FYI.

This story is over 5 years old.

Suisse

Le procès de l’homme à l’origine du scandale SwissLeaks s’est ouvert, sans lui

L’ex-informaticien de la banque privée HSBC PB de Genève est jugé en Suisse pour avoir volé et révélé des secrets bancaires. Pour expliquer son absence, Falciani a déclaré que les conditions d’un procès « juste et équitable » n’étaient pas réunies.
Pierre Longeray
Paris, FR
Hervé Falciani - Interview avec VICE News, février 2015 (Photo de Étienne Rouillon / VICE News)

En ce lendemain de Noël 2008, l'aéroport de Nice, dans le sud de la France, grouille de touristes. Hervé Falciani est assis à un café dans le terminal, il patiente, jette des coups d'oeil à gauche et à droite. Un agent du fisc français, Jean-Patrick Martini, arrive et s'installe face à l'ex-informaticien de la banque HSBC PB en Suisse.

Falciani tend à Martini 5 DVD sur lesquels on trouve les données secrètes de 106 000 personnes, liées à des comptes bancaires suisses. Il s'agit notamment d'évadés fiscaux. En additionnant ce qui se trouve sur leurs comptes suisses, on arrive à près de 100 milliards d'euros.

Publicité

Falciani vient alors de fournir aux autorités françaises les trois-quarts des noms des clients privés de son ancien employeur, HSBC PB (PB pour « Private Bank »). Le fruit du plus grand vol de données de l'histoire bancaire suisse va mettre l'une des principales banques privées du pays au centre du viseur des fiscs du monde entier.

Ce lundi, presque 7 ans après ce petit café partagé dans l'aéroport niçois, le procès d'Hervé Falciani s'ouvre en Suisse à Bellinzone (canton du Tessin) devant le Tribunal pénal fédéral (TPF). Falciani est accusé d'espionnage économique, de vol de données et de violation du secret commercial et bancaire par la justice suisse. Comme prévu, Falciani n'est pas à son procès.

Narguer la justice

La semaine dernière, Falciani était venu narguer la justice suisse, à quelques centaines de mètres de la frontière franco helvétique, à Divonne en France, lors d'une conférence de presse tenue à l'occasion des 4e Assises du journalisme de Genève. À cette occasion, il a expliqué qu'il n'irait pas à son procès. Le 12 octobre, le procès de Falciani devait s'ouvrir mais avait été reporté à ce lundi, puisqu'il ne s'était déjà pas présenté au tribunal.

L'ex-informaticien franco-italien ne souhaite pas se présenter devant le tribunal, parce que selon lui les conditions d'un procès « juste et équitable » ne sont pas réunies. « C'est le procès d'une banque qui a payé pour ne pas être poursuivie, » a lancé Falciani aux journalistes présents à Divonne. En juin dernier, l'ancien employeur de Falciani, HSBC PB, a en effet versé 40 millions de francs suisses (36,7 millions d'euros) à la justice suisse, pour mettre fin à la procédure de blanchissement aggravé lancée contre l'institution bancaire.

Publicité

L'ex-informaticien admet sans mal ne pas avoir respecté les lois. Mais titulaire de la nationalité française, Falciani ne risque rien légalement, tant qu'il reste en France, puisque le pays n'extrade pas ses citoyens.

Lanceur d'alerte ou informaticien intéressé ?

Le procureur suisse reproche à Falciani « d'avoir, de 2006 à 2008, copié des données bancaires de son employeur, pour ensuite, de 2008 à 2014, les rendre accessibles à des entreprises privées et à des organismes publics de plusieurs pays », dont le fisc français. Dans l'acte d'accusation, la justice suisse estime aussi que Falciani a voulu s'enrichir en diffusant ces informations — ce qui, encore aujourd'hui, n'est pas simple à établir.

Dans une interview accordée à VICE News en février 2015, au moment où Falciani avait révélé à la presse mondiale le scandale HSBC (les révélations avaient été baptisées « SwissLeaks »), il avait catégoriquement réfuté avoir voulu s'enrichir. « On va montrer en détail qui a menti. Et comme vous le verrez, les premiers à avoir menti et les derniers, ce sera la banque, » nous disait Falciani. « Et ça servira aussi alors à montrer la belle bande d'enfoirés qu'ils sont, quand même. »

À lire : Les origines de SwissLeaks racontées par celui par qui le scandale est arrivé

Retour en février 2008, Falciani est au Liban avec une collègue de travail, Georgina Mikhael. Selon celle-ci, il est au Proche-Orient pour vendre les listings aux banques locales. « Hervé Falciani montrait aux banques une liste énorme de profils clients avec des noms cryptés », avec pour objectif celui de « vendre ce produit et faire du business, » explique Georgina Mikhael — ce que réfute en bloc Falciani.

Publicité

Pourtant, le journal Le Monde note que l'ex-informaticien a changé plusieurs fois de versions quant à sa virée au Liban. En 2009, il expliquait aux gendarmes français, qu'il cherchait au Liban un « financement » pour « réaliser un projet de data mining. » Puis en juillet 2013, il raconte à un juge français que son objectif était de déclencher une alerte dans une banque libanaise, filiale d'une banque suisse, afin que celle-ci répercute cette alerte au parquet fédéral suisse […] pour mettre fin à l'opacité organisée chez HSBC. »

Il est vrai que dès son retour du Liban, Falciani n'a plus cherché à vendre ses données, mais il a endossé le costume du lanceur d'alerte. Le 18 mars 2008, quelques jours après son retour du Liban, il envoie un mail au HM Revenue and Customs (HMRC), chargé entre autres de la perception des taxes ou de la gestion du National Minimum Wage, pour l'alerter qu'il avait en sa possession une liste d'évadés fiscaux anglais. Un mail qui est resté sans réponse selon Falciani.

À son retour du Liban, Falciani est mis sous surveillance de la police suisse et une enquête judiciaire est ouverte le 29 mai 2008 par la justice du pays qui le soupçonne de vol de secrets bancaires. Georgina Mikhael est mise sur écoute et est arrêtée le 22 décembre 2008. Elle dénonce immédiatement Falciani à la police suisse.

Deux jours plus tard, Falciani est convoqué par la police suisse et sentant le vent tourner, il décide donc de rejoindre immédiatement Nice pour fournir ses listings au fisc français, lors de ce fameux café pris à l'aéroport de Nice avec Martini.

La justice suisse ne reverra plus jamais Falciani, qui lui échappe encore ce lundi matin. Les audiences du procès vont se poursuivre toute cette semaine.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray