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Des voix humaines émergent de nos appareils électroniques

Notre environnement technique affole nos sens. Grâce à nos téléviseurs, box Internet, téléphones et tablettes, nos hallucinations auditives sont plus variées que jamais.

Vous êtes assoupi sur votre canapé, seul, dans la semi-pénombre. Vous songez à la vacuité de l'existence et à la longueur de vos ongles de pieds. Il ne fait pas assez nuit pour rêver, et pas assez jour pour entreprendre quelque chose. C'est un sombre dimanche.

Soudain, un chuintement se fait entendre dans votre dos. Non pas un chuintement, mais un grésillement. Non, pas un grésillement, une voix humaine. Distordue, chevrotante, mais une voix tout de même. Vous vous crispez. Est-ce le démon de la Xbox ? Est-ce l'esprit d'un ancien locataire cherchant à vous associer à son tourment éternel ? Quelques mots se forment, indistincts, menaçants. Vous êtes terrifié. Alors que vous faites soudain face à l'indicible au prix d'un terrible effort musculaire, la vérité se révèle à vous : vous vous êtes assis sur la télécommande, et la damnation de votre âme ne viendra pas par les borborygmes de Canal+ en crypté.

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L'impression de distinguer une voix dans le grésillement d'un appareil électronique est une expérience assez courante ; elle participe au phénomène de paréidolie auditive, c'est-à-dire d'une illusion cognitive où un sujet identifie des mots, voire des phrases intelligibles, au milieu d'un enregistrement non vocal ou de bruits ambiants.

La paréidolie auditive est elle-même une forme d'apophénie, un phénomène d'altération de la perception qui nous affecte tous ponctuellement et nous conduit à percevoir des motifs signifiants dans des données ou signaux aléatoires. Distinguer des visages dans des objets du quotidien (paréidolie visuelle), se persuader que vous regardez toujours votre montre à 11h11, avoir le sentiment que les crashes d'avion arrivent toujours en série, discerner des systèmes de codage dans les livres sacrés, autant de situations qui participent du phénomène d'apophénie. En dépit des abus constatés, la capacité à lier entre eux des souvenirs, des sensations, des mots, des formes, etc. est une bénédiction. C'est grâce à elle que nous sommes capables d'apprendre des langues, de jouer d'un instrument de musique, d'intégrer des règles sociales, de faire des inférences logiques et d'élaborer des théories et des lois scientifiques : telles des petites machines à produire du sens, nous transformons les informations qui nous parviennent en des ensembles cohérents.

Pourtant, lorsque notre sensibilité aux stimuli est plus grande que notre capacité à trier et hiérarchiser ces derniers, nous sommes en quelque sorte submergés par le sens. L'illusion établit alors ses quartiers.

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Vous avez probablement fait vos premières expériences de paréidolie auditive dès l'enfance, lorsque les craquements de l'escalier de votre grand-tante résonnaient à vos oreilles comme les menaces étouffées d'un ancien démon velu. Ce genre d'illusion fait intégralement partie de la vie humaine, nous pousse à peupler notre environnement d'éléments fantastiques sans lesquels notre imagination s'assècherait d'ennui. La forme empruntée par l'illusion elle-même semble étroitement dépendante de notre culture, et varie en fonction du support qui l'a suscitée. Aussi, ces dernières décennies, parallèlement à la diffusion des appareils électroniques, les illusions auditives se sont développées en empruntant des formes spécifiques.

Le phénomène de voix électronique (EVP, electronic voice phenomenon en anglais) caractérise le fait d'entendre des voix, d'origine supposément surnaturelles et/ou maléfiques, sur un enregistrement. Tandis que les postes de télévision, postes radio, baladeurs, enregistreurs, etc, se répandent dans les foyers dans la seconde moitié du 20e siècle, un nombre croissant d'individus rapporte avoir dialogué avec des esprits, des démons ou des extraterrestres au moyen de leurs appareils domestiques. Les communautés qui se forment autour de ces phénomènes sont si importantes qu'en 1982, l'American Association of Electronic Voice Phenomena est créée dans le but de mieux comprendre ce qu'elle nomme un « nouveau mode de communication ». Encore aujourd'hui, des artistes sont régulièrement accusés d'héberger des messages satanistes sur leurs disques. Pourtant, vous avez autant de chances de faire l'expérience d'un EVP en passant un disque de Behemoth à l'envers qu'en écoutant un enregistrement de sécurité provenant d'un immeuble vide : c'est avant tout votre état mental et vos attentes qui conditionneront l'illusion en question.

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Même les Eagles ont été accusés de cacher des messages sataniques dans leurs chansons.

Parfois, un événement hasardeux, comme des interférences entre des fréquences radio et celles d'un babyphone (transmodulation), contribuera à affoler votre cerveau ; de même, percevoir de nettes irrégularités dans un bruit blanc, ou entendre une suite de sons dont l'intensité et/ou la fréquence se distinguent nettement d'un bruit de fond disposera à l'interpréter comme une voix humaine. De fait, la multiplication des tablettes, smartphones et ordinateurs dans notre environnement immédiat a non seulement augmenté la probabilité de percevoir des sons inexplicables chez un sujet sain, mais elle a également entrainé l'apparition de symptômes inédits dans un contexte pathologique. Le syndrome de la vibration fantôme, par exemple, est une forme d'hallucination tactile qui donne au sujet le sentiment que son téléphone ou son beeper est en train de vibrer ; une hallucination équivalente porte sur les sonneries téléphoniques. Cela n'a rien de surprenant : par définition, l'hallucination reproduit des perceptions familières rencontrées par le sujet dans un contexte où elles n'ont pas été sollicitées par le réel. Le concept de « perception familière » dépendant étroitement de notre environnement technique et socio-culturel, il est possible que dans le futur, un patient atteint de paracousie se plaigne à son médecin de percevoir le ronflement d'un moteur de moto volante dans le silence de sa chambre, la nuit. Un individu accablé par le syndrome de l'oreille musicale pourrait quant à lui entendre des mélodies de post-dronecore 4D en prenant sa douche matinale.

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Récemment, des compositeurs de musique électronique ont montré qu'en exploitant la capacité de notre cerveau à reconstituer du langage articulé là où il n'y en avait pas, il était parfaitement possible d'émuler une voix humaine à partir d'une mélodie cacophonique jouée sur un instrument quelconque ou composée à l'aide d'un logiciel.

Ici, un enregistrement MP3 d'une chanson très connue (Stayin' Alive des Bee Gees) a été convertie au format MIDI. Le résultat est peu plaisant. Pourtant, si l'on persiste un peu dans l'écoute (jusqu'à 30' au moins pour la plupart d'entre nous), on a le sentiment d'entendre distinctement les chœurs entamer le refrain. Si votre cerveau est suffisamment coopératif, l'illusion peut être spectaculaire.

Cet effet peut être produit avec tous types de chansons, pour peu que vous les ayez déjà entendues un grand nombre de fois. Ici, Hotline Bling de Drake, Wonderwall d'Oasis ou All Star de Smash Mouth.

Le compositeur autrichien Peter Ablingera a, quant à lui, enregistré une voix d'enfant récitant un discours (concernant la création d'une Cour pénale européenne sur les crimes environnementaux), prononcé au World Venice Forum en 2009. Il a reproduit la gamme de fréquence de la voix du garçon sur un piano en utilisant un dispositif de contrôle mécanique. Assisté par des sous-titres, l'auditeur a l'impression que le piano s'exprime d'un voix certes nasillarde, mais solennelle : dès lors que vous avez extrait du sens dans une suite de sons, il est presque impossible de l'en déloger. Pour la même raison, une fois que l'on vous a indiqué que Kouchner a mélangé Pasqua dans l'hymne national russe et que le générique de Ghostbusters est très vulgaire, il y a des chances que vous ne soyez plus capables de les écouter sereinement.

Décidément, il est bien difficile d'échapper à la rumeur vocale de nos machines électroniques, dont les bips et ronronnements discrets forment désormais la toile de fond de nos rares instants de calme. Grâce aux caprices de nos cerveaux et avec un peu d'imagination, leur anthropomorphisation s'en trouve facilitée. Vous trouvez les bips de R2D2 et BB8 émouvants ? Avec un peu d'imagination et quelques nouvelles croyances personnelles, les tintements de votre micro-ondes prendront bientôt la forme intime de témoignages secrets. Et pour peu que l'Internet des Objets y mette du sien, après avoir révolutionné la romance, il sera bientôt possible de renouveler le genre du récit d'horreur.