidence emballé. « Elle touchera certainement une corde sensible au Québec, tous les amateurs de cocktails dorment avec une bouteille de chartreuse sous l'oreiller. Avoir une version québécoise d'une liqueur d'herbes de style européen, c'est vraiment cool. »

Néanmoins, le principal intérêt de Janos, c'est le whisky.

« C'est un produit complexe, un produit excitant, et pas facile à faire. Il faut du temps et on doit faire attention à ce qu'on fait. C'est un grand défi de faire un bon whisky au Québec. Il y a tout ce qu'il faut ici pour avoir une industrie du whisky — sauf la réglementation. »

Pendant que Janos et de nombreux autres distillateurs de la province attendent un changement législatif qui rendrait le Québec plus concurrentiel dans l'industrie des spiritueux, son alcool de malt est de plus en plus près de devenir un « vrai » whisky. Plus qu'un an avant d'atteindre le seuil des trois ans, l'avenir est lumineux à Franklin.

Comme son alcool de malt, Sivo continue de gagner en maturité, et il travaille étroitement avec les agriculteurs sur l'orge qui pourrait servir à créer le premier whisky tourbé.

Il est le premier à admettre qu'on est facilement pionnier ici en matière de spiritueux. « Ce n'est pas difficile d'être le premier à faire quelque chose dans le domaine du whisky au Québec, en grande partie à cause de la réglementation. »

Jean-Sébastien Michel conclut en disant que les efforts des gens en région comme Janos Sivo, qui acceptent de travailler avec un climat difficile, météorologique mais aussi législatif, doivent être soulignés. « Vive monsieur Sivo! »