Société

Avec l’ancienne plume de Macron qui a démissionné après un burn-out

Emmanuel Macron Marie Tanguy

Après avoir lu le récit de Marie Tanguy, on s’imagine une femme endurcie par la politique qui lui a fait tant de mal. La réalité est tout autre. Lorsque j’arrive dans le café où nous avons rendez-vous, sa jeunesse me frappe. Plus tard, elle me confiera qu’on la confond souvent avec la baby-sitter quand elle va chercher sa fille à la crèche. Pour me saluer, elle se lève précipitamment, faisant tomber son sac à dos qui s’écrase bruyamment contre le sol.

Trente-trois ans ? J’aurais parié qu’elle avait moins. Ses grands yeux qui ont, un jour, été cernés de noir me sourient. Son débardeur laisse entrevoir deux larges tatouages sur ses bras. C’est la première interview qu’elle donne pour la promotion de son livre : « Je suis un peu stressée » avoue-t-elle. Posé sur la table à côté d’un expresso, son livre Confusions s’apprête à sortir en librairie. Elle y raconte son ancienne vie de plume pour Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017.

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« Politiquement, j’y croyais très fort. J’ai vu en Macron quelque chose qu’il n’était pas »

Après plusieurs années à écrire les discours de la CFDT, elle décide d’abandonner un travail qu’elle adore pour embarquer pour la campagne de Macron, candidat auquel elle croit. « Politiquement, j’y croyais très fort. J’ai vu en Macron quelque chose qu’il n’était pas. J’ai été séduite par son intelligence, la cohérence de ses propos. Il avait des mots qui résonnaient très fort en moi. Il parlait d’émancipation et disait qu’il voulait rendre le pouvoir à ceux qui font. » Le candidat lui fait beaucoup penser à Rocard. Mais elle se trompe et le réalise très vite.

Marie Tanguy se retrouve parachutée dans l’un des services les plus importants de la campagne : le pôle Idées. Dans un bureau de 11m², ses collègues et elle préparent d’arrache-pied le programme à la virgule près. La jeune femme s’occupe avec d’autres des discours du futur président de la République. Toute son équipe travaille 7 jours sur 7 et ne termine jamais avant 1 heure du matin. Rapidement, elle commence à se comparer à ses collègues qui malgré la fatigue restent toujours aussi brillants. À l’inverse d’eux, chaque discours que doit faire Marie Tanguy est délicat, chaque mot est une souffrance et sort avec difficulté.

Peu à peu, le programme du candidat s’éloigne de ses premières annonces et la désillusion frappe Marie Tanguy. Emmanuel Macron se met à promettre des choses qu’il sait irréalisables. « Il a promis qu’en tant que président il n’y aurait pas de baisses des dotations aux collectivités territoriales. C’était impossible et il le savait. »

Tout au long de son récit, la plume se compare à ses collègues, très souvent, voire un peu trop, pour que cela soit normal. Ne serait-ce pas un petit complexe d’infériorité ? Marie Tanguy l’admet avec facilité. « La différence avec mes collègues, c’est qu’ils avaient cette fluidité que je n’ai jamais eue. Ils viennent d’un certain milieu social où on les destine dès leur plus jeune âge à avoir un parcours de réussite et à s’attendre que c’est naturel qu’ils en soient là. Du coup, ça roule pour eux. »

Une différence que Marie Tanguy revendique constamment. Pourtant, à la fin de son ouvrage, on apprend que la plume est passée par Sciences Po Paris. Première porte d’entrée pour beaucoup d’énarques, la prestigieuse école ne lui a pourtant pas appris à se sentir légitime et appartenir totalement à ce milieu.

« Quand ils parlaient de la classe moyenne et en ricanaient, c’est comme s’ils parlaient de ma mère »

Ce n’est qu’à sa majorité qu’elle a découvert la capitale, pour ses études supérieures. Son enfance et son adolescence, elle les a passées dans un petit village de 270 habitants, à Gigouzac dans le Lot. « Je viens d’un milieu modeste, dans tous les sens du terme. En arrivant à Paris, j’en ai pris plein la vue mais j’ai toujours été tiraillée entre une vraie ambition et un complexe social. Cette différence, je l’ai perçue à Sciences Po et ça m’a suivi à en Marche. »

Marie Tanguy n’a jamais reçu de remarques désobligeantes au bureau mais l’ambiance lui pèse de plus en plus. Malgré son parcours académique, elle affirme ne pas avoir été sur une ligne droite toute sa vie et s’être « pétée la gueule plein de fois » avant d’y arriver. Lorsqu’elle débarque dans la campagne de Macron, sa confiance est déjà abîmée alors que celle de ses collègues est gonflée à bloc. La plume remarque un véritable mépris de classe.

« Son quotidien consistait à écrire ses discours et les envoyer à une boucle de validation sans fin qui demandait des modifications et “ça c’était l’enfer” »

« Ce n’était pas quelque chose qu’ils faisaient consciemment. Je l’ai remarqué dans leur façon de parler entre eux. Quand ils parlaient de la classe moyenne et en ricanaient, c’est comme s’ils parlaient de ma mère. » La désillusion autour de Macron, les heures interminables de travail, le peu de reconnaissante et ce fossé qui se creuse entre elle et ses collègues ont raison d’elle. Tous les soirs, ou plutôt matins, en rentrant du travail, son front s’écrase contre la vitre de son taxi tandis que les larmes coulent silencieusement. « Je me sentais très décalée dans ce milieu très homogène où tout le monde se ressemblait beaucoup et partageait les mêmes codes. » Elle s’accroche mais est déjà ailleurs, déjà sûre de partir un jour. Elle pense même l’avoir su dès le début. Ceux qui travaillent à ses côtés et au plus proche du candidat sont majoritairement à l’image de Macron : « Des hommes, blancs, diplômés et surtout élitistes. »

Et Macron justement dans tout ça ? Il y a quand même de quoi être curieux. Sa plume de campagne ne l’a que très peu rencontré. Son quotidien consistait à écrire ses discours et les envoyer à une boucle de validation sans fin qui demandait des modifications et « ça c’était l’enfer. » Ensuite le discours pouvait enfin remonter à EM, le nom qu’elle lui donne dans son livre et qui est aussi utilisé par tous les collaborateurs de Macron pour aller plus vite dans les mails.

De vrais grands discours, il n’y en a pas beaucoup dans la vie d’un homme politique et encore moins celle d’une plume. « C’est toujours un peu les mêmes mots, les mêmes messages. On a le sentiment de tourner en rond. » Mais Marie Tanguy se rappelle d’un discours qui l’a particulièrement amusée, celui de la remise de la Légion d’honneur à Jacky Lebrun, un boucher du plateau de Creil qui avait gravi tous les échelons de sa corporation. Pour le préparer, elle avait dû lire son autobiographie Je vais vous en boucher un coin et montrer qu’Emmanuel Macron connaissait tout de la vie de ce personnage. « Macron improvise beaucoup alors on doit surtout lui donner quelque chose qui va le mettre en confiance s’il est un peu fatigué. »

Le manque de sommeil s’accumule en plus du manque de confiance en elle et en Macron. « J’ai toujours eu une fragilité très jeune qui fait qu’elle a avancé par à-coups. » Cette sensibilité n’est pas permise dans les bureaux où on prépare un futur président. Le burn-out arrive à grands pas. Marie Tanguy n’est pas une « machine » et part avant qu’il ne soit trop tard. Trois ans après, elle sort ce texte écrit à chaud après son départ.

Quand on lui demande si elle n’a pas peur de la réaction de ses collègues, elle grimace. « Je suis morte de trouille mais ça fait plusieurs années maintenant. » L’ancienne plume a justement attendu pour publier ce livre et éviter de donner l’impression de sortir un livre polémique ou révélation juste après les élections. Avec le recul, la jeune femme regrette l’uniformité qui se dégage du parti La République en marche. « J’ai eu l’impression de pénétrer dans un monde où il y avait très peu de places pour la diversité et le contradictoire et à partir de là on comprend qu’il y a un problème. »

Comme toute la France, elle a observé avec attention le mouvement des gilets jaunes. Marie Tanguy y voit une crise miroir au macronisme. L’utilisation dans les discours d’Emmanuel Macron des « premiers de cordée », « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien » n’a fait qu’attiser les braises selon elle. « Quand on veut servir l’intérêt général, si on n’a pas la curiosité de ce que vivent les gens qu’on va gouverner ça ne marche pas. »

À présent, elle laisse la politique aux autres. Y remettre les pieds ? « Ça, plus jamais ! » affirme-t-elle en riant. Elle ne travaille plus en tant que plume et ne souhaite pas s’étendre sur son nouveau métier pour ne pas embarrasser son employeur. À la fin de notre entretien, elle jette un œil méfiant à la couverture de son livre posé sur la table de café. Une page se tourne vraiment pour elle.

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