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grossesse

Des femmes nous racontent comment elles se sont senties après leur avortement

« Je trouve que la société voit l’avortement comme plus traumatisant que ce que c’est. »
(Illustration par Joel Benjamin)

L’arrêt Morgentaler a eu 30 ans hier. Avant le 28 janvier 1988, l’avortement était criminel au Canada, sauf si un comité d’avortement thérapeutique constitué de trois médecins considérait que la vie ou la santé d’une femme était menacée par sa grossesse. Le Dr Morgentaler a défié la loi et lutté, en compagnie de deux autres médecins, pour que ce soit vu comme inconstitutionnel de protéger le fœtus plus que le droit à la sécurité d’une femme enceinte.

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Lorsque l’arrêt Morgentaler a été prononcé, le juge en chef de l’époque, Brian Dickson, a déclaré que contraindre une femme à poursuivre une grossesse non désirée portait atteinte à son intégrité, tant sur le plan physique qu’émotionnel et que c’était une « ingérence profonde dans la vie du corps d’une femme ».

Maintenant que les femmes peuvent avoir recours légalement à l’avortement, cette pratique reste entourée d’un certain tabou. Le droit d’interrompre une grossesse est connu, mais les personnes qui s’en prévalent l’affichent rarement dans leur stories sur Instagram.

Nous avons recueilli plusieurs témoignages de femmes, dans lesquels elles décrivent ce qu’elles ont traversé au cours de cet épisode de leur vie. Nous vous les présentons l’un après l’autre, intégralement, chacun précédé d'un ou de quelques mots qui résument l’émotion générale liée à leur expérience.

Acceptation

J’ai très bien vécu mon avortement, à 23 ans. Ça ne m’a pas peinée, ni au moment de cette grossesse, ni longtemps après. J’ai toujours accepté que c’était la meilleure décision puisque je n’étais pas prête à avoir d’enfant.

Plus tard, dans la trentaine, j’ai voulu avoir des enfants et je l’ai fait. Sans remords liés à mon avortement. Pour moi, c’est comme se faire enlever une dent : dommage d’être obligée de subir l’intervention et les complications. Si on voit ces cellules juste comme des cellules, ce n’est pas triste. Et comme ce n’était pas un enfant voulu, je ne m’y suis pas attachée comme lorsque je suis tombée enceinte par choix et que j’étais en amour avec mon bébé même dans les tout débuts.

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Autant j’ai de la compassion pour les femmes qui font des fausses couches, autant je trouve que la société voit l’avortement comme plus traumatisant que ce que c’est.

Libération

Je me suis rendu compte après plusieurs mois de fréquentation que le gars dont j’étais amoureuse avait déjà un enfant avec une autre. Il n’en prenait pas soin. Pas de pension, pas de visite, rien. Il avait laissé tomber la fille sur le bord d'accoucher pour sortir avec moi en se prétendant célibataire. J’ignorais aussi qu’il était impliqué dans le crime organisé. Bref, quand je suis tombée enceinte, je pensais déjà rompre.

Quand il a vu clair dans mon jeu, il est devenu très contrôlant et violent. Je ne lui ai pas dit que j'étais enceinte. Je ne voulais pas me sentir encore plus vulnérable. Une amie m'a accompagnée pour l'avortement. J'ai vécu l'avortement comme une libération. Jamais je n'aurais voulu d'un tel père pour un enfant. La vie fait bien les choses, peu de temps après, il s'est fait arrêter pour un crime grave. Il a passé les 15 dernières années en prison.

Soulagement

Je me suis sentie profondément soulagée. J'ai même fait une blague de fœtus mort dans la voiture, en rentrant chez moi. Il faut dire que je me sentais complètement « jazzée » par la médication, mais j'avais besoin de tourner la gravité de la situation en « rires » et de me libérer de l'état émotionnel éprouvant dans lequel m'avait mis la grossesse involontaire.

Je me souviens aussi que je suis entrée là vraiment fâchée parce que deux médecins avaient, par le passé, refusé de me poser un stérilet.

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Légitime

Après mon avortement, je me sentais surtout gelée. Je me souviens être repartie de la clinique ben high avec mon chum et ma mère pour aller déjeuner au Cora du Village. Arrivée sur les lieux, j'ai dû me rendre aux toilettes et j’ai vomi partout dans le corridor.

Tout le monde pensait clairement que j'étais lendemain de veille et/ou junkie. Ma mère ramassait derrière moi comme si j'étais encore une enfant. J'ai vraiment de la chance que ce soit resté un beau souvenir mère-fille. Elle est venue visiter mon université après, alors qu'elle venait jamais à Montréal, et m'a acheté des habits aux couleurs de mon université, que j'appelle mon « gear d'avortement » en riant.

Dans les trois jours qui ont suivi, j'ai eu des petites crampes et j'ai été un peu plus sensible. Je me sentais en fait coupable d’être si à l’aise avec ma décision. J’ai demandé de l'aide à mes amies, qui m'ont super bien soutenue et m'ont fait une lasagne.

Je me sens toujours mal que mon expérience soit si positive et je ne veux pas heurter les gens en la partageant… en même temps, j'aurais aimé lire ce genre de témoignage avant d'avorter moi-même, question de me sentir un peu plus légitime. Ça a joué aussi que ça a eu lieu en clinique privée. Une personne que je connais a eu son médicament trop tôt à l’hôpital et elle n’était plus gelée à l’intervention. Elle n’a pas été repiquée.

Le besoin de tout ressentir pour bien vivre le deuil

J'en ai vécu à froid, parce que si l’accouchement peut se vivre sans péridurale, je pouvais aussi vivre un avortement sans anesthésiant. J'ai quand même dû négocier mon besoin de le faire sans anesthésiant. J'ai vraiment communié avec ce qui se passait, ça a aidé mon deuil. J'ai demandé qu'on m'explique toutes les étapes, qu'on me dise ce qui se passait dans mon corps.

Mon ex ne pouvait m’accompagner à mon premier avortement, mais il avait tout raconté à sa mère. Sa mère, une infirmière en natalité, m’a accueillie avec tant d’amour et de grâce. Alors qu’elle aurait pu être médisante, me considérer comme une petite pas propre.

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C’est finalement ma cousine qui m'a accompagnée. Elle avait fait le party toute la nuit. Je l’ai sentie très impatiente et agressive. Elle disait que j'avais un déchet dans le corps et qu'on s'en était débarrassé. Après ça, on ne s'est plus parlé durant des années.

J'ai toujours voulu savoir comment se sentaient mes ex versus ces avortements. S'ils y pensaient, eux aussi.

La honte

Je suis tombée enceinte à l'âge de 15 ans. Quand je me suis fait avorter, j'ai eu l'impression de subir la volonté de ma mère. Pétrifiée par la honte, je l'ai laissée tout prendre en charge. À l'époque, je lui en voulais, mais maintenant plus du tout. C'est un des choix avec lequel je suis le plus en paix. Je suis persuadée d'avoir sauvé la vie de cet enfant en ne le mettant pas au monde. Je pense aussi m'être sauvée, moi. Par contre, presque tout le monde à mon école secondaire l'a su, et je l’ai mal vécu. À leurs yeux, j'étais devenue une salope, une mère-enfant trash. Ce regard culpabilisant sur ma sexualité me poursuit encore aujourd'hui.

La peur d’être punie

Je tombe enceinte même sur la pilule et avec un stérilet. Chaque avortement, je me dis que cette fois-ci ma fertilité sera sûrement fuckée, comme si à chaque avortement, on m'enlevait des points de fertilité et que je serai punie le jour où je voudrai vraiment faire un enfant.

La troisième et dernière fois que je me suis fait avorter, je sortais avec un gars avec qui ça n’allait vraiment pas bien. Il avait des problèmes d'argent, de jeux, de drogue et il allait aux danseuses flamber tout son cash sans me le dire.

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Le lendemain de mon avortement, j’ai rencontré celui qui est devenu le père de mon fils. Une semaine après, je déménageais avec lui, alors que j'étais toute décrissée encore. Pour moi, c’était comme si la vie venait me confirmer que je faisais la bonne chose. Et cette fois-ci, je suis tombée enceinte, quelques mois plus tard seulement, et c'était la bonne fois.

Les embryons que j’ai rejetés, je ne les vois pas comme des enfants, juste comme des cellules fécondées. Je trouve que c'est nous qui décidons ou pas de donner une âme aux embryons.

Tristesse

Ce que j’ai su tout de suite après mon avortement, c'est que pour la première fois de ma vie j'étais certaine que je serais maman, un jour. Et que ce serait mon chum le papa.

Je n’ai aucun souvenir de douleur ou d'inconfort physique. Juste un vide que j'ai essayé de remplir avec un double Big Mac et une frite super size. Ça m’a fait du bien, tellement que c’est depuis ce temps que je mange du McDo parfois. Avant je n’y allais jamais. Je me suis bourrée en pleurant.

On a dû remonter à pied jusqu’à chez nous, à 45 minutes de marche de la clinique. On avait dépensé tous nos sous de métro en burgers et frites.

Vide

Je me suis sentie très mal et vide. Les avortements que j'ai eus n’étaient pas un choix du tout. C’était médical. Le fœtus se retrouvait au mauvais endroit. Chaque fois que c’est arrivé, c’est comme si on m’enlevait une partie de moi.

Un traumatisme, mais pas de regret

J'avais 19 ans. C'était avec un gars que j'aimais comme une folle, mais qui jouait avec moi comme avec une marionnette. Je ne faisais pas vraiment attention côté contraception, et quand je l'ai su, à cinq semaines, j'étais sous le choc. Je savais que je ne pouvais pas le garder. Pas à mon âge. Pas avec le gars que je fréquentais. Il ne m'aimait pas. Je n'avais pas fini mes études. Mes parents me tueraient.

J'ai vécu les jours suivants jusqu'au jour de l'avortement comme un robot.

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En 2002, il en coûtait 250 $ pour avorter à la clinique privée que j'avais choisie. Le gars a voulu qu'on paie moitié-moitié. Je l'ai toujours eu sur le cœur. Un gentleman aurait payé au complet, selon moi.

Il m’a accompagnée dans la salle. Au moment d'entendre le bruit d'aspiration, il a fait un choc vagal. Je lui en ai toujours voulu. Le soir, nous avons soupé ensemble chez moi, mais il m'a laissée seule tout de suite après. Dès qu'il est parti, je me suis mise à pleurer et à trembler.

Par la suite, j'étais traumatisée. J'achetais des articles pour bébés. J'avais accroché une suce rose à mon porte-clé. Je ne pensais qu'à ça. Je lui écrivais des lettres. J'ai commencé une longue descente aux enfers, qui s'est finie par la prise d'antidépresseurs et une thérapie chez le psychologue.

Mais, malgré tout, je n'ai pas regretté. Je savais que mon choix était le bon.

Aujourd'hui encore, chaque 27 février, j'y pense. Et chaque 15 octobre, la date qui aurait dû être celle de sa naissance, j'y pense. J'aurais un ado aujourd’hui.

Bien entourée

J'ai été soulagée, j'étais même joyeuse, moi qui m'attendais à être dévastée. Mais les semaines qui ont suivi ont été difficiles.

Le jour même, j'étais si heureuse : fini la nausée constante, les migraines et la fatigue extrême. C'est ensuite que j'ai eu un moment de « qu’est-ce que j’ai fait et comment est-ce que ça affectera ma vie ».

Ça m'a pris neuf mois pour m'en remettre et être capable de voir des femmes enceintes, des bébés et des poussettes sans cringer. Faire des blagues et en discuter avec mon partenaire et mes amies a beaucoup aidé. Je sais qu’être bien entourée et éduquée fait de moi quelqu’un de privilégié.

Donc, aucun regret, « mais ».