La défaite des libéraux au Saguenay devrait inquiéter Justin Trudeau
À gauche: Richard Martel et Andrew Scheer (Photo : Jacques Boissinot/La Presse Canadienne). À droite : Justin Trudeau (Photo : Neil Hall/EPA)

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La défaite des libéraux au Saguenay devrait inquiéter Justin Trudeau

L’immigration, la gestion de l’offre et la déconfiture du Bloc ont propulsé les conservateurs vers la victoire.

Le Parti conservateur a gagné son premier gros pari au Québec depuis l’élection d’Andrew Scheer à titre de chef en faisant élire Richard Martel lundi soir dans Chicoutimi-Le Fjord. La victoire des conservateurs à cette élection partielle sert d’avertissement à Justin Trudeau pour les élections de 2019, et donne un avant-goût de la stratégie conservatrice au Québec : rallier les nationalistes québécois et unir les voix de droite contre un premier ministre qui divise sur des questions d’immigration et d’image. Un message qui semble avoir interpellé les électeurs saguenéens, qui ont voté à 52,7 % pour l’ancien coach de hockey, contre 29,5 % pour la candidate libérale, Lina Boivin.

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Vers 22 h lundi soir, une trentaine de personnes étaient réunies au bar La P'tite Grenouille à Chicoutimi, où avait lieu le rassemblement de la candidate libérale. Têtes basses, déception évidente, mais des mots qui rassurent : « C’est la popularité de Richard Martel qui lui a donné la victoire », a dit un bénévole à propos de la défaite. Martel est en effet parti avec une longueur d’avance : l’ancien entraîneur-chef des Saguenéens de Chicoutimi est une personnalité publique de la région et fait campagne depuis environ six mois, tandis que Lina Boivin, la candidate libérale, était inconnue du public jusqu’au 7 mai dernier, lorsque la femme d’affaires a remporté l’investiture libérale. Mais la défaite cuisante du Parti libéral, à la suite d’une campagne dans laquelle libéraux et conservateurs multipliaient les attaques l’un contre l’autre, cache un mécontentement grandissant envers le gouvernement Trudeau en région au Québec.

Plusieurs électeurs rencontrés le jour du vote ont dit vouloir « éliminer le Parti libéral » de la carte à Chicoutimi. C’est le cas de Nathalie Bouchard, 50 ans, qui s’est désolée de l’état du Bloc québécois après le passage de Martine Ouellet et s’est contentée de voter contre le Parti libéral.

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Le Saguenay–Lac-Saint-Jean est une terre fertile pour les souverainistes. Au provincial, le comté de Chicoutimi est détenu par le Parti québécois depuis 1973. Vu la déroute du Bloc québécois, le Parti conservateur a cherché à rallier les nationalistes à sa cause en ciblant l’image du premier ministre. Les publicités du chef Andrew Scheer ont martelé le même message tout au long de la campagne, en incitant tous ceux « qui n’en peuvent plus de voir Justin Trudeau vivre dans un monde de Calinours » à voter pour les conservateurs. Il a gagné son pari. Richard Martel a d’ailleurs célébré sa victoire aux côtés de Michel Gauthier, l’ancien chef du Bloc.

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La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean abrite la « vallée de l’aluminium » ainsi qu’une grappe d’agriculteurs importante. Les pourparlers autour de l’ALÉNA, principalement ce qui touche à la gestion de l’offre, ont des conséquences directes sur la vie des Saguenéens. S’il est réconfortant pour l’équipe Trudeau de se dire qu’il aura fallu recruter un candidat conservateur vedette pour les battre, les électeurs à qui j’ai parlé ont exprimé leur mécontentement par rapport à plusieurs enjeux qui dépassent les frontières locales, entre autres l’immigration irrégulière, le voyage en Inde du premier ministre et sa soif des caméras.

« L’organisation libérale a misé sur le G7 et l’image du chef plutôt que de trouver un candidat vedette », a dit Marc St-Hilaire, le chef de nouvelles du journal local, Le Quotidien. Ce dernier affirme que Justin Trudeau aura besoin de bien plus qu’un « selfie » pour rallier des appuis au sein de la population locale.

Un autre électeur, qui n’a pas voulu s’identifier, a dit avoir été influencé par l’immigration irrégulière au Canada et l’enthousiasme de Trudeau devant le multiculturalisme, et ce, en dépit du fait que la région n’en voit pas les effets. Le Saguenay–Lac-St-Jean a accueilli seulement 625 immigrants entre 2011 et 2015. Sur les 276 368 résidents de la région, 270 680 personnes ne parlent que le français, selon le recensement de 2015.

Orpheline depuis octobre dernier, quand le député libéral Denis Lemieux a annoncé son départ, la circonscription avait aussi été négligée par Ottawa ces derniers temps. Ce sentiment de laisser-aller de l’équipe Trudeau, mélangée à une déconnexion idéologique avec la population locale, a visiblement nui à l’équipe libérale, même si la formation a fait des efforts considérables pour garder le siège. Une électrice a dit avoir reçu quatre appels du Parti libéral, ce qui, selon elle, frôlait l’exagération.

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Lors de la campagne américaine de 2016, la démocrate Hillary Clinton a été critiquée pour avoir laissé de côté les États clés en ne les visitant pas avant le jour J. On peut difficilement faire le même reproche au premier ministre canadien. Depuis avril, Justin Trudeau est passé quatre fois au Saguenay–Lac-Saint-Jean, dont deux fois depuis le début de la campagne. Une stratégie qui s’est révélée être, selon le chef de nouvelles du Quotidien, un couteau à double tranchant : la candidate libérale, Lina Boivin, a souvent été dans l’ombre de son chef. « On se souviendra de Lina Boivin comme de la candidate qui hoche la tête à côté de Justin Trudeau », a dit Marc St-Hilaire.

Pour ce qui est du NPD, son taux d’appuis de moins de 10 % — malgré le fait qu’il a représenté le comté de 2011 à 2015 — laisse entrevoir des difficultés à venir pour le chef Jagmeet Singh au Québec. Son candidat, Éric Dubois, s’est toutefois contenté d’offrir la même explication que celle fournie par le camp libéral : « C’est Richard Martel qui a gagné, pas le Parti conservateur. »

Si la campagne libérale dans Chicoutimi-Le Fjord était trop peu, trop tard pour le parti de Justin Trudeau, elle signale néanmoins que le Parti conservateur pourrait être prêt à conquérir le Québec, qui a tendance à suivre les vagues du moment lors d’élections générales – que ce soit la vague orange ou la vague rouge de Justin Trudeau. L’élection devrait servir de message au premier ministre s’il veut garder les sièges du Québec en 2019 : Andrew Scheer et son équipe sont prêts et investissent de plus en plus dans la province francophone pour la prochaine campagne électorale et sont prêts à livrer une bataille féroce à Justin Trudeau. S’il est difficile de déterminer à quel point la popularité de Richard Martel a influencé le vote conservateur, l’élection dans Chicoutimi-Le Fjord va sans doute réveiller certaines personnes dans les rangs libéraux, qui, ayant remporté plusieurs élections partielles l’une après l’autre, avaient peut-être tenu la région pour acquise après le G7.

Stéphanie Fillion est sur Twitter.