Avant que J.K. Rowling ne publie son essai transphobe de 4 000 mots le 10 juin dernier, elle était déjà sur un terrain glissant. Après des années d’ajouts non sollicités à l’histoire et de transphobie voilée dans ses autres œuvres, il est devenu compliqué d’être fan de Harry Potter. J’avais déjà pensé à faire recouvrir mon petit tatouage du symbole des reliques de la mort, et l’essai du 10 juin m’a définitivement convaincue de le faire. Ma relation avec Harry Potter en tant qu’adulte était déjà conflictuelle et maintenant, j’ai tout simplement hâte que ce signe du passé soit effacé de ma peau. Même le fait d’apprendre qu’un nouveau jeu vidéo Harry Potter allait bientôt sortir ne m’a pas réjouie, alors que j’attendais ça depuis des années.
Je ne suis pas la seule dans ce cas. Sur Twitter, plusieurs personnes ont exprimé leur souhait de voir leurs tatouages Harry Potter recouverts. L’artiste Molly Ostertag a proposé d’aider certains fans à le faire en échange d’un don à une association caritative pour les femmes trans de couleur.
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Trois fans nous ont parlé de leurs propres tatouages et de leur relation avec la saga.
Laney
Le tatouage de Laney combine le symbole des reliques de la mort et un cerf, le patronus de Harry, qui le protège des créatures qui se nourrissent de la peur. « Le tatouage a commencé avec les reliques de la mort en 2011, explique Laney. J’étais accro au monde Harry Potter, surtout aux derniers films, et je voulais graver cet amour à jamais sur ma peau. » « Je suis devenue plus critique au fil des années, poursuit-elle. C’est bizarre de relire les livres aujourd’hui. J’ai des sentiments mitigés sur J.K. Rowling en tant qu’auteure et sur son travail lui-même. »
Dans les textes de Rowling, il y a beaucoup d’éléments qui peuvent être interprétés de différentes manières. Les gobelins au nez crochu de Gringotts apparaissent comme des créatures avides qui contrôlent la banque des sorciers, ce qui est antisémite même si ce n’est pas intentionnel. Le traitement des personnages de couleur comme Parvati Patel, Dean Thomas et Cho Chang – Cho Chang, sérieusement ? – laisse à désirer.
Et puis, en 2007, Rowling a révélé que Dumbledore était gay. À l’époque, Laney n’avait pas encore fait son coming-out et avait été ravie en apprenant la nouvelle. Mais sa joie n’allait pas durer. « Ce qui m’a fait réfléchir, c’est quand elle a commencé à parler des différentes écoles de magie du monde », dit Laney. Au-delà du fait qu’il n’existe qu’une seule école pour l’ensemble du continent africain et que la place des Amérindiens dans l’histoire du monde américain des sorciers n’est pas claire, l’école japonaise de sorcellerie porte un nom grammaticalement incorrect. Laney venait d’ajouter le cerf à son tatouage lorsque l’information est sortie. « Elle a adopté une vision très étroite, très britannique du reste du monde », dit-elle. La transphobie ultérieure de Rowling lui a été encore plus pénible. « Je suppose que j’ai perdu une sorte d’idole », poursuit-elle.
Jordan
Jordan avait 11 ans quand il a lu le premier livre de Harry Potter, soit le même âge que Harry avait quand il a reçu sa lettre de Poudlard l’invitant à intégrer l’école des sorciers. Jordan dit que, comme beaucoup de fans, il a grandi avec Harry. « Quand j’étais adolescent et que mes parents venaient de divorcer… Poudlard me permettait vraiment d’échapper à toutes ces merdes auxquelles j’étais confronté », dit-il.
Jordan s’est fait tatouer le symbole des reliques de la mort sur la cheville par un ami. Il a fait faire son premier tatouage à l’âge de 18 ans et a toujours su qu’un jour, il en aura un en hommage à Harry Potter.
Une fois à l’université, Jordan a étudié la littérature anglaise et a appris à être plus critique à l’égard de ce qu’il lisait. « J’ai relu Harry Potter et j’ai commencé à comprendre certaines choses. Par exemple, Rowling décrit l’esclavage comme étant une bonne chose », dit-il, en référence aux elfes de maison qui refusent d’être libérés de l’esclavage au sens propre. Jordan se souvient également de la fois où l’auteure a dit qu’Anthony Goldstein, un élève de la maison Serdaigle, était juif. Et que les sorciers faisaient caca par terre avant de tout faire disparaître d’un coup de baguette parce qu’ils n’avaient pas d’installations de plomberie.
Mais c’est la transphobie pure et simple de Rowling qui a changé son rapport à la saga. « Je ne veux pas que mes amis trans voient le tatouage et pensent que je cautionne ce qu’elle dit », dit-il.
Quoi qu’il en soit, Harry Potter a longtemps fait partie de sa vie. Bien qu’il ne s’agisse plus d’une échappatoire comme c’était le cas lorsqu’il était adolescent, Jordan sait que le processus de réévaluation de la saga sera long.
Kay
Kay est bibliothécaire dans un lycée et dit que son tatouage, qui représente également les reliques de la mort, était un moyen de se rapprocher des enfants rencontrés au travail. « C’était un bon sujet de conversation », dit Kay.
Kay est non binaire et s’est fait tatouer par un ami trans. Après que Rowling a commencé à exprimer ses opinions transphobes, son tatouage n’avait plus la même portée symbolique. « La première fois qu’elle a tenu ce genre de propos, je me suis dit qu’elle allait s’arrêter là, dit Kay. Mais après plusieurs fois, je me suis dit que je devais faire quelque chose. D’une part, c’est personnel. Je ne veux pas avoir dans mon corps quelque chose qui est maintenant souillé à cause d’elle et de ce qu’elle a dit. D’un autre côté, je suppose que c’est un peu égoïste. Je ne veux pas que les gens me voient et s’imaginent que j’ai les mêmes opinions qu’elle. »
Quand la saga est sortie pour la première fois, Kay était très prolifique dans le fandom en ligne et adorait le Shoebox Project, une longue fanfiction dépeignant une relation romantique entre Remus Lupin et Sirius Black pendant leurs études. Pour Kay, le fandom venait souvent compléter ce qui manquait dans les livres de Rowling.
Kay aimait aussi beaucoup les romances entre Harry et Drago Malefoy. Selon Kay, les Harry et Drago des fanfictions ont très peu à voir avec les personnages des livres de Rowling. Et l’auteure a été assez catégorique sur le fait que Sirius et Remus sont tous deux hétéros. Les fans ont également imaginé un monde où James Potter est amérindien ; un autre où Peter Pettigrow a des qualités rédemptrices. La relation de Kay avec ces récits officieux reste plus ou moins intacte. Les livres officiels sont une toute autre affaire.
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Parfois, je suis tellement gênée par mon propre tatouage que j’ai envie de m’en excuser à l’avance lorsque je rencontre une nouvelle personne. Avant, Harry Potter était si important pour moi que je n’y ai pas réfléchi à deux fois avant de passer sous l’aiguille. Comme Jordan, j’ai grandi avec Harry. Comme Kay, le fandom est devenu pour moi un lieu d’exploration et d’approfondissement de l’histoire originale. Comme Laney, j’ai admiré J.K. Rowling à la fois comme auteure et comme femme qui se disait féministe. Mais le discours qu’elle défend sur les trans est profondément nuisible.
Je crois que j’ai enfin trouvé une idée pour le camoufler. Je me suis mise au jardinage en grandissant, et je trouve le même réconfort à m’occuper de mes plantes qu’à lire Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban quand j’étais plus jeune. Les plantes et les fleurs peuvent symboliser la croissance ; peut-être qu’en remplaçant les reliques de la mort par une plante que j’ai cultivée, je pourrais renoncer à une enfance que je ne peux plus retrouver.
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