Par un beau dimanche d’été, il y a de ça un demi-siècle, un satellite a été lancé dans l’espace et a ouvert son œil sur la Terre. Depuis, il n’a cessé de surveiller l’immense beauté de notre planète et témoigner de la rapide transformation engendrée par l’activité humaine.
Le programme Landsat, qui a généré la plus longue captation en continu de la Terre depuis l’espace, a fêté il y a peu ses cinquante ans, un anniversaire qui marque le lancement du premier observateur spatial, désormais connu sous le nom de Landsat 1, le 23 juillet 1972. Depuis cette mission inaugurale, Landsat a lancé avec succès sept autres satellites, dont trois sont toujours en service, tandis que Landsat 6 n’a pas atteint son orbite après un échec de lancement.
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Géré conjointement par la NASA et l’Institut des études géologiques américain (USGS), Landsat a capturé plus de dix millions d’images mises gratuitement à disposition de tous, permettant ainsi aux humains de contempler à la fois la grandeur de leur planète et les conséquences des pressions qu’ils exercent sur elle. À partir de carreaux photographiques capturant chacun une zone de 115 miles de long et de large, Landsat a construit une mosaïque de notre planète. Ces merveilleuses cartes postales de l’espace révèlent entre autres des déserts recouverts de dunes, des îles éloignées, des villes tentaculaires et des systèmes fluviaux ramifiés qui traversent les paysages comme des veines.
En plus de fournir de précieuses infos à d’innombrables disciplines scientifiques, les images de Landsat sont tout simplement magnifiques. Une beauté époustouflante qui a inspiré une série intitulée « Earth as Art » (la Terre en tant qu’art) mettant en lumière les clichés les plus captivants. Mais aussi belles soient-elles, ces images nous rappellent brutalement les bouleversements que le changement climatique causé par l’homme provoque sur la planète. Les clichés permettent ainsi de suivre l’intensification des feux de forêt, d’évaluer les dégâts causés par les ouragans et d’observer l’assèchement des lacs, l’érosion des côtes et la déforestation.
Pour tous ceux qui ont collaboré ou collaborent encore à Landsat, ce programme est le fruit d’un amour qui a mobilisé des générations de scientifiques, dont Virginia Norwood, physicienne pionnière qui a conçu l’instrument d’imagerie clé utilisé sur Landsat 1 et plusieurs autres missions initiales du programme.
Par rapport à ses successeurs, le Landsat 1 qui a été mis hors service en 1978 était un engin spatial relativement simple. Pourtant, d’après les dires de Jim Irons, beaucoup le considéraient déjà à l’époque comme « la voie de l’avenir ». Il faut dire qu’Irons a dirigé Landsat pendant des années et occupe actuellement au Goddard Space Flight Center de la NASA les fonctions de responsable scientifique adjoint du projet pour Landsat 7, et de responsable scientifique du projet pour Landsat 8.
« Je pense qu’il était clair qu’il allait révolutionner la façon dont nous allions observer la Terre au fil du temps », explique Jim Irons, fraîchement retraité de son poste de directeur de la division des sciences de la Terre à Goddard, lors d’un appel conjoint avec Temilola Fatoyinbo, membre de l’équipe Landsat.
« Même si nous utilisons maintenant des données d’une bien meilleure résolution, il est toujours utile de les comparer à celles du premier Landsat », ajoute Fatoyinbo, chercheuse en sciences physiques spécialisée dans les écosystèmes côtiers au laboratoire des sciences biosphériques de Goddard. « La vraie force du projet, c’est la possibilité de comparer et regarder le même point sur la Terre à travers le temps. Il n’y a que Landsat qui rend cela possible. »
Le monde que Landsat 1 a laissé derrière lui était très différent de celui que ses successeurs opérationnels, Landsat 7 à 9, observent aujourd’hui. Lorsque le programme a été lancé, les scientifiques avaient déjà tiré la sonnette d’alarme sur le changement climatique causé par les émissions de gaz à effet de serre provenant de la consommation de combustibles fossiles, mais ses 50 années d’existence ont permis d’en documenter les conséquences désastreuses avec une précision sans précédent.
Parce que Landsat a fourni une couverture mondiale calibrée constante et gratuite pendant des décennies, le programme se pose comme « un outil vraiment puissant pour comprendre les impacts du changement climatique à bien des égards », déclare Irons, citant des observations du « recul des glaciers, de la déforestation et de la perturbation des forêts amazoniennes, de la croissance urbaine, des changements dans les écosystèmes, etc. », tous des éléments qui « reflètent le changement climatique — et la liste est encore longue ».
« Comme je travaille dans les zones côtières, je suis témoin de nombreux bouleversements », note Fatoyinbo. « Quand on les regarde, ces images de déforestation et de modifications côtières sont vraiment choquantes ».
Alors que les villes, les fermes et les autres espaces humains envahissent de plus en plus les habitats naturels, Landsat a également suivi la détérioration du monde sauvage aux quatre coins de la planète. S’il peut être difficile de se rendre compte de ces changements effrayants, l’époustouflant catalogue d’images de la Terre fourni par le programme constitue l’argument ultime en faveur de l’action et de la fermeté face aux pressions anthropiques que subit notre planète.
À travers les images de Landsat, cette planète familière nous apparait sous un angle inconnu, un peu comme un autre monde, tout en exposant sa fragilité — et donc notre propre vulnérabilité — dans un contexte cosmique. Le programme est capable de nous faire repenser à ces petites parcelles de la Terre que nous connaissons et aimons, un pouvoir auquel Irons et Fatoyinbo ont réfléchi alors que le programme fête ses 50 ans.
« J’ai grandi en Afrique de l’Ouest ; j’y ai passé beaucoup de temps et il y a de nombreux endroits où il est tout bonnement impossible de se rendre parce que c’est énorme, c’est loin et qu’il risque de ne pas y avoir de transport », déclare Fatoyinbo. « Certaines régions peuvent être dangereuses pour votre sécurité ou physiquement impossibles d’accès, surtout en ce qui concerne le type de zones humides dans lesquelles je travaille. »
« Lorsque j’ai vu ma première image satellite, qui était en fait une impression de l’Afrique dans le bureau de mon futur directeur de thèse, j’ai cru que ma tête allait exploser », poursuit-elle. « Je ne m’étais même pas doutée qu’il puisse y avoir plusieurs images et que l’on pourrait regarder dans le temps. C’était presque impossible à croire. Mais quand j’ai entamé mon doctorat, j’ai commencé à travailler sur la cartographie et à bosser avec les données Landsat. J’utilise toujours ces données et elles ne cessent de s’améliorer. »
Irons nous a également fait remarquer qu’il était intéressant de voir des lieux familiers depuis l’espace. Lorsque je lui ai demandé s’il avait une image favorite, il a cité l’un des premiers clichés du programme représentant les Appalaches autour de Harrisburg, en Pennsylvanie. Grâce à la perspective offerte par Landsat, il a pu reconnaître des endroits où il avait autrefois fait des randonnées et identifier des caractéristiques géologiques apprises lors de ses études à Penn State.
« J’ai toujours été frappé par le fait qu’il s’agissait d’une image prise depuis l’espace. Les textes de mes manuels sur l’aspect des crêtes et des vallées prenaient vie juste sous mes yeux, à travers une simple image que je pouvais regarder et explorer à ma guise, et même me dire “oh tiens, j’ai fait de la randonnée ici” », m’explique-t-il.
« Nous passons actuellement beaucoup de temps à observer les conséquences des catastrophes naturelles, des incendies de forêt et de la croissance urbaine, mais parfois, il est bon de revenir à ces images et de prendre conscience de la beauté austère de la Terre vue depuis l’espace », conclut Irons. « Nous n’avons peut-être pas tous la chance d’être astronautes, mais nous pouvons tous parcourir les données Landsat et avoir un bel aperçu de ce panorama merveilleux ».
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