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société

L’écart salarial entre les genres commence à 14 ans

Dans son livre « The Cost of Being a Girl », Yasemin Besen-Cassino démontre comment la disparité salariale commence dès qu’on entre sur le marché du travail.
Photo via Stocksy

Quand j’avais 14 ans, je gagnais de l’argent en faisant du gardiennage à l’église. Deux soirs par semaine, je surveillais deux à huit enfants dans la crèche pendant que leurs parents assistaient à des services religieux. Je travaillais de quatre à cinq heures par semaine, quoique ça ne m’a jamais vraiment paru être du travail. C’était une bonne affaire : la femme du pasteur me payait 100 $ par mois essentiellement pour jouer avec des enfants très mignons.

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À l’adolescence, ces 100 $ se sont avérés insuffisants pour couvrir ma dépendance croissante au magasinage. Je me suis trouvé un boulot à temps partiel dans un restaurant rapide qui payait un peu plus que le salaire minimum, mais j’ai gardé mes mercredis et dimanches soirs libres pour faire du gardiennage à l’église. Éventuellement, la femme du pasteur m’a demandé si je pouvais également garder les vendredis soirs pendant la prière hebdomadaire. Je lui ai alors demandé, de manière apparemment éhontée, si elle comptait me payer davantage pour ces heures supplémentaires. Nous avons eu un petit problème de communication à cause d’une barrière linguistique, mais sa réponse disait tout : elle a ri.

J’ai cessé de faire du gardiennage peu de temps après.

Je n’avais pas repensé à cette expérience depuis des années, mais c’est la première chose qui m’est venue à l’esprit quand j’ai commencé à lire le livre de Yasemin Besen-Cassino, The Cost of Being a Girl: Working Teens and the Origins of the Gender Wage Gap. Besen-Cassino, qui est professeure de sociologie à l’Université d’État de Montclair, y argue que l’écart de rémunération entre les genres commence dès nos premiers emplois en tant qu’adolescents.

Étudier l’équité salariale chez les adolescents est « un laboratoire social idéal », affirme Besen-Cassino. La plupart des explications courantes pour expliquer que les femmes gagnent moins que les hommes, comme d’avoir à quitter le marché du travail pour avoir des enfants et s’en occuper, par exemple, ne concernent pas cette tranche de la population. « Si on regarde les jeunes adolescents, ils n’ont pas d’enfants, ils n’ont pas de tâches ménagères. Ils ont exactement la même expérience et la même éducation », explique-t-elle. Elle a effectué une série d’études quantitatives et qualitatives pour déterminer le moment où l’iniquité salariale apparaît dans le lieu de travail, les facteurs qui contribuent à ces disparités et pour comprendre ce à quoi ressemblent vraiment ces expériences.

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Dans une analyse de données (tirée de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes de 1997, qui comprenait 8984 répondants nés entre 1980 et 1984), Besen-Cassino a découvert que les adolescents gagnaient à peu près le même salaire lorsqu’ils avaient 12 et 13 ans, soit 120 $ à 125 $ par année. Cela s’explique par le fait que le seul type de travail qu’ils peuvent faire à cet âge est du travail à la pige comme du gardiennage, du tutorat, du déneigement et de l’entretien de pelouse. À 14 et 15 ans, les garçons gagnent plus parce qu’ils commencent à travailler davantage dans le cadre d’emplois, tandis que les filles continuent de travailler à la pige. En moyenne, les garçons font ainsi 400 $ par année, tandis que les filles font 266 $. L’écart salarial continue de croître à partir de ce moment-là : les filles de 16 à 19 ans font environ 200 $ de moins que les garçons du même âge.

Besen-Cassino explique qu’une des raisons pour lesquelles les filles font du travail à la pige plus longtemps est leur réseau informel. « Ces petits réseaux leur permettent de trouver du travail plus facilement, mais ils rendent également difficile le fait de quitter ces emplois. Elles se font dire : “On a besoin de toi, l’enfant a besoin de toi, reste un peu plus longtemps.” Et ces réseaux rendent difficile le fait de demander de l’argent ou de négocier le salaire. »

Pour ajouter à son analyse, Besen-Cassino a également interrogé 35 gardiennes et trois gardiens. À travers ces conversations, elle a découvert que les stéréotypes de genre semblaient déjà affecter le travail que ces jeunes faisaient. « J’ai remarqué que les parents traitaient les gardiens très différemment, relate-t-elle. On accordait plus de valeur à leur temps, ils étaient mieux payés et on ne leur demandait pas de faire d’autres tâches comme de l’entretien ménager ou de la cuisine. Ils allaient là, se faisaient payer, et lorsque leur quart de travail était terminé, ils rentraient à la maison. »

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L’une de ces entrevues a particulièrement frappé Besen-Cassino. La femme en question, Emily, avait commencé à faire du gardiennage pour une famille lorsqu’elle avait 12 ans, et s’occupait d’un seul enfant. Au moment où Besen-Cassino lui a parlé, elle était étudiante universitaire, et la famille comptait désormais quatre enfants. « Sa description de tâches était passée de garder un enfant pendant quelques heures le vendredi soir, soit essentiellement de regarder la télé et faire ses devoirs, à s’occuper de quatre enfants à temps plein, dit-elle. Mais sa paie n’avait pas changé, et lorsqu’elle a arrêté de travailler pour cette famille-là, elle avait cumulé beaucoup d’heures non payées. »

« En fin de compte, poursuit-elle, les normes sociales l’avaient persuadée de ne pas demander plus d’argent et d’assumer de nombreuses dépenses de sa propre poche. On avait profité d’elle. Elle avait l’esprit brisé. Dès qu’on fait entrer les adolescents sur le marché du travail, on les habitue sans le vouloir aux problèmes qui existent sur le marché du travail. On leur enseigne qu’il y a des inégalités de genre lorsqu’on négocie un salaire, et qu’on n’obtient pas ce qu’on veut lorsqu’on cumule de nombreuses heures non payées. »

« Évidemment, ajoute-t-elle, la race et la classe sociale ont également un énorme rôle à jouer dans le travail chez les adolescents, comme c’est le cas chez les adultes. » Besen-Cassino explique dans son livre que « tandis que les jeunes femmes blanches aisées sont très recherchées, les femmes de couleur au revenu relativement faible ont beaucoup plus de difficulté à se trouver un emploi, mettent plus de temps à se trouver un emploi, sont souvent boudées sur le marché du travail et doivent souvent se contenter d’emplois moins payants dans des restaurants rapides, ce qui augmente l’écart salarial. » Cet écart de rémunération entre les femmes blanches et les femmes de couleur se poursuit d’ailleurs jusqu’à l’âge adulte : les femmes noires gagnent environ 63 pour cent du salaire des hommes blancs, tandis que les femmes blanches gagnent 80 pour cent de ce même salaire.

Besen-Cassino a également découvert que les premiers emplois ont d’importants effets à long terme chez les femmes. En analysant les données longitudinales d’un ensemble de données qui suivait des adolescentes jusqu’à l’âge adulte, au moment où la plupart d’entre elles avaient des emplois qui n’étaient pas liés au travail qu’elles faisaient en tant qu’adolescentes, elle a conclu que les femmes qui avaient travaillé à temps partiel en tant qu’adolescentes gagnaient en fait moins que les hommes adultes, soit environ 2000 $ de moins par année.

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« Le travail joue un rôle tellement central dans la vie des jeunes, dit-elle. C’est pourquoi il est important que nous ayons plus de débats publics à propos de l’écart de rémunération et que nous soyons plus transparents quant au salaire, afin que les jeunes filles soient mieux équipées pour demander ce qu’elles méritent. »

« Lorsqu’on parle aux jeunes, poursuit-elle, ils voient l’écart salarial comme quelque chose qui va les toucher plus tard dans la vie, et ils considèrent qu’ils n’ont pas encore à s’en soucier. Mais en fait, il s’agit déjà d’un problème immédiat. »