dessin d'un regard d'une femme
Sexe

Maintenir la vie à deux malgré la sexomnie

« Dans la vraie vie, il est incapable d’une quelconque violence. Mais la nuit, c’est une toute autre personne. »
Lola Buscemi
Paris, FR

Quand Margot et Loïc se rencontrent, les deux sortent chacun·e d’une longue relation. Au début, il ne veut pas se remettre en couple. Ça changera avec le temps. Très vite, dès les premières nuits passées ensemble, un problème se dessine et tout va devenir rapidement très sérieux malgré eux. Loïc fait souvent des approches sexuelles en pleine nuit, mais en donnant l’impression « qu’il a le cerveau débranché », décrit Margot, en y repensant. Il dit et fait des choses qu’il ne fait pas d’habitude, respire différemment, a le regard absent. Margot a l’impression qu’il dort les yeux ouverts. Un matin, elle le questionne, sans savoir trop comment amorcer la chose. « Il me disait : “J’ai un vague souvenir, je me rappelle pas vraiment” », se souvient-elle.

Publicité

Une nuit, elle est en plein sommeil et Loïc tente de la pénétrer de façon assez violente, au point de la blesser. Elle hurle, ce qui le sort brutalement de sa torpeur. Il prend conscience de ce qu’il est en train de faire. Il se met à pleurer, à dire qu’il est un violeur, tout en n’ayant aucun souvenir de ce qu’il vient de se passer. Et pour cause, il était endormi. 

Au début, Margot explique qu’elle pensait que « c’était un truc à lui, que ça n’existait pas ailleurs ». Mais en réalité, le jeune homme souffre de sexomnie, ou somnambulisme sexuel. Un mal très peu connu qui toucherait 8% des personnes atteintes de troubles du sommeil, selon Sharon Chung, chercheuse au Laboratoire de recherche sur le sommeil de l'University Health Network à Toronto. De la même manière qu’un·e somnambule peut se lever et aller prendre une douche sans en garder aucun souvenir, Loïc peut avoir des relations sexuelles, qui vont de la masturbation aux tentatives de pénétration, en plein sommeil.

« Si c’était resté des petites approches faciles à repousser, il n’aurait jamais réellement pris conscience du problème, raconte Margot. C’est vraiment cette fois-là, où il s’est vu, qui a marqué un tournant. » La sexomnie est un trouble qui se vit à deux. Après avoir digéré la découverte de cette maladie énigmatique, il faut également gérer celle de cette nouvelle facette sexuelle inconsciente de son partenaire, qui est souvent beaucoup plus violente que celle connue jusqu’à présent. Margot poursuit : « Dans la vraie vie, il est incapable d’une quelconque violence. Mais la nuit, c’est une toute autre personne. » Aurore Malet Karas, docteure en neurologie et sexologue, m’explique que c’est le phénomène de « levée de l’inhibition », commun en physiologie, qui est responsable de cette autre facette nocturne. En clair, les pulsions sexuelles ne sont plus contrôlées. « Il n’est pas encore possible de savoir si cela correspond à des fantasmes inconscients ou non », dit-elle. 

Publicité

Mais la docteure affirme que la vraie question que pose la sexomnie, outre l’impact sur la qualité de vie des patient·es, c’est l’aspect légal. « Tout repose sur la décision de supporter, ou non, remet la Dre Malet. S’il y a un diagnostic, que la personne se prend en charge, la question de l’éthique ne se pose pas. C’est le libre-arbitre du ou de la partenaire qui entre en jeu. » Au début, Margot choisit de rester. À la difficile question du « Pourquoi ? », la jeune artiste en milieu de soin explique qu’elle s’est, quelque part, sentie investie d’une mission. D’un coup, elle endosse le rôle d'aidante et ne supporte pas l’idée d’abandonner la personne qu’elle aime seul face à tout ça. « C'est arrivé assez tôt dans notre construction, et ça a fait partie des choses où je me suis dit qu'il fallait que j'accepte et que j'affronte pour me faire aimer », analyse Margot. 

Mais le fait que la sexomnie soit encore peu connue du collectif et du corps médical plonge dans une solitude inévitable. « Ça ne fait pas longtemps qu’on en parle, et ça ne fait pas si longtemps que ça qu’il y a des recherches sur le sujet. On a peu de recul d’un point de vue neurobiologique », explique la Dre Malet. Ce qui est d’autant plus compliqué avec la sexomnie, c’est qu’elle vient toucher à la question morale. Loïc, malgré lui, la fait subir à Margot. « C’est très compliqué parce que c’est ton mec, pas ton bourreau, dit-elle. Il fait pas exprès. C’est la source du problème, mais il souffre aussi de ça. Parfois, c’est compliqué de ne pas tomber dans la rancœur quand t’as passé une nuit horrible. » Si elle ne s’autorise pas à lui reprocher son trouble, cette rancœur se traduit dans des disputes quotidiennes. Elle résume : « Le problème ressort en permanence ».

Publicité

Alors pendant un certain temps, Margot rassure, épaule, mais s’oublie, et ne se rend pas compte des répercussions sur sa propre vie. Rien d’inédit, le sommeil « a un gros impact sur la qualité de vie », insiste la Docteure en neurosciences. On passe un tiers de notre vie à dormir, un sommeil perturbé constamment par la sexomnie altère forcément le quotidien. « Ça affecte ma confiance en moi et mon désir », dit Margot. La Dre Malet va plus loin et souligne que la fatigue accumulée, au-delà des conséquences sur le travail et la vie personnelle, peut causer des problèmes de santé. À ça, s’ajoute cette grosse charge mentale qui pèse sur la partenaire. Toutes les nuits, Margot doit repousser Loïc. « Et ça va de la simple étreinte un peu affirmée où j'ai seulement besoin de lui mettre un coup de coude, à l’obligation de vraiment le frapper. C'est hyper dur aussi parce que je le sens comme une violence gratuite. Je le frappe alors qu'il ne s'en rappellera pas », raconte-t-elle. Chaque matin, Loïc demande ce qui s’est passé la nuit et s’excuse, avant même de dire bonjour, mais a mis longtemps avant de réellement se prendre en charge. 

« J’ai demandé beaucoup de fois qu’il aille consulter quelqu’un, ajoute Margit. Il était dans le même déni que quelqu'un qui ne va pas bien et à qui on conseille d'aller voir un psy. Il s'est dit qu'il n'avait pas besoin de soignant et qu'il pouvait se débrouiller tout seul. C’est un peu les dégâts du patriarcat. » Si le raccourci peut sembler trop rapide, le fait est que les hommes consultent moins que les femmes. Pas parce qu’ils sont moins malades, mais parce que l’éducation à la gestion du corps et de la santé reste très genrée. La légende de l’homme viril, qui n’a pas besoin d’aide et encore moins dans tout ce qui touche à sa sexualité, traverse encore les générations et les couches sociales. « Je m’en suis voulu parce que j’ai mis trop de temps à comprendre la gravité de la chose et, du coup, à la prendre en charge, explique Loïc. Le fait que tu dormes, le fait de ne pas vivre les faits… j’ai mis longtemps avant de réaliser et d’agir. » Et toutes ces choses accumulées poussent un jour Margot à la rupture. « Je n’en pouvais plus, je me sentais seule face à ce problème », dit-elle. 

Publicité

Après quelques mois, elle renoue mais impose ses conditions. Désormais, Loïc devra consulter des spécialistes. « Ce qui m’a fait repousser le moment de ma prise en charge, c’est aussi de savoir que le processus va être long, raconte Loïc. Tu t’engages dans un chemin qui doit être fait, mais qui va être laborieux. » La Dre Malet le confirme, il est rare que la sexomnie se résolve totalement. « Il faut apprendre à s’accomoder », explique-t-elle. Tou·tes les deux se sont donc résigné·es à « vivre avec », et à faire les aménagements nécessaires dans leur quotidien. Dans leur appartement, le couple a une deuxième chambre qui permet à Margot d’avoir son espace et de dormir seule, si elle en ressent le besoin. Ils s’accordent sur le fait qu’il est terrible d’en arriver là, mais Loïc explique « réussir à mettre son sentiment de côté au profit de ce qui doit être fait ». Quand ils dorment ensemble, ils placent un traversin entre eux pour réduire au maximum les possibilités de déclencher une crise. « Plus jamais, j’ose m’endormir collé à elle, avoue Loïc. C’est pas facile, ça éloigne nos corps. Heureusement, on sait se retrouver. »

S'ils essaient tant bien que mal de ne pas laisser la maladie prendre toute la place dans leur couple, elle ressort dans pleins d'aspects du quotidien. Depuis le diagnostic, leur vie sexuelle est quasiment absente. « Tu reconnais les gestes, le corps garde en mémoire, dit Margot. Ça nous a anesthésié·es, c’est une sorte de pause nécessaire. On est encore un peu choqué·es de tout ça, même après cinq ans. On décortique tout, donc ça enlève tout le côté spontané du sexe. » Loïc, lui, a bon espoir de retrouver une simplicité, qui leur fera récupérer une libido. « Aujourd’hui, l’acte sexuel serait parsemé d’angoisses, dit-il. Je préfère qu’il ne se passe rien plutôt que ça se passe mal, mais je me dis qu’à cause de ce trouble je nous prive d’un truc hyper cool. »

Forcément, l’avenir reste assez flou à imaginer, mais Loïc et Margot l'imaginent côte à côte. Mais dans les mauvais jours, Margot avoue ressentir une envie de partir, une sensation que le couple mourra à petit feu. « J’espère qu’il va réussir à me décharger un peu du poids que je ressens, j’ai espoir, parce que ça a déjà commencé », explique la jeune femme, qui tient aussi à rapeller la beauté de sa relation. Loïc trouve beaucoup de confort dans la communication au sein de son couple. « C’est étrange, on sait qu’on va avoir des gosses de manière assez certaine alors qu’on n’a aucune vie sexuelle. On voit au jour le jour, mais il y a un vrai espoir. On fera avec. »

VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.