Société

L'Italie est débordée par les corps des victimes du coronavirus

Un expert nous parle de la pression exercée sur l'industrie funéraire et sur le transport des cercueils par l’armée.
Leonardo Bianchi
Rome, IT
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
coronavirus
PHOTO : GETTY IMAGES/BLEND IMAGE

Quand j'ai vu pour la première fois les vidéos virales de camions militaires ramassant les cercueils des victimes du coronavirus à Bergame, dans le nord de l'Italie, j'avoue avoir pensé qu'elles étaient fausses. Malheureusement, ce n'était pas le cas. Le 21 mars, l'armée italienne a été appelée à transporter une soixantaine de cadavres en dehors de la ville, car le crématorium ne peut pas traiter plus de 25 corps par jour, et ce, même en fonctionnant 24 heures sur 24.

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Bergame est jusqu'à présent la région italienne la plus touchée par l'épidémie ; depuis le début de la crise, plus de 4500 personnes seraient mortes du Covid-19 dans la ville et ses environs. Les cercueils ont été transportés dans des camions militaires jusqu’à Ferrare, à 200 kilomètres au sud-ouest de Bergame, et dans d'autres villes pour soulager la pression sur le système.

Les photos et vidéos capturant la situation mettent en lumière non seulement l'urgence médicale dans la région, mais aussi la pression subie par les pompes funèbres. J'ai parlé avec le chef de la Fédération nationale italienne des directeurs de pompes funèbres (FENIOF), Alessandro Bosi, pour comprendre les restrictions et les risques auxquels ses collègues et lui sont confrontés.

VICE : Bonjour, Alessandro. J’imagine que depuis le début de la crise sanitaire, la charge de travail a explosé dans l’industrie des pompes funèbres.
Alessandro Bosi : C'est particulièrement difficile pour les entreprises de pompes funèbres en ce moment, car elles doivent respecter des procédures de sécurité spéciales pour prendre en charge les victimes du Covid-19, en plus de s’occuper des décès qui surviennent pour d’autres motifs dans le pays (environ 600 000 par an). En raison des nouvelles restrictions, elles ne peuvent pas offrir toute la gamme habituelle de services et de soutien aux familles en deuil.

Quel est le protocole actuel ?
Les règles varient d'une région à l'autre. En général, lorsqu'une maison funéraire reçoit le corps d'une personne décédée du Covid-19, elle doit le déshabiller et l’envelopper dans un drap recouvert de désinfectant. Le corps doit ensuite être placé dans le cercueil qui est immédiatement scellé avant d'être transporté au cimetière ou au crématorium.

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Lorsqu'une personne meurt du Covid-19 à l'hôpital, il arrive souvent que ses proches ne puisse pas la voir une dernière fois. Ils doivent alors faire leurs adieux devant un cercueil fermé. Et lorsqu'une personne meurt chez elle et que la cause de son décès est liée à la maladie, toutes les personnes ayant été en contact avec elle doivent être mises en quarantaine. C'est un problème pour les entreprises de pompes funèbres : elles doivent trouver un moyen de se coordonner avec les membres de la famille afin d’organiser des funérailles sans eux. Elles doivent prendre le maximum de précautions.

Selon vous, les employés des entreprises de pompes funèbres sont-ils assez protégés ?
Nous avons soulevé ce problème il y a des semaines ; il est impossible de trouver des masques FFP3 et des gels désinfectants. Notre secteur est certes secondaire par rapport au travail du personnel médical, mais comme nous sommes en charge des services funéraires, nous devons protéger nos collaborateurs et garantir la continuité de leur travail, au bénéfice de l’ensemble de la population.

Comment se déroulent les funérailles d'une victime du Covid-19 ?
Pour l'instant, les funérailles consistent à transporter les cercueils jusqu'au lieu d'inhumation et pas grand chose d’autre. Toutes les célébrations et tous les rassemblements de quelque nature que ce soit sont interdits. La nouvelle réglementation interdit également les transferts de cercueils ouverts. J'ai vu circuler de fausses informations selon lesquelles si vous mourez du coronavirus, vous devez être incinéré. Ce n'est pas vrai. Les corps peuvent être soit enterrés, soit incinérés, au même titre que les autres.

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Si la famille n'est pas en mesure d'assister aux funérailles ou de les célébrer, comment vous coordonnez-vous avec elle ?
Il y a eu beaucoup de changements. En particulier dans les cas où une personne meurt chez elle – vous ne pouvez être sûr de rien en ce qui concerne la cause du décès. Vous devez également porter un masque, une combinaison et des gants pour interagir avec les membres de la famille. Certaines villes ont levé les restrictions sur les procédures qui doivent normalement être effectuées en personne. Par exemple, l'autorisation d'incinération peut être donnée via un appel vidéo sur WhatsApp et d'autres questions peuvent être traitées par mail.

Quel est l'impact de la situation sur le processus de deuil ?
Je dois dire que les familles italiennes réagissent de manière très responsable et collaborative. Beaucoup ont pris leurs dispositions avec les pompes funèbres et les prêtres locaux afin de célébrer symboliquement leurs proches une fois l'urgence passée.

Les images de camions de l'armée transportant des corps reflètent-elles la gravité de votre situation?
Ces images montrent à quel point une augmentation soudaine du nombre de décès dus au Covid-19 peut être problématique dans une petite région. Le problème avec Bergame, c’est que de nombreux funérariums ont fermé. La ville a même dû entreposer temporairement des cercueils dans une église parce qu’il n'y avait pas de place ni dans le cimetière ni dans le crématorium. En temps normal, une telle solution serait inenvisageable.

La plupart des cercueils ne peuvent pas rester longtemps en place ; il y a un récipient à l'intérieur qui recueille tous les liquides expulsés par les cadavres, mais en quelques jours, ils peuvent déborder, ce qui entraîne des problèmes d'hygiène évidents. Je pense que ces images de l'armée ont été efficaces pour inciter les gens à rester chez eux et à respecter les lois d'urgence. Elles ont fait comprendre à tout le monde que ce n'était pas une blague.

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