PARIS NORD - JOHANN BERTELLI - VICE
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Pourquoi on a tendance à (un peu) flipper dans le RER

Dans l’ouvrage collectif « Les Passagers du RER », le sociologue Julien Noble tente de décrypter « le sentiment d’insécurité » dans ce mode de transport considéré comme le plus anxiogène d’Île-de-France.

Ami fidèle et souvent relou du banlieusard, le RER est un grand sujet de discussion pour ses 3 millions d’usagers quotidiens. Parce qu’il raconte la France à travers un voyage d’une banlieue à une autre, d’une rangée de maisons de campagne à des barres et des friches, en passant par des camps de Roms et des façades chics. Un voyage de la bourgeoisie jusqu'au prolétariat. Et au beau milieu : Paris. C'est ce que retrace Les Passagers du RER, ouvrage à quatre voix qui paraît ce mercredi 10 avril aux éditions Les Arènes : les voix d’une urbaniste, d’un sociologue, d’un économiste et d’un ethnologue. Avec l'un de ses auteurs, Julien Noble, postdoctorant au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, on a voulu comprendre pourquoi le RER, mode de transport considéré comme le plus anxiogène d’Île-de-France, souffrait d'une si mauvaise réputation.

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VICE : Le RER est considéré par les Franciliens comme le transport le plus anxiogène. D’où provient ce « sentiment d’insécurité » ?
Julien Noble : Le sentiment d’insécurité comprend deux aspects. La préoccupation sécuritaire, d’abord, qui consiste à placer la délinquance à la première place des problèmes à résoudre dans la société française. L’insécurité personnelle, ensuite, qui renvoie à la peur de subir un vol ou une agression sur sa personne, ses biens ou ses proches. Lorsque que l’on parle du sentiment d’insécurité dans les transports en commun, on évoque en réalité le second aspect de ce phénomène.

En Île-de-France, les transports en commun sont les espaces les plus anxiogènes, devant le quartier de résidence ou le domicile. La mixité sociale imposée, l’isolement sur certaines lignes en soirée, l’attente prolongée aux arrêts ou aux stations, le cloisonnement des infrastructures souterraines ou encore les incivilités participent fortement au niveau de peur élevé dans les espaces de transport. Quant au RER, il cumule plusieurs de ces contraintes. Dans la capitale, à l’instar du métro, il transite essentiellement sous terre, dans une architecture cloisonnée, à l’intérieur de laquelle les possibilités de fuite en cas de problème sont réduites. Par ailleurs, le RER se vide progressivement de ses voyageurs à mesure qu’il s’éloigne de Paris et ces situations d’isolement sont jugées propices aux agressions, en raison de l’impossibilité d’une intervention extérieure. Partagée avec le train de banlieue, cette seconde contrainte est beaucoup plus rare dans le métro. On explique ainsi, par le cumul des contraintes, le niveau de peur élevé dans le RER.

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« Plus on s’éloigne de la capitale, moins les voyageurs, les forces de l’ordre et le personnel des transports sont présents. Dans Paris, à l’inverse, il est rare de se trouver seul dans une ligne de métro, même aux heures les plus tardives »

Quand on tape le mot « RER » dans un moteur de recherche, on a l’embarras du choix entre les articles qui évoquent les « agressions », les « vols », les « accidents »… Est-ce que la presse peut, sans le vouloir, alimenter un sentiment de peur ?
Dans leur recherche de sensationnalisme, certains médias et journalistes insistent sur les faits divers les plus marquants. Le problème ne repose pas directement sur la présentation de ces faits, mais plutôt sur le désintérêt accordé à leur contextualisation statistique. Outre les articles que vous évoquez, les émissions diffusées à la télévision sur la délinquance dans les transports en commun en sont de bonnes illustrations. Grâce à la vidéo-protection qui couvre désormais une grande partie du réseau, il est possible de trier sur le volet les agressions les plus violentes et d’en réaliser une compilation d’une heure trente. Le téléspectateur est alors soumis à un enchaînement de faits qui laisse supposer une très forte délinquance dans les espaces de transport franciliens, ce qui par ailleurs contraste fortement avec les résultats des enquêtes de victimation.

Je montre dans mon ouvrage actuellement en cours de publication – Comprendre l'insécurité personnelle. Le sentiment d’insécurité des jeunes dans les transports franciliens, à paraître en juin 2019 aux éditions Georg – que deux catégories de population sont particulièrement sensibles à ces effets médiatiques : les personnes dont les expériences vécues ou les représentations de la délinquance entrent en résonance avec les faits diffusés et celles qui n’ont pas pour habitude d’utiliser les transports en commun parisiens. Pour ces deux catégories de personnes, la diffusion médiatique des faits divers semble contribuer sensiblement à l’insécurité personnelle.

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Pourtant, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que les taux de victimes de vol et d’agression dans les transports en commun sont peu élevés en Île-de-France. Ça contraste avec l’idée d’un espace rongé par la délinquance.
En 2017, 5,9 % des Franciliens déclarent avoir subi un vol ou une agression dans les transports en commun au cours des trois dernières années précédant l'enquête « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France » réalisée par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme. En comparaison, 38,1 % d’entre eux déclarent avoir peur, au moins de temps à autre, de subir un vol ou une agression dans les transports en commun. Ce contraste révèle une réalité désormais bien connue : l’insécurité personnelle n’est pas un simple décalque du risque de victimation. Si le fait d’avoir été victime d’un vol ou d’une agression augmente le risque d’avoir peur, la plupart des inquiets ne rapportent aucune atteinte durant les trois dernières années. Cela ne veut pas dire pour autant que la peur rapportée est injustifiée ou irrationnelle.

En réalité, elle trouve souvent ses fondements dans des contextes et des situations de faible intensité de violence qui laissent supposer une éventuelle agression. Le cas typique est celui du groupe de jeunes qui parle fort dans une rame de RER ou celui d’un homme alcoolisé qui aborde une jeune femme pour lui faire des avances. Dans les deux cas, on ne peut parler d’agression. Mais la transgression des normes socialement admises laisse planer le doute sur les réelles intentions de ces déviants et laisse parfois supposer un risque d’agression.

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On découvre dans l’ouvrage qu’on a plus de chances d’avoir peur dans le RER si on habite en Seine-et-Marne plutôt que Paris. Pour quelles raisons ?
L’insécurité personnelle dans les transports en commun frappe lourdement les résidents de grande banlieue, et plus précisément ces dernières années les habitants du Val-d’Oise et de la Seine-et-Marne. Ainsi, les habitants de ces départements rapportent un niveau de peur dans les transports en commun supérieur à celui des résidents de la Seine-Saint-Denis, toute chose égale par ailleurs. Si ce résultat peut surprendre, il s’explique en réalité assez facilement. Relativement excentrés, les habitants de la périphérie réalisent souvent des temps de trajet importants qui augmentent leur exposition au risque. Mais surtout, le recours aux transports collectifs s’opère dans des contextes jugés anxiogènes : les situations d’isolement y sont plus fréquentes aux confins de la région. Plus on s’éloigne de la capitale, moins les voyageurs, les forces de l’ordre et le personnel des transports sont présents. Dans Paris, à l’inverse, il est rare de se trouver seul dans une ligne de métro, même aux heures les plus tardives.

Vous présentez un autre chiffre : les 15-24 ans ont deux fois plus de chance d’avoir peur dans le RER que les Franciliens âgés de 60 ans et plus. C’est assez surprenant. Comment l’expliquer ?
Avec les femmes, les jeunes sont les principaux utilisateurs des transports en commun. Beaucoup d’entre eux dépendent fortement de ces moyens de transport pour se déplacer. L’achat d’un véhicule individuel ou de son entretien représente souvent un coût insurmontable avant le début de la vie active. Si bien que, contrairement aux personnes plus âgées, les 15-24 ans n’ont souvent pas d’autres solutions que les transports en commun pour se rendre sur leur lieu d’études, de travail ou pour sortir. Ainsi, les transports collectifs sont très régulièrement empruntés, y compris dans les contextes jugés les plus anxiogènes comme le soir ou la nuit. Par ailleurs, les 15-24 ans sont, en comparaison aux autres catégories de population, particulièrement exposés aux risques de victimation dans les transports collectifs. Les chances d’être victime d’une agression ou d’un vol violent, d’une agression sexuelle ou d’un vol sans violence sont toujours plus élevées dans la population de cette classe d’âge. Au regard de ces éléments, la sensibilité des jeunes à l’insécurité personnelle dans les espaces de transport paraît moins surprenante.

Si le RER fait peur, est-ce aussi du fait qu’il dessert et désenclave les banlieues populaires ?
Il est difficile de répondre à cette question. La desserte des banlieues populaires n’est pas une spécificité du RER : certaines lignes de métro, de bus, de train et de tramway traversent aussi ces territoires. Par ailleurs, nous ne disposons pas de données permettant d’identifier, à un niveau plus précis que celui des différents modes de transport, les espaces jugés anxiogènes par les Franciliens. Nous ne savons pas si l’insécurité personnelle est plus élevée sur certaines lignes de RER que d’autres, ou encore, si la peur d’être volé ou agressé est plus importante sur certaines portions de trajet. C’est pourquoi l’Observatoire Scientifique du Crime et de la Justice (OSCJ) travaille avec l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme (IAU) et l’Observatoire National de la Délinquance dans les Transports (ONDT) à la réalisation d’une enquête sur le sentiment d’insécurité dans les transports en commun franciliens. Actuellement en cours de réalisation, cette enquête devra permettre d’identifier avec précision les espaces anxiogènes et apporter des informations sur les divers aspects de l’insécurité personnelle.

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Les passagers du RER, aux éditions Les Arènes, en librairie le 10 avril.