Société

Que la Belgique entière se mette à picoler la 100PAP, pour la bonne cause

Bier 100PAP recht op verb

À Bruxelles, l’accueil des réfugié·es est devenu une question brûlante. Les politiques ne savent qu’en faire, certain·es citoyen·nes se mobilisent, d’autres font comme si ça ne les concernait pas. Il y a aussi tout un tas de gens qui aimeraient agir mais qui ne savent pas comment s’y prendre ou qui ne se sentent pas d’être directement impliqués sur le terrain. C’est là que des initiatives comme 100PAP interviennent. D’un groupe de potes filant un coup de main aux personnes sans-papiers au parc Maximilien est venue l’idée de créer une boisson « solidaire ». Leur raisonnement était simple mais efficace : les Belges aiment la bière et si cet amour pour la picole peut aider autour de soi, on devrait vite récupérer des fonds. C’est sur cette base que naît 100PAP, une bière développée en partenariat avec la Brasserie de la Senne, dont tous les bénéfices vont directement au soutien des sans-papiers. 

Pourtant, si l’idée des boissons solidaires a tout pour plaire, ce genre d’initiative peine à trouver sa place sur un marché de la bière hyper compétitif. Difficile de faire face à des distributeurs aux exigences administratives implacables et aux coûts financiers élevés, d’autant plus quand on est une petite équipe de bénévoles au budget limité. Créer un produit n’est finalement que la première étape, car vient ensuite la prospection, la distribution, la communication, la vente, le développement. Et c’est là que le travail demande une énergie folle.

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La soirée des 5 ans

Un soir de décembre, je prends rendez-vous avec Paul Bossu (48 ans), qui gère la distribution de la 100PAP. L’équipe organise une soirée pour fêter leurs 5 ans d’existence et faire connaître un peu plus leur produit. J’arrive devant un grand bâtiment, à proximité du cimetière d’Ixelles, qui à première vue semble vide. En m’approchant des grilles, une petite affiche indique la direction à prendre.

À l’intérieur, le lieu ressemble à un ancien complexe de bureaux avec sa moquette au sol et ses faux plafonds. Dans le hall, une banderole du collectif Zone Neutre indique que le bâtiment est occupé par des sans-papiers. Je suis les flèches, descends une volée d’escaliers et me faufile derrière une porte au sous-sol. Je trouve la soirée : tout est plongé dans une ambiance rouge et bleu. Dans des fauteuils, quelques personnes discutent, un DJ est en train d’installer son matériel. Il est encore tôt et c’est plutôt calme.

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Je me dirige vers le bar et je tombe sur Paul. Il a un enthousiasme contagieux. 100PAP, c’est un projet pour lequel il donne beaucoup d’énergie, on sent que ça lui tient à cœur. Il me parle de leurs actions, de leur bière, me montre les T-shirts qu’ils viennent d’imprimer en sérigraphie, m’explique qu’ils ont aussi développé des limonades. C’est d’ailleurs lui qui a proposé d’utiliser la Zinne ce soir, la monnaie locale bruxelloise, pour servir d’alternative aux tokens. « On devrait l’introduire sur beaucoup plus d’événements, avance-t-il. Ça soutient un système alternatif, tu peux les réutiliser dans d’autres lieux et d’autres événements. »

Dans la foulée, on se dirige vers le garage, reconverti en fumoir pour la soirée, et j’en profite pour l’interroger plus longuement.

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VICE : Comment t’es arrivé à 100PAP ?
Paul Bossu : Via un pote. Il m’a expliqué qu’il avait créé une bière solidaire, je me suis dit que c’était brillant comme idée. J’étais à l’étranger en pause-carrière à ce moment-là et c’est quand je suis revenu que j’ai commencé à m’impliquer dans le projet. Ce qui est drôle, c’est que moi, je bois pas de bière, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai insisté pour qu’on crée aussi des limonades. Mais l’idée m’a directement séduit. Tous les endroits où tu peux avoir du solidaire dans le menu, tu vas pouvoir un peu changer le game vu que l’argent est destiné à une cause.

C’est ça que tu recherchais, changer les habitudes ?
Oui, inverser le paradigme et faire en sorte que dans un maximum de lieux, il soit possible de boire pour une cause qui soit juste. Que quand tu dépenses ton argent, ça serve à quelque chose. C’est l’aspect consommateur·ice-acteur·ice. À l’époque, j’avais essayé de faire de la politique avec le Parti Pirate, mais j’ai vite baissé les bras face à la complexité du cadre démocratique. La seule vraie arme qu’il nous reste, en tant que citoyen·ne, c’est ce qu’on fait de notre argent. Si quand on déguste une bière ou quand on se bourre la gueule on peut boire de la 100PAP et que ça aide à récolter des fonds pour une cause, c’est super. Y’a un impact concret et direct, ça aide vraiment les gens.

Qu’est-ce qui t’a le plus marqué depuis ton implication dans le projet ?
C’est le contact avec les gens de la Voix des Sans-Papiers, ça m’a ouvert les yeux. Ces types sont des guerriers, ils ouvrent des bâtiments vides et négocient avec le proprio pour créer des occupations temporaires. J’ai beaucoup de respect pour eux. Quand t’es sans papier et que tu dois négocier avec un propriétaire super riche, sans un interlocuteur comme la VSP, c’est très compliqué. Et en même temps, y’a cette loi à Bruxelles qui fait que si t’es propriétaire d’un bâtiment vide, tu dois payer une taxe supplémentaire. C’est ça qui les « pousse » à faire quelque chose de ces lieux.

« En Belgique, c’est la guerre des bières. »

Tu trouves que les politiques à Bruxelles font le taf ?
Non, ça reste très faible, c’est marginal. Mais, grâce au travail d’associations comme la VSP, les politiques ont au moins un interlocuteur avec qui parler. Le fait de s’organiser en collectif, c’est ça qui fait la force. Ça fait des années que le dossier des sans-papiers est dans les mains d’un ministre de droite et tous les partis de gauche voudraient bien une politique plus ouverte, mais n’ont pas le pouvoir de décision.

Après, comme on a dix-neuf communes à Bruxelles, y’a toujours quelqu’un au pouvoir quelque part qui est prêt à aider. En ouvrant certains bâtiments par exemple ou en utilisant leur enveloppe budgétaire pour soutenir des initiatives comme la VSP. Malgré ça, la portée reste très limitée. Notre action chez 100PAP l’est tout autant. Avec tout le respect que j’ai pour ce qu’on fait, on n’a pu donner que 20 000 balles l’année passée. Toute cette énergie investie pour arriver à vendre et placer notre bière dans certains cafés et, après une année, on n’a que 20 000 balles. Le CPAS a pu filer 100 000 euros, comme ça à la VSP. La ministre de la transition, elle a débloqué une enveloppe de  150 000 euros pour la Zinne. Ils ont des budgets qu’on n’a pas.

Y’a quand même des perspectives de croissance pour 100PAP ?
C’est très dur en réalité. En Belgique, c’est la guerre des bières. Chaque année, y’a de nouvelles brasseries qui ouvrent, la concurrence est rude.

Oui, mais ici c’est une bière solidaire, c’est ça la force de votre produit.
Sauf que pour vendre une bière, tu dois être là où les gens la boivent, c’est-à-dire principalement dans les cafés. Et entre 60 et 70% des cafés sont entre les mains des brasseurs. Si t’es pas dans leur catalogue de produits, t’es mort. Pour entrer dans ces catalogues, souvent, tu dois payer. C’est là que réside le problème : tout le monde commande ses boissons chez un distributeur qui demande 30% de marge pour stocker ta bière et la distribuer. 30%, c’est énorme. Moi, je dois me mettre à poil pour leur donner ça.

C’est quoi la solution ?
Il nous faut plus de soutien, des personnes qui demandent spécifiquement de la 100PAP à leur distributeur parce qu’elles la veulent au menu. Pour ça, faut d’abord qu’on se fasse connaître. Mais démarcher et prospecter, c’est un job à temps plein. On est tou·tes bénévoles, on fait ça sur le côté en plus de notre boulot. C’est pas pour rien que les gens qui font de la bière ont un·e commercial·e sur le terrain.

Ce qui est frustrant dans ce que tu racontes, c’est qu’il y a de la demande pour des boissons solidaires, mais le travail de commercialisation rend leur accès difficile. La réalité, c’est que tout le monde est là pour faire de l’argent, c’est pas pour rien qu’on va droit dans le mur collectivement. Tant qu’on aura cet aspect-là, ça sera compliqué. Toi, tu ne peux qu’essayer, pousser des portes, espérer que des événements proposent la 100PAP au bar ou qu’un café soit motivé de nous inclure dans leur menu.

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De retour dans la salle, la musique est plus forte, du monde est arrivé. Le repas est en train d’être servi, des assiettes de riz et de légumes préparées spécialement pour la soirée par les occupant·es du lieu. Avant d’en attraper une, je m’éclipse pour faire un tour aux toilettes. Celles-ci sont à l’étage et pour y arriver, il faut traverser l’occupation temporaire. Il y a des familles qui passent avec leurs enfants en pyjamas, des pantoufles au pied des portes, des pancartes qui rappellent qu’on est dans un espace solidaire. Il y a une ambiance joyeuse et familiale.

De retour en bas, l’ambiance est de plus en plus festive. Avant que ça ne parte dans tous les sens, je parle avec Serafina Cutaia (27 ans), une autre bénévole chez 100PAP.

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VICE : Comment tu t’es retrouvée dans le projet ?
Serafina Cutaia : À la base, je connaissais Paul et il avait besoin d’aide sur une soirée 100PAP qu’il organisait. Je me suis investie de plus en plus dans les missions quotidiennes, principalement pour des tâches comptables. Et puis la personne qui coordonnait les finances est partie et j’ai repris son poste. Maintenant, ça fait quatre ans que je suis là.

Comment tu définirais la mission de 100PAP ?
Notre rôle, c’est de récolter de l’argent et de le redistribuer à différentes organisations de sans-papiers. Le but, c’est d’aider tout ce qui est lié au logement. Les occupations temporaires s’installent souvent dans d’énormes bâtiments vides et abandonnés, il peut y avoir des travaux à faire, gérer les charges, la garantie locative, les assurances, etc.

Vous aidez aussi les gens à gérer tout ce qui est administratif ?
Non, ça c’est pas vraiment notre boulot. Les représentant·es des occupations temporaires viennent avec leurs demandes et nous, on voit comment on peut les aider en termes de financement. L’enveloppe n’est pas immense et parfois, on doit refuser. Si on nous demande 25 000 euros et qu’on en a que 20 000, ça va être compliqué.

« La grande frustration, c’est qu’on est tellement pris·es par la gestion quotidienne que j’ai parfois le sentiment qu’on manque de temps pour la cause. »

Comment vous faites le lien avec ces représentant·es justement ?
On travaille beaucoup avec la VSP, qui coordonne plusieurs occupations. On n’aide pas d’individus en particulier : un sans-papier qui viendrait nous voir de lui-même, on va le rediriger vers une association compétente. Travailleur·se social·e c’est vraiment un métier qui ne s’improvise pas du tout. On n’a pas peur de dire que sur certains aspects, on n’est pas compétent·es.

Et en ce qui concerne la gestion de 100PAP au quotidien ?
Comme on peut. On est une dizaine de bénévoles, on se réunit tous les mardis soir et toutes les décisions sont prises collectivement. Chacun·e peut amener ses idées et ses propositions. On débat de tout ensemble. On a une gestion très horizontale, tout se fait en collégialité.  Parfois, clairement, c’est compliqué. On est plein de gens hyper différents. L’horizontalité, c’est un type de management qui parait simple, mais dont on ressent vite les limites. Ça peut être une réunion trop longue ou une discussion qui ne mène à rien. C’est frustrant parfois, mais c’est une manière qui permet à tout le monde de donner son avis, d’être écouté·e de la même manière et d’avancer ensemble.

Comment t’imagines la suite ?
Depuis peu, on commence à sentir nos limites en termes de capacité de vente. À terme, on aurait besoin d’un subside pour débloquer un mi-temps. La grande frustration, c’est qu’on est tellement pris·es par la gestion quotidienne – les livraisons, la comptabilité, les stocks – que j’ai parfois le sentiment qu’on manque de temps pour la cause. J’ai pas envie d’être une association qui ne vend que des bières. Pour moi, ce qui m’a amenée ici, c’est d’aider les sans-papiers, c’est ça la base de ma motivation.

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Doucement, les verres s’enchainent et la soirée prend une tournure de plus en plus joyeuse.

Je peux dire qu’au-delà de la bière 100PAP, leurs limonades se marient très bien avec du gin ou de la vodka. Mais je choisis d’être raisonnable et de m’échapper avant que ces cocktails ne me fassent totalement oublier que ce soir, je suis là pour bosser. La fête, elle, durera jusqu’au matin.

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Le Circularium

Après avoir discuté avec Paul et Serafina, j’avais envie d’aller voir le lieu où ils se réunissent pour leurs réunions, comprendre comment fonctionne cette organisation horizontale. Un mardi soir, dans le quartier de Cureghem à Anderlecht, je les rejoins au Circularium, un ancien garage, reconverti, qui accueille aujourd’hui différentes associations. « Le Circularium, c’est 20 000 m2 dédiés à l’économie circulaire, m’explique Paul. C’est un super gros site qui donne sur trois rues. C’est des bâtiments qui appartiennent à D’Ieteren. Pendant longtemps, il n’y avait que des bagnoles ici. Maintenant, y’a plein de projets associatifs qui se sont installés. T’as par exemple l’Îlot qui fournit des meubles aux sans-abris qui trouvent un logement, LinkUp qui lutte contre la fracture numérique, KiloMet qui vend des objets de seconde main au kilo ou au mètre, et puis y’a aussi le Magasin Gratuit. »

En discutant, on traverse l’un des hangars où chaque asso a établi son QG. J’interroge Paul sur l’intégration d’un tel lieu dans le quartier. « L’idée, c’est de s’ouvrir à la population locale. Avec des initiatives comme le Magasin Gratuit ou KiloMet, c’est clairement ce qui se passe. Y’a aussi des événements. À Noël par exemple, le Magasin Gratuit n’était rempli que de jouets et les enfants pouvaient venir chercher ce qu’ils voulaient. Ils pouvaient ensuite aller voir le Père Noël et manger une crêpe. »

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On passe par un espace de coworking et on entre dans une salle de réunion où je retrouve le reste de l’équipe 100PAP.  « On a postulé ici pour mettre notre stock, continue Paul. Avant, il était réparti sur plusieurs endroits, c’était pas très pratique. On avait besoin de centraliser les choses. Et puis en étant ici, on a accès à un cowork, à une cuisine et à une salle de réunion. C’est vraiment idéal pour nous. Et puis nos bières sont livrées à vélo par Dioxyde de Gambettes qui sont aussi basés ici, ce qui facilite énormément les choses, pour prendre directement dans notre stock et le livrer rapidement. » 

Les dernier·es bénévoles arrivent et la réunion commence. Il s’agit aujourd’hui de définir les objectifs de 100PAP pour l’année à venir. Paul commence en faisant le point sur l’évolution possible des limonades. Il aimerait qu’elles passent en cannette et qu’elles deviennent complètement bio, ce qui assurerait un meilleur positionnement par rapport à la concurrence. La discussion est lancée, il y a les gens qui sont pour, d’autres qui pensent que c’est trop tôt, certains qui préfèrent se taire. Tout le monde s’écoute, fait valoir son avis, se recadre pour éviter que la discussion ne parte dans tous les sens.

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L’équipe discute ensuite de la manière d’augmenter concrètement les ventes, ce qui est cœur du projet puisque c’est ça qui permettra d’augmenter l’enveloppe qu’elle pourra allouer aux différentes associations d’aide aux sans-papiers. Il faut réfléchir à comment prospecter, quels événements organiser, comment gérer les mails de commande, s’il faut faire de la pub sur les réseaux, quels supports graphiques sont nécessaires, etc.

La réunion durera une heure et demie et permettra de mieux cerner les objectifs de l’année. Il y en a beaucoup et c’est évident que gérer ça de manière bénévole demande un investissement important. Mais il n’y a pas de petites victoires, pas de sous-résultats, chaque opération compte parce que chaque euro récolté aide directement des personnes qui en ont besoin. Bientôt peut-être, la bière 100PAP envahira la Belgique – et partout, on pourra boire de manière solidaire.

Pour commander la 100PAP et les limonades qu’ils proposent, c’est par ici.

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La bière…
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… et la limonade.

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