Comme toute révolution, celle-ci a commencé par des jeunes : quatre banlieusards anglais réservant un vol pour Ibiza. Nous sommes en 1987 et les DJs Paul Oakenfold, Johnny Walker, Danny Rampling et Nicky Holloway embarquent en direction des Baléares en quête de quelque chose de plus que du soleil, du sable et des bières fraîches.
À San Antonio – bien avant que la ville ne devienne la destination alcopop qu’elle est aujourd’hui – ils tombent sur un autre DJ, Trevor Fung. Fung joue sur l’île depuis déjà quelques années, vadrouillant entre Ibiza et Streathem, entre autres destinations.
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Habitué de l’île, il initie ses potes de la campagne à deux choses qui changeront à jamais la culture de la jeunesse britannique : le club de l’Amnesia et les pilules d’ecstasy.
La douceur de l’air des Baléares combinée à de puissants narcotiques et à la liberté musicale prônée par le plus emblématique des résidents, l’argentin Alfredo, agit comme une révélation. Les quatre larrons rentrent en Angleterre en chancelant, leurs cerveaux débordent de nouvelles idées et il leur suffit de quelques mois pour que la scène club anglaise change de visage, qu’elle vibre d’un nouveau souffle et d’une nouvelle vitalité.
Ce qui se passe après – la naissance du mouvement rave, la démocratisation de l’ecstasy, les T-shirts tye and dye et le démantèlement de la scène par la Cour d’Assises et par un décret préfectoral en 1994 – n’a rien d’une coïncidence. Nous sommes en 1988. C’est le deuxième Summer of Love. La Grande-Bretagne desserre sa cravate d’un geste dont les conséquences continuent à se faire sentir aujourd’hui.
1988 marque le moment où une nation s’approprie culturellement une scène initiée par ses cousins transatlantiques. L’Angleterre s’empare des fantaisies technoïdes post-industrielles de la scène de Detroit et les dépose dans un hangar comme s’il s’agissait de carabines, enveloppées dans de grands T-shirts Stussy en faisant le vœu solennel de ne jamais oublier leur son.
Un exemple parfait de la façon dont les sous-cultures peuvent avoir d’incroyables, puissantes et durables ramifications en dehors de leur lieu de naissance, capables de se métamorphoser à l’infini. Un moment où l’histoire se réécrit d’une manière différente chaque nuit de la semaine, dans les studios de Hulme et dans des champs éloignés de la foule déchainée.
Un exemple parfait de la façon dont les sous-cultures peuvent avoir d’incroyables, puissantes et durables ramifications en dehors de leur lieu de naissance, capables de se métamorphoser à l’infini. Un moment où l’histoire se réécrit d’une manière différente chaque nuit de la semaine, dans les studios de Hulme ou dans des champs éloignés peuplés d’une foule déchainée.
C’est aussi un moment dans lequel nous nous sommes retrouvés embourbés. Mais peut-être que 30 ans après, il serait temps de réfléchir à ce que nous avons laissé derrière nous.
« Il est effectivement tentant de considérer le présent comme un endroit où les possibles se sont cruellement refermés. Même si ce n’est pas exactement le cas. La culture n’a pas à être cyclique. »
« La culture de l’acid house et de la rave ont imprégné tout le nord ouest à l’époque, affirme le directeur Rig Out et le fan de rave Glenn Kitson. Mon cousin ainé venait à toutes les soirées Blackburn acid entre 88 et 89. La plupart de ceux qui étaient plus âgés allaient en rave, prenaient de l’ecsta tandis que les plus jeunes trainaient dans le parc en écoutant de la house et de l’acid, prenaient des trips et crachaient de la fumée. »
Les expériences de Kitson – il a assisté à sa première « semi-rave » à Manchester en 1990 à l’âge de 14 ans – ne sont pas des incidents localisés. Et ils ne se limitent pas non plus à la musique. « Ça a produit une énergie qui s’est infiltrée à travers l’art, le design, l’architecture, la littérature et la culture » affirme Kitson au sujet des années qui ont suivi l’explosion acid de 1988.
Vous vous demandez peut-être, mais où est le mal dans tout ça ? Pourquoi les clubbeurs, jeunes et vieux – les raveurs en personne et les enfants qu’ils ont conçus lors d’interminables afters – ne pourraient pas revenir sur un passé qui leur semble parfait ? En quoi est-ce un problème d’intégrer un peu de danse dans l’histoire ?
Le risque de regarder en arrière trop souvent, c’est que ça peut rendre le présent fatiguant et le futur quasi impossible. C’est la difficulté à laquelle se heurte la culture club, qui a finit par réaliser que passer un morceau l’un après l’autre était une bonne manière de se faire de l’argent.
Et c’est le problème qu’il doit résoudre si l’on souhaite voir un jour un troisième Summer of Love.
« Ces dernières années – et c’est intimement lié à la recrudescence des clubs – on colporte l’idée que la nuit est morte ou alors qu’elle convulse calmement quelque part au fond d’une fête. »
« La dance music a toujours tourné autour de la libération de l’esprit, avec l’idée de s’entourer de gens ouverts, libres et bienveillants », nous raconte Rupert Cogan. Cogan, mieux connu sous le nom de DJ Haus, est un DJ et producteur prolifique qui gère les labels Unknown to the Unknown et Hot Haus, des marques qui ont fait prospérer l’identité DIY et l’énergie ecstatique du début des raves et des premiers enregistrements, réactualisés version 21 ème siècle. Ce qui pense-t-il, est toujours le cas aujourd’hui. « Que tu sois en train de danser sur du digi club, de la trance ou du jungle importe peu – du moment que tu es là pour la bonne raison. »
Cogan dit vrai. La « raison » n’a pas changé, pas depuis le disco, pas depuis l’acid house, pas depuis la dubstep, le moonbahton, l’aquacrunk ou le skweee. Mais si elle est restée la même – échapper de la réalité le temps d’une nuit – pourquoi sommes nous aussi obsédés par l’idée de tout recycler ?
Ce recyclage permanent semble être la condition de l’homme post-moderne. Nous ne savons plus qui sont nos sources – à vrai dire on s’en moque un peu – et lorsque nous les connaissons, nous avons peu de scrupules à les plagier.
La preuve avec la résurrection de la rave dans les boutiques de vinyles et sur les plateformes de streaming. Comme si les trente dernières années et le souvenir des warehouses avait mis le futur à court d’idées.
Autre exemple : la façon dont Depop ou Too Hot se sont emparés de la garde-robe des ravers, pour la vendre à des gamins qui n’étaient pas encore en vie quand Altern 8 apparaissait dans Top of the Pops. C’est parce que la rave attire autant les jolies robes, les hommages et qu’elle entretient un lien désespéré avec le passé – un moment prétendument parfait, où le ciel était bleu, l’herbe plus verte et où une pilule d’ecstasy coûtait 10 centimes.
« J’étais sur Kensington High St un après-midi, raconte Kitson, et j’ai vu une fille qui portait une veste oversize en velours côtelé beige, un jean blanc et des bottes Kickers. Elle aurait pu s’habiller exactement pareil 28 ans en arrière et elle aurait été parfaite. Ça m’a plu. »
Que cela parle ou pas d’une forme de conservatisme générationnel, à vous de voir.
Quand Kitson – dont le compte Instagram est une mine d’or pour quiconque cherche à revoir des looks rares de cette période rave – me raconte qu’à cette époque « c’est comme si tout était possible, même si c’était juste pour le week-end. » Je vois où il veut en venir : il parle d’un temps où une soirée représentait un peu plus que l’opportunité de poster des stories Instagram et de fanfaronner sur Twitter le lendemain et il est effectivement tentant de considérer le présent comme un endroit où les possibles se sont cruellement refermés. Même si ce n’est pas exactement le cas. La culture n’a pas à être cyclique.
« Il suffit de bien vouloir lui faire une place pour que la culture club nous rende à nouveau heureux. »
Ces dernières années et c’est, de manière compréhensible et justifiée, intimement lié à la recrudescence des clubs, on colporte l’idée que la nuit est morte ou alors qu’elle convulse calmement quelque part au fond d’une fête.
L’augmentation des festivals, la méfiance de plus en plus forte des municipalités et la fragilisation financière de ceux qui constituent la population des clubs – toutes ces choses, nous a t-ton assené, alleint finir par tuer l’esprit du club. Mais il est encore là. Pourquoi ? Parce que ce désir – « il y aura toujours des gens qui voudront se libérer l’esprit », comme l’avance Cogan – n’est pas perdu.
C’est important de se rappeler que 1988 n’est pas sorti de nulle part – il vient, comme le punk, le mouvement hippy, le dadaïsme, le surréalisme, et la majorité des mouvements culturels de l’histoire de l’humanité – d’une forme d’opposition. D’une réaction. Née d’un virage ultralibéral, d’un besoin inconscient et désespéré de se déconnecter de la réalité, week-end après week-end. Qui permettait d’exister, en dehors des normes conventionnelles.
Cette manière d’exister est toujours envisageable. Peut-être pas de la façon dont le monde l’a façonnée, mais les choses changent, les clubs changent et nous avons besoin de changer avec eux. L’acceptation et l’ouverture de la culture rave dans ce qu’elle a de meilleur existe toujours, on l’a simplement forcée à cacher d’où elle venait. Elle est partout, dans les balls de voguing, les boutiques de vinyles et sur les défilés, pourvu qu’on veuille bien faire l’effort de la chercher. Un hommage à 1988 mais qui n’assume pas tout son héritage. « Il faut se concentrer sur ce qui se passe ici et maintenat, affirme Kitson. Faire référence au passé ne signifie pas qu’il faut être rétro. »
Cet été, faites vous donc une fleur. Cessez de dire que rien n’a existé depuis que Terry Farley a cessé de mettre des shorts et que le Mur de Berlin a été démoli. Ne croyez pas à tout ce qu’on vous raconte au sujet des 200 000 personnes qui dansaient pendant des jours dans un champ. Regardez autour de vous et emplissez vous de l’instant présent.
Le clubbing a vécu un boom et un déclin, et il renait peu à peu à partir de ses cendres. Visitez des endroits comme le White Hotel de Manchester, découvrez les soirées Come Thru à Leeds, écoutez attentivement ce que des producteurs comme Finn et des DJs comme Amy Becker font – prenez du recul et regardez la culture en train de se construire juste devant vos yeux. Nuit après nuit, week-end après week-end, des soirées tranchent ce lien avec un passé largement discuté. Il suffit de bien vouloir lui faire une place pour que la culture club nous rende à nouveau heureux.
Alors plongeons la tête la première, écoutons ce qui marche et ce qui ne marche pas, découvrons les choses que nous regarderons dans trente ans en se disant qu’elles étaient les plus belles au monde. Parce que c’est peut-être la cas.
Cet article a initialement été publié par i-D UK.