Line-up Dour
Festivals

La recette d’un bon line-up selon les programmateurs de Dour et Primavera

Et non, booker Aya Nakamura ne suffit pas.
Souria Cheurfi
Brussels, BE

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Ces 7 et 8 novembre, FiftyFifty Lab s’empare de cinq lieux bruxellois afin de transformer la ville en un site de festival, mais du genre urbain et hivernal. Vingt festivals européens se sont chargés de la progra, histoire de vous faire découvrir leurs pépites du moment. Du coup, durant ces deux jours, vous pourrez assister aux performances des coups de coeur des programmateur·ices du Dekmantel ou encore du Best Kept Secret.

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En se qualifiant de « Smart Curated Festival », le FiftyFifty Lab met en avant une approche curatrice assez unique qui nous a poussé à nous demander ce qui, en fin de compte, fait qu’un line-up soit bon ou non.

On a rencontré Pau Cristòful, programmateur principal du Primavera Sound à Barcelone, et Mathieu Fonsny, programmateur de notre cher Dour Festival, afin d’en savoir plus sur le processus de création d’un line-up de festival.

VICE : Salut les gars. Votre festival se tient une fois par an. À partir de quand commencez-vous à vous pencher sur le line-up ?
Pau : En fait, c'est un processus qui ne finit jamais. La période d’envoi des offres s'étend principalement du début septembre à la fin novembre, donc on a déjà des offres pour 2021. Par contre, on a toujours des changements de dernière minute, donc on finit toujours par booker des artistes jusqu’à quelques mois avant le début du Primavera en mai. Dans tous les cas, on est constamment à la recherche d’info en écoutant de la musique, en diggant sur le net ou en assistant à des conférences comme au FiftyFifty Lab.

Mathieu : Pour Dour, comme pour Marsatac, on pense déjà à l'affiche de l'édition prochaine alors qu'une édition est toujours en cours. Beaucoup plus que de penser à tel ou tel groupe précis, on réfléchit en terme d'ambiance et d'atmosphère. A-t-on bien fait de mettre tel style de musique le premier jour, tel autre le dernier ? Doit-on favoriser tel ou tel style dans nos prises de choix et de risques ? Ce sont toutes ces questions qui nous animent pendant une édition d'un festival et que l'on tente de noter puis de se remémorer après l’événement afin de repenser la grille de programmation pour l'optimiser l'année suivante. Ensuite, plus concrètement, c’est seulement une fois que l'on a choisi les styles et les ambiances qu’on pense à y placer des idées de groupes.

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Et vous êtes à combien sur la progra ?
Mathieu : À Dour, on est deux, en plus d’un consultant métal, un consultant dub et musiques plus extrêmes et un consultant drum’n’bass. Donc cinq au total.

Pau : L'équipe de bookings du Primavera Sound est composée de 10 personnes. C'est un bon mélange entre passionné·es de métal et de reggaeton qui donne à notre line-up une représentation éclectique, large et diversifiée de la dynamique musicale actuelle. La même équipe s’occupe des éditions de Barcelone et du Portugal, et certain·es d’entre nous travaillent déjà sur notre première édition à Los Angeles, en septembre 2020.

Il y a pas mal d’aspects à prendre en compte pour la création d’un line-up. Accordez-vous une place particulière aux artistes locaux, par exemple ?
Pau : Primavera a toujours une représentation importante de la scène locale et nous avons soutenu et développé des groupes clés avant leur percée : Rosalía a joué dans notre auditorium en 2017 alors qu’elle n’était pas encore connue, et on a aussi fait jouer John Talabot à 3h du matin (peak time pour un dj) en 2012, bien avant qu’il ne devienne l’un de nos artistes les plus reconnus à l’international. C’est essentiel de soutenir la scène locale si on veut avoir une industrie musicale locale saine et pertinente. De plus, je pense que Primavera a eu un impact énorme sur de nombreux artistes locaux : j'ai commencé à aller au festival à 14 ans (en 2007) et j'ai découvert des groupes comme Sonic Youth, Slint ou Pelican, qui ont fortement influencé le band que j’ai commencé à l’époque, quand j’étais ado.

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Mathieu : À Dour, notre affiche comporte environ 40% de Belges, je pense. On essaie chaque année de mettre en valeur les artistes de notre pays dans tous les styles. Que ce soit des groupes émergents ou des groupes que l'on a envie de pousser et les exposant en peak time. C'est comme cela que cette année, Amélie Lens, Charlotte de Witte, Roméo Elvis et Damso étaient têtes d'affiche ou que Le Motel a clôturé la Boombox devant 9000 personnes. On a aussi une journée 100% belge dans le Labo le vendredi du festival - jour où il y a le plus de pros étrangers sur le site.

Pensez-vous ceci dit que les talents locaux suffiraient à attirer un large public ? Est-ce encore possible d’organiser un festival sans booker de headliner ?
Mathieu : Je pense que quand tu as un public identifié, dans une zone géographique précise et que tu te tiens à cet ADN que tu veux donner à ton événement, il arrive un moment où tu as fidélisé ta communauté et, tant que tu ne la déçois pas, cette communauté peut revenir sans headliner.

Pau : C’est vrai. Ça dépend vraiment du line-up et de l'histoire du festival : il existe d'énormes festivals comme Fusion qui se vendent sans même annoncer leur programmation car les gens connaissent le festival surtout pour son expérience unique. En plus du Primavera, je m’occupe aussi de l'édition espagnole de MUTEK et on peut y rester très clandestin, car nos capacités sont beaucoup plus limitées que celles du Primavera. Du coup, la progra est encore plus centrée sur l'inconnu et l'expérimental que celle du Primavera - même si je pense que le public du Primavera est le plus curieux pour un grand festival.

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Mathieu : Ceci dit, à Dour, on a besoin des headliners pour créer des moments où tout le monde se rassemble et partage un moment ensemble. Mais ce n'est pas ce qui fait le festival. L'ADN du festival, c'est sa diversité et la curiosité de cette communauté de mélomanes venue de partout qui se rassemble et se rencontre pendant cinq jours chaque année.

Pau : Exactement. Au Primavera, on a acquis une certaine renommée donc beaucoup achètent des billets avant même que le line-up ne soit annoncé. Mais maintenant que notre capacité dépasse les 60 000 personnes par jour, il est vrai que les gros noms nous aident à vendre plus de tickets.

Cette année, le line-up du Primavera comportait 50% d’artistes féminines. Cette approche est-elle nécessaire aujourd’hui ?
Pau : Notre line-up a attiré l’attention des médias internationaux en raison de son équilibre entre artistes masculins et non-masculins - je n’aime pas parler de représentation féminine, car nous avons également booké beaucoup de personnes trans et non-binaires. Cependant, notre concept « The New Normal » ne concerne pas seulement cela, il consiste également à ouvrir le festival à des genres musicaux traditionnellement stigmatisés, comme le reggaeton ou le pop traditionnelle, et à faire venir des artistes de pays qui ne sont généralement pas représenté·es dans les festivals. Je pense que tout le monde devrait avoir une responsabilité morale et éthique dans son travail et cette initiative a eu un impact significatif sur l'industrie musicale, qu’il s’agisse d’autres festivals ou même d'agents qui ont réalisé qu’iels n’avaient aucun·e artiste non-masculin·e à mettre en avant et qui tentent de corriger ce déséquilibre.

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Et à Dour, comment ça se passe Mathieu ?
Mathieu : En fait, ça vient assez naturellement. On évite de se mettre une contrainte là-dessus pour une simple raison, c'est que nous sommes un festival multigenre. On a de la place pour le métal et le reggae autant que pour le hip hop et la techno. Certains genres, comme les premiers cités, ont très peu de représentantes féminines et il est parfois très dur de trouver même quelques artistes féminines dans ces genres. Pareil pour la drum'n'bass. C'est pour cela que les calculs de parité sont biaisés dans notre cas.

Wallonie-Bruxelles Musiques a récemment mis en place la charte Scivias , qui a pour but de réduire les inégalités de représentation hommes/femmes dans le domaine musical et incite notamment celleux qui la signent à rendre un rapport en fin d’année, sans pour autant leur imposer de quota. Pensez-vous que l’industrie musicale devrait imposer des quotas pour assurer plus de diversité ?
Pau : Je ne crois pas aux quotas car ils pourraient pousser les bookers à donner des places en raison du genre des artistes et non de leur qualités musicales. La plupart des festivals sont des entreprises privées et non publiques. Par conséquent, même si j’essaie de maintenir une certaine éthique, on final, on est tou·tes libres de faire ce qu'on veut. En tout cas, quand je book un·e artiste, c'est toujours parce que j'aime sa musique et que je pense qu'iel s'intégrerait bien à notre line-up ; pas pour son genre. Mais je sais aussi qu’un line-up équilibré, diversifié et vaste rend notre festival plus pertinent, intéressant et excitant.

Mathieu : Je pense que cela doit devenir normal. J'ai beaucoup aimé le parti pris du Primavera cette année. On ne peut le faire à Dour pour la raison que je viens d’expliquer, mais si on regarde les styles dominants comme la techno et le hip hop, on respecte la parité.

Au final, c’est quoi les ingrédients d’un bon line-up ?
Mathieu : Arriver à rassurer, surprendre et faire découvrir à la fois.

Pau : Je pense que l'essentiel pour un line-up c’est l'équilibre dans tous les aspects. Il ne faut pas penser en terme de créneaux horaires individuels, mais plutôt tenter de créer un récit qui ait un sens et qui soit complémentaire.

Chopez vos tickets pour le FiftyFifty Lab du 7 et 8 Novembre à Bruxelles.