Les prostituées de Saint-Josse n’en peuvent plus de leur bourgmestre

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Elections 2018

Les prostituées de Saint-Josse n’en peuvent plus de leur bourgmestre

À quelques jours des élections communales, elles dressent le bilan peu reluisant de six années sous le mayorat d’Emir Kir.
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Brussels, BE
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Brussels, BE

Fin mai, le bourgmestre de Saint-Josse Emir Kir a décidé la fermeture d'environ quarante vitrines de prostitution sur sa commune. Cette décision, si elle n’est pas cassée rapidement par le Conseil d’Etat, aura une conséquence essentielle : plus de cent prostituées vont se retrouver à la rue dès janvier 2019 faute d’alternatives prévues par l’élu socialiste. Pour des raisons de moralité publique et de préservation de la tranquillité, la coexistence avec les travailleuses du sexe ne serait plus possible dans un quartier où ont été inaugurés de nouveaux logements sociaux et une crèche. Mais est-il moral de jeter une centaine de filles à la rue ? Et quel avenir pour celles qui continueront à exercer dans des conditions souvent épouvantables ?

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Des agressions de plus en plus graves et fréquentes contre les prostituées La dernière fois que j’ai mis les pieds dans le quartier historique de la prostitution bruxelloise, c’était à l’occasion d’une marche blanche en hommage à Eunice, une femme nigériane de 23 ans tuée au bout de la nuit par un jeune client toxicomane. En ce début d’automne je retrouve Marie qui travaille ici depuis 26 ans, ainsi que Fate et Tina, deux de ses collègues.

« Qualifier le meurtre d’incident… Un chien écrasé, c’est un incident mais pas ça ! »

Marie ouvre les hostilités : « Je suis très fâchée parce qu’Emir Kir n’a pas réagi après la mort d’Eunice. Sauf pour qualifier le meurtre d’incident qui s’est passé dans la commune d’à-côté. Un incident… Un chien écrasé, c’est un incident mais pas ça ! Et en plus, c’est dans la même rue ! [Schaerbeek et Saint-Josse se partagent la rue Linné, ndlr]. Ce qui est arrivé à Schaerbeek va arriver un jour chez nous. Il n’a pas plus réagi pour la petite qui a été tabassée en février au 17 rue de la Rivière [une autre agression qui a fortement marqué les prostituées, ndlr]. On n’a pas trouvé de secours à la commune. On n’a aucune personne de référence. J’ai dû faire appel à l’opposition Ecolo pour que l’hôpital ne renvoie pas cette gamine sans papiers alors qu’elle était incapable de marcher et avait le visage dans un de ces états… Est-il normal que les travailleuses du sexe de Saint-Josse doivent faire appel à l’opposition ? Le commissaire de police ne nous a pas donné son numéro de téléphone et nous a conseillé d’envoyer un mail en cas de besoin. Un mail… ».

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« Je ne peux pas blâmer les filles de nuit qui proposent des tarifs très bas. Sinon, elles sont battues par leur mama. »

Fate a connu la prostitution de nuit dans une carrée [vitrine, ndlr] de la rue des Plantes. Battue par un client mécontent, elle a perdu une dent. Cette femme indépendante a donc décidé d’exercer en journée. Malgré ce changement, elle a vu au fil des années ses conditions de travail se détériorer. Principalement à cause des réseaux qui obligent les nombreuses prostituées africaines sous leur coupe à casser les prix des passes. « Je ne peux pas blâmer les filles de nuit qui proposent des tarifs très bas. Elles sont obligées de soutirer la moindre somme à chaque client. Sinon, elles sont battues par leur mama [ancienne prostituée africaine reconvertie dans le proxénétisme, ndlr]. Mais la journée c’est aussi risqué. Les trafiquants de drogues et les junkies du coin nous créent des problèmes me précise-t-elle. Marie poursuit : Les dealers profitent de la situation des prostituées africaines, souvent sans papiers, pour les agresser. Elles n’osent donc pas porter plainte. Les clients sont aussi victimes d’agressions et de vols. Avant l’apparition des cafés et snacks qui ont remplacé d’anciennes carrées et où se font de nombreuses transactions, on n’avait pas tant d’ennuis. Aujourd’hui les dealers cachent mêmes des machettes dans la rue, sous les yeux des prostituées. » Un nouveau commissariat, moins d’interventions policières Si Tina, originaire du Ghana, souligne la bonne entente entre les travailleuses du sexe et les riverains - contrairement au portrait souvent dressé par Emir Kir - son discours change dès qu’elle aborde l’action de la police et sa relation avec les jeunes du quartier. Jets d’œufs et de farine sur les vitrines sont courants, quand ce ne sont pas des pierres qui viennent les briser. « La police connaît les gens qui font ça, des gamins de 10-12 ans, mais elle ne les arrête pas. Les tentatives de racket s’ajoutent à ces désagréments. Et quand tu appelles la police, elle ne vient pas. Des filles qui ont transité par l’Italie ou l’Espagne sont ici depuis un an ou deux, sans papiers. Avant, quand une fille n’avait pas ses papiers, la police fermait sa carrée. Maintenant plus. Ce n’est pas normal. »

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Autant de délits qui semblent laisser la police, dont Emir Kir est le chef, indifférente. Pourtant, selon le site internet Bruxelles-news, le Chef de Corps Frédéric Dauphin a déclaré lors de l’inauguration du nouveau commissariat situé au cœur du quartier Nord : « Ce commissariat ne symbolise pas la présence policière dans un secteur à conquérir et contrôler. Il symbolise la réalisation d’une police proche, présente dans tous les quartiers et pour tous et dont l’action pour la sécurité au quotidien se construit et se développe avec tous les acteurs de la vie du quartier et de sa population. » Comment Tina envisage-t-elle son avenir ? « Si ma carrée ferme, je serai obligée de continuer dans la rue ». Une projection plus réaliste que pessimiste puisque la commune rachète depuis 2016 de nombreux bâtiments parfois laissés à l’abandon ou condamnés par des blocs de béton, comme le numéro 47. Ce que déplore Marie : « On pourrait y accueillir des gens en attendant. » Un bourgmestre sourd, aveugle et muet Marie ne décolère pas : « Emir Kir ne veut pas discuter avec des associations comme Espace P ou UTSOPI sous prétexte qu’elles légitiment la traite des êtres humains. C’est faux. Ces associations défendent toutes les travailleuses du sexe sans distinction. Avant d’être élu en 2012, Emir Kir n’est pas passé dans les carrées pour distribuer ses affiches électorales. Ce qui était pourtant la coutume. Preuve qu’il ne voulait pas être associé aux prostituées dès sa première campagne. Après le meurtre d’Eunice, la VRT a organisé un débat auquel le bourgmestre ne s’est pas présenté parce qu’on allait y aborder la prostitution. Il voulait surtout parler des gens du quartier. Mais nous sommes des gens du quartier ! »

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« Emir Kir ne veut pas discuter avec des associations comme Espace P ou UTSOPI sous prétexte qu’elles légitiment la traite des êtres humains. C’est faux. »

En janvier 2018 déjà, pendant l’enquête de la police fédérale qui a permis le démantèlement du réseau de la proxénète surnommée Mama Leather, UTSOPI alertait : « Le bourgmestre de St-Josse, Emir Kir (…) a créé une zone de non-droit, où l'exploitation des TDS [travailleurs du sexe, ndlr] peut s'exercer au grand jour, dans des conditions infâmes, ce dont aucune autorité communale ou régionale ne semble s'inquiéter réellement. La Région de Bruxelles-Capitale (…) devient le théâtre d'une véritable "chasse aux putes", dans des buts très clairs de gentrification et de spéculation immobilière, le tout camouflé par une prétendue lutte contre la traite des êtres humains. Toutes les mesures mises en place jusqu'ici, principalement répressives, ne font qu'accroître la clandestinité et la précarité des TDS. Il est important d'agir, et vite ! La priorité est double : lutter de façon intransigeante contre la traite. Et améliorer les conditions de vie et de travail des TDS. »

L’attention médiatique est retombée autour des rues Linné, des Plantes et de la Prairie après les inaugurations diverses et la condamnation de Mama Leather à quatorze ans de prison. Cependant, de très jeunes nigérianes - entendez mineures - sont encore contraintes de se prostituer jusque sur les trottoirs pour des sommes dérisoires, la nuit comme le jour, dans la commune d’Emir Kir, à deux pas du nouveau commissariat.

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