club naturiste, point éphémère
Photos: Lucie Etchebers pour Vice 

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Société

Comment j'ai survécu au premier clubbing naturiste

Ça s'est passé ce samedi 9 juin au Point Éphémère, où je me suis retrouvé entouré de paires de fesses, de pédés et d'interrogations bourdieusiennes.

Je me considère comme un pédé avec une sexualité épanouie et un peu kinky sur les bords. Quelques années à me déconstruire dans des milieux queer font que j'ai un rapport à mon corps, mon genre et ma sexualité, qui me semble plutôt OK. Et si me foutre à poil ne me semblait pas un gros défi, j'étais simplement curieux de voir ce que donnerait la nudité en milieu naturiste. Je me demandais si cette première soirée club nu, où tout « comportement à caractère sexuel » était strictement interdit, n'allait pas peser sur une dimension pour moi essentielle à la fête : la drague. Est-ce qu'être obligé d'être nu, tout en devant « se tenir », n'allait pas fonctionner comme un carcan plutôt que comme quelque chose de libérateur ? Voici pourquoi j'ai choisi de me rendre au premier clubbing naturiste organisé par le Point Ephémère ce samedi 9 juin, mais également aux ateliers qui se tenaient quelques heures plus tôt, au même endroit, mais cette fois-ci en plein jour.

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Je me posais aussi ces questions parce que j'avais croisé certains des organisateurs dans d'autres contextes, notamment aux apéros naturistes organisés au FDP, un squat près de La Chapelle. Apéros qui me semblaient de prime abord plus intéressants que le clubbing naturiste classique en ce qu'il a été, comme le résume Jérémie Lapeyre, un des organisateurs, « un laboratoire de questionnements éthiques. On voulait faire des événements où les gens se sentent libres mais que ça reste dans les valeurs du naturisme. On n'avait pas envie que la population qui vienne soit juste en quête de sexe. Par ailleurs, je n'avais non plus envie de faire la police. »

Les deux organisateurs de l'évènement - dans le plus simple appareil

Et c'était bien ce que j'y avais trouvé : un lieu hybride, où l'on pratique le naturisme tout en laissant la place à l'érotisme, voire parfois à une sexualité beaucoup plus franche du collier - l'ambiance restant bienveillante et loin de la consommation frénétique des lieux de cul classiques. L'organisation, aux dires des intéressés, n'était pas allée sans heurts. Certains apéros sont restés « bon enfant », d'autres non, et les avis divergeaient quant à la place que le sexe devait prendre ou non. Il a fini par être interdit. Pourtant, que les rapports entre sexualité et nudité aient été en permanence remis en jeu, quitte à ce qu'il y ait conflits, interrogations, ou désaccords, c'est justement ce qui me semblait en faire l'intérêt.

C'est donc ce que j'avais peur de ne pas retrouver au Point Ephémère ce week-end. Et il faut dire que, sans qu'il y ait rupture entre les événements de la journée — très « naturisme à la papa » — et le clubbing du soir, organisé plus spécifiquement par 222-32 (du nom de l'article du code pénal concernant l'outrage public à la pudeur, et à l'origine des apéros du FDP), Imaginat et Bragi Pufferfish, il y a quand même eu un léger décalage. Comme si l'expérience de ces apéros essayait de prendre racine dans un autre contexte, et faire passer en contrebande une autre forme de naturisme, plus fluide, plus urbain, et sans aucun doute plus gay.

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L'évènement était mixte mais ca n'était pas frappant à l'oeil nu

Je me pointe donc la journée au Point F. Premier choc : si je n'ai aucun problème à me foutre à poil dans une backroom, enlever mes vêtements un samedi après-midi au bord du canal St Martin et risquer que des gens habillés voient ma bite me semble insurmontable. Heureusement, l'événement étant mixte, on m'autorise à les garder. Je me retrouve donc à écouter des conférences (je n'ose pas participer seul et nu aux ateliers) et mal à l'aise de ne pas être tout nu. D'expérience, pouvoir être à poil est un truc assez libérateur et Jérémie, co-organisateur de la soirée, le résume bien : « Ça a un impact sur le comportement et sur l'authenticité des rapports. Ça induit des comportements plus humains au sens large du terme. » Ça a beau sonner complètement hippie, reste qu'une fois le cap passé, c'est bien ce genre de chose qui arrive. Je me suis toujours pointé aux apéros seul, et c'est l'un des endroits où, malgré ma timidité, je me suis fait le plus facilement d'amis.

Nus, oui, mais chaussés.

Dans l'après-midi, la patronne du Point F vient interrompre une conférence pour demander aux gens nus sur la terrasse de bien vouloir rentrer à l'intérieur, bien qu'elle soit réservée aux naturistes, et qu'on ne puisse pas y voir grand chose depuis l'extérieur. Les parents du quartier se sont pourtant plaint à la police. L'un des organisateurs prend la parole et met à ce moment-là en lumière mes interrogations. Il rappelle notamment que la pratique naturiste « désérotise » le corps. Et que les « enfants n'ont pas de sexualité comme on l'entend ». Que les pratiquants du naturisme tiennent ce genre de discours me paraît évident. C'est déjà compliqué de faire comprendre que nudité ≠ sexualité, alors si l'on commence à dire que « les enfants sont des pervers polymorphes » (coucou Freud), ou que les rapports sociaux sont traversés par des problématiques sexuelles et de genres (coucou Foucault, les féminismes, les théories queer, etc.), les subtilités risquent ici de ne pas être entendues.

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Je demande d'ailleurs à Jérémie s'il faut séparer nudité et sexualité, ou si c'est pour lui une étape et qu'à terme, le sexe pourra devenir une option. Il me répond que oui, « dans [son] for intérieur », tout en précisant que « si ça n'était pas des événements naturistes, ça serait…autre chose ». Que d'autres modes de vie et d'autres pratiques restent à définir, ce qui me semblait le plus pertinent. Restait à aller voir si cela allait se concrétiser durant la soirée.

Je suis là un peu avant que le club n'ouvre, et les naturistes sont désormais en minorité dans le Point F. Je ne suis toujours pas à l'aise avec l'idée de me mettre nu. Pas tant pour la nudité en elle-même que par crainte que mes voisins du 10e me voient : bonjour la pression sociale. Je m'enquille donc un petit litre de bière avant d'oser enfin faire la queue à l'entrée du club. Les gens qui attendent sont principalement des hommes blancs et gays de 30-40 ans, et les discussions autour de moi se résument à : qu'est-ce que ça veut dire « comportement à caractère sexuel ? ». Je ne suis donc pas le seul à me poser la question.

A l'entrée du Point Ephémère, chacun est invité à laisser ses affaires dans un sac à son nom

Finalement entré, je me désape et je me rends compte que c'est beaucoup plus facile à faire dans un club un peu sombre, entouré de pédés et légèrement ivre qu'en journée à la vue de gens habillés - bien joué, Sherlock. La meuf du vestiaire (qui composera à elle seule un dixième des filles présentes) me précise que le sexe et la drogue sont interdits, et le mec à coté de moi lui répond ironiquement « qu'on verra ». Je suis tout seul dans un club encore vide et je ne sais pas trop quoi faire de moi. Je m'assois dans un coin et observe. Si Jeremy a raison de dire que « le vêtement, les artifices dans lesquels on peut s'enfermer sont des marchepieds à un certain nombre de rapports d'oppression », les dents blanches, les musculatures et l'hexis corporelle (coucou Bourdieu cette fois) donnent quand même quelques indices des positions sociales de chacun. Le club se remplit et l'on pourrait, à quelques détails prêts, se croire à une soirée du Gibus Club. Sauf que quelque chose dans les rapports est plus fluide, bienveillant, moins carnassier. La drague est présente comme dans n'importe quelle autre soirée et elle à l'air moins codifiée, moins brutale. Je revois donc mes a priori. Il y a réellement un truc « bon enfant », les gens dansent vraiment (contrairement aux habitudes parisiennes), et ce sans regarder les DJ's, ce qui est passablement rafraichissant. Après, on retrouve aussi des aspects classiques du club, notamment dans la disposition spatiale : je suis en bordure de piste, avec tous les autres mecs seuls et moyennement sûrs d'eux, de leur corps, qui dansent à peine et regardent les autres s'amuser.

L'auteur de l'article, en tenue d'Eve

Si je découvre une forme de naturisme plus décomplexée et que j'oublie ma nudité (sauf quand il me faut interagir avec des personnes habillées : au bar ou avec le photographe), j'ai quand même l'impression d'être en terrain connu, dans une soirée gay, performances drags et house proprette comprises. C'est à mon avis autant dû aux organisateurs, qui viennent d'abord de ce milieu-là, qu'au fait que, comme me le dit la meuf du vestiaire, « à mon avis c'est plus difficile de se mettre à poil pour une nana : faut voir tout ce qu'on nous a mis dans la gueule ». Reste qu'il y avait de toute manière peu de chances que quelque chose de plus flou, de moins propre, pas fixé d'avance, puisse avoir lieu dans un lieu si « institutionnalisé ».