En Chine, l’ère des « petits empereurs » est belle est bien terminée. Cette appellation controversée désignait les marmots au comportement insupportable car trop longtemps choyés par leurs parents, une des conséquences de la politique de l’enfant unique menée dans le pays jusqu’en 2016. Certes, quelques-uns continuent d’agir comme des petits merdeux – pensée toute particulière à l’ado qui a gravé son nom sur un monument égyptien vieux de 3 000 ans – mais de pourris gâtés, les jeunes chinois sont en passe de devenir des martyrs.
La raison ? Le gouvernement a décidé fin août de resserrer les boulons niveau loisir. En plus de devoir se coltiner la pensée de Xi Jinping dans les nouveaux manuels scolaires, les moins de 18 ans seront privés de jeux vidéo en ligne en dehors d’un minuscule créneau entre 20 heures et 21 heure le vendredi, le week-end ou pendant les jours de vacances. Annoncée à la fin du mois d’août, cette mesure a pour but, selon l’agence de presse Xinhua, d’endiguer l’addiction des plus jeunes.
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Elle intervient quelques mois seulement après la mise en place d’une première série de contraintes (interdiction d’utiliser un pseudo, restriction des dépenses, 90 minutes de jeu en ligne par jour en semaine, trois heures le week-end, interdiction stricte la nuit entre 22 heures et 8 heures). Si le gouvernement a durci sa ligne, c’est que les kids ont déjà trouvé la parade pour gratter quelques minutes de Game for Peace ou de Honor of Kings en dehors des horaires autorisés ; location de comptes permettant d’accéder aux jeux en dehors des horaires autorisés et usurpation de l’identité des parents en tête.
Les soubresauts autoritaires du PCC ne sont pas sans rappeler ceux de milliers de parents qui ont tenté de limiter, ralentir voire interdire la consommation de jeux vidéo à leurs enfants. Pour savoir si ces mesures sont efficaces, vouées à l’échec ou totalement contre-productives, on est allé parler aux premiers concernés : les gamers contrariés.
« Les emmerdes ont débuté en CE2 avec GTA 3 et la PS2 »
Lucas, 27 ans
J’ai toujours eu un rapport assez particulier aux jeux vidéo. J’ai commencé très jeune – je devais avoir 8 ou 9 ans quand j’ai découvert GTA, celui avec la vue aérienne, que mon grand frère faisait tourner sur la PS1 – et je ne voyais pas ça comme un loisir mais plutôt comme une activité éminemment sérieuse. C’était le métier de mon père qui travaillait sur leur conception et jouait avec moi tous les soirs une heure ou deux après l’école.
Les emmerdes ont débuté en CE2 avec GTA 3 et la PS2. Particulièrement obsessionnel et cartésien, j’étais fasciné par le réalisme du jeu et la liberté qu’il offrait. Je pouvais marcher avec mon perso dans une ville au milieu des klaxons et j’avais l’impression de vivre ma vie à travers ça. Je jouais en cachette, j’imprimais les codes, les histoires tirées du jeu, et je ne pensais qu’à GTA toute la journée. Mes parents ont été pris au dépourvu. Même si je leur en parlais continuellement, ils n’ont tilté que quand mes notes se sont écroulées. L’interdiction s’est d’abord concentrée sur GTA – jusqu’à mes 15 ans – puis s’est étendue jusqu’à la PS2. Je le vivais comme un drame. Je faisais des crises quand ma mère éteignait la lumière. C’est là que mon grand frère a prononcé le mot « addiction ». Et puis les contraintes se sont petit à petit assouplies, j’allais jouer chez mon meilleur ami, puis sur le PC de la maison de campagne.
Je ne suis pas persuadé de l’efficacité de ce genre de contrôle. Un problème a été réglé – je ne pouvais plus faire que ça donc je me suis mis à faire autre chose – mais l’interdiction a aussi accentué une forme de frustration pas dépourvue de conséquence sur mon bien-être psychologique. Une fois autonome, j’ai rattrapé le temps perdu. En vieillissant, on se détache de la sensation d’immersion totale donc je n’ai jamais mis ma vie personnelle de côté pour jouer à Red Dead Redemption. Mais je pense que j’aurais dû aller voir un psy à l’époque, cela aurait été bien plus efficace que le sevrage imposé.
Agathe, 28 ans
Mes parents m’ont longtemps empêchée de jouer aux jeux vidéo. Comme j’étais une jeune fille plutôt sage, l’histoire aurait pu s’arrêter là. Et puis un jour, mes deux cousins se sont débarrassés de leur vieille Super Nintendo, déjà désuète, en la stockant dans le garage de mes grands-parents. Quand j’étais chez eux, j’attendais donc qu’ils dorment – ils se couchaient tôt – j’installais la console sur la télé et je jouais à Mario. Ils ne se sont jamais doutés de rien ou ils faisaient peut-être semblant de ne pas voir. Je réclamais souvent de passer du temps chez eux – ce qui passait pour une demande anodine était en fait totalement intéressé.
C’est ma seule expérience dans ce domaine mais je la décrirais comme intense. Je pense avoir passé des mondes que peu de gens ont atteints. Mes parents m’ont ensuite autorisée à jouer à Adibou puis Adi, des logiciels à but éducatif où tu fais des gâteaux après avoir calculé le poids des ingrédients. Je crois qu’ils avaient peur que je devienne débile – ma mère était prof. Plus tard, je me suis lancée dans les Sims, j’avais chopé des cheats donc j’étais blindée de thunes et je construisais des maisons incroyables. Je n’ai pas tiré de cette interdiction une frustration particulière. Peut-être un minuscule regret de ne pas connaître ce milieu et d’être aujourd’hui totalement larguée quand on parle de jeux vidéo – sauf tes questions qui doivent être un peu débiles aussi du coup.
Denys, 22 ans
Je n’avais pas d’interdits à proprement parler mais quelques contraintes, notamment une limite de temps. Je ne pouvais pas dépasser les deux heures de jeu sans que ma mère intervienne et me demande de sortir m’aérer immédiatement. Il y avait aussi une réserve autour des jeux qu’elle considérait comme violent – genre GTA, Call of Duty ou même Warcraft 3 que j’avais installé sur le PC familial et qu’elle jugeait totalement déplacé car peuplé de « zombies ». Sonic ou DJ Hero par contre, ça ne posait aucun problème. Dans les deux cas, je trouvais toujours un moyen de m’en sortir ; avec mes potes, on s’échangeait les jeux « bannis » en mettant les disquettes dans des boîtes différentes. Quant à la limite de temps, je prenais la Playstation en soum-soum et je la branchais à la télé de ma chambre, un drap par-dessus pour couvrir le bruit et y jouer toute la nuit. Je me suis fait pécho une fois par ma mère et je lui ai expliqué que je devais envoyer un message à des potes « pour l’école ». Je faisais la même chose avec la DS sous l’oreiller pour étouffer le ronronnement et jouer à Animal Crossing.
« Si j’avais des gosses, je pense que je les laisserais faire ce qu’ils veulent »
Il y avait un vrai clivage à la maison entre les garçons – mon grand-père, 50 balais, jouait encore à Tomb Raider – et les filles, qui étaient contre. Mon père a progressivement remporté la bataille ; il était lui-même un grand fan de jeux vidéo et un des meilleurs joueurs de Max Payne 3 en Europe – classement à l’appui. Ça m’arrivait de le regarder jouer la nuit. Au final, je ne suis pas mécontent que ma mère m’ait imposé quelques interdits – même si ça me rendait parfois dingue en exacerbant mon envie de jouer. Je pense que si elle avait laissé la porte totalement ouverte, j’aurais eu un tout autre parcours.
La décision du gouvernement chinois me choque plus parce qu’elle ôte tout libre arbitre aux parents et aux enfants. Si j’avais des gosses, je pense que je les laisserais faire ce qu’ils veulent – il y a des jeux vidéo comme Habbo qui peuvent très bien servir au développement de certaines capacités cognitives – tout en imposant des heures d’activité éloignées des jeux pour nourrir leur curiosité.
Elsa, 29 ans
Ma mère était archi-sévère et m’interdisait de sortir voir mes copines – je suis fille unique. Elle m’avait donc logiquement fixé des heures de jeux vidéo qui n’étaient heureusement jamais vraiment respectées au pied de la lettre. Si elle m’avait empêché de jouer en plus de toutes les autres contraintes, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Elle avait juste une aversion particulière pour les jeux violents type Mortal Kombat. Je jouais donc seul à des titres inoffensifs comme RollerCoaster Tycoon ou Airline Tycoon. Je créais des univers virtuels, frustrée de ne pas avoir accès au monde réel.
Quand je dépassais vraiment les bornes des limites, genre que je jouais jusqu’à trois heures du matin, ma mère intervenait, j’obéissais et j’allais me coucher en écoutant Les Filles du Mouv’ à la place. J’ai joué un peu avec mon père (GTA, SSX) mais dans l’ensemble, c’était vraiment une activité de solitaire. Je trouve ça un peu problématique qu’un gouvernement joue les parents de substitution même si ça ne me surprend pas des masses. Je pense que si j’ai des enfants, les interdits mis en place le seront surtout pour freiner les problèmes de santé liés aux jeux vidéo ; aucune envie qu’ils finissent obèses et myopes.
Thibault, 34 ans
J’ai miraculeusement réussi à avoir une Super NES alors que ma mère, instit’, détestait les jeux vidéo. Elle ne voulait pas que j’y joue alors que c’était elle qui me l’avait offerte. De toute façon, je ne pouvais même pas allumer la télé. La console était dans le salon et je jouais en cachette, lorsqu’elle avait des réunions le soir entre 18 heures et 20 heures Je m’efforçais de tout ranger comme si de rien n’était mais, malgré toutes les précautions prises, elle avait souvent un sixième sens pour sentir qu’un truc n’était pas exactement à sa place.
Parfois, elle m’autorisait à jouer mais uniquement 30 minutes. En larmes, je négociais laborieusement une rallonge et obtenais dans le meilleur des cas une demi-heure supplémentaire qu’il fallait respecter à la lettre. Plusieurs fois, elle m’a demandé d’éteindre alors que j’étais au milieu d’une partie. Je lui disais ; « mais maman, je ne peux pas faire pause, il faut que je sauvegarde », elle me répondait : « j’en ai rien foutre ». Elle a déjà arraché le jeu de la console ce qu’il ne faut surtout pas faire avec la Super NES car il y a un loquet, ce qui peut abîmer la machine et/ou la cartouche. Elle a même jeté une manette par la fenêtre – on habitait au 4e. Elle savait se montrer persuasive.
Je n’ai pas eu de consoles ensuite et je n’ai jamais vraiment développé de goût pour les jeux vidéo même si j’ai installé quelques applis sur mon téléphone. Je ne ressens pas de manque, je pense que son plan a parfaitement fonctionné. Quant à la décision du gouvernement chinois, je n’y suis pas favorable car je m’érige contre toutes les interdictions en général.
Abigail, 34 ans
Mes parents ont pas mal de choses en horreur comme la télévision, les films Disney, le sucre, les Barbies © et le fun en général. Ils sont architectes et ont toujours considéré que les jeux vidéo étaient une sorte d’aberration. Que ce n’était pas assez stimulant et que ça participait à une sorte de repli sur soi qu’ils ne supportaient pas de voir chez les enfants. En gros, ils estimaient qu’une console n’était pas à la hauteur de mon potentiel. J’ai donc mis énormément de temps et d’énergie à les convaincre du bien-fondé d’avoir une Playstation.
Ils ont fini par accepter parce que j’ai beaucoup insisté et parce que c’est moi qui me la suis payée. J’ai même signé une espèce de contrat avec eux – je ne devais pas jouer ou regarder la télé plus d’un certain nombre d’heures. Tout le monde avait l’air de s’amuser et je voulais savoir ce qu’il en retournait. Je devais avoir 15 ans et à l’époque, c’était synonyme de liberté. Ma façon à moi d’apprendre à jouer de la guitare. Au final, je n’ai jamais acheté de jeux, j’ai joué avec ceux qui étaient vendus avec la console (FIFA et Gex: Enter the Gecko) et je me suis vite rendu compte que j’étais nulle. Je n’ai jamais vraiment capté la « vibe ». Je crois que c’était juste un caprice.
Ludovic, 31 ans
Le plan initial de mes parents c’était zéro console à la maison pendant l’ensemble de ma scolarité. Ils étaient persuadés que j’allais me perdre dans les jeux vidéo et que j’allais foirer mes études – je les ai foirées quand même mais pour d’autres raisons. Pour gamer, j’allais chez des potes et je profitais allègrement de leur matos ; Alerte Rouge chez l’un, Outlaws chez l’autre, Crash Bandicoot chez tous. J’étanchais aussi ma soif d’écrans dans les locaux de Tetranet, le cybercafé installé sur le chemin de l’école dans lequel se déroulaient des LAN de Counter Strike, Half Life ou Quake 2 assez légendaires. Le gérant me couvrait toujours quand mes vieux appelaient pour savoir ce que je foutais, assurant que je n’y avais pas foutu les pieds de la journée.
À la maison, en privilégiant le Mac au PC, mes parents pensaient aussi me préserver d’un catalogue de jeux infini. Il n’aura pourtant suffi que d’une licence particulièrement chronophage pour chambouler leurs plans. J’ai perdu, comme pas mal d’ados, plusieurs semaines de vie sur Football Manager (à partir de L’Entraîneur 3, saison 99/00). Mes parents auront tenté vainement de freiner une consommation devenue incontrôlable – cachant par exemple le câble d’alimentation de l’ordi dans un tiroir de fringues. Depuis, je suis parvenu à me réguler.
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