Espoir, violence et chirurgie esthétique : ma vie à Cali
Photos : Guillaume Chauvin / Hans Lucas

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Espoir, violence et chirurgie esthétique : ma vie à Cali

Le photographe français Guillaume Chauvin a immortalisé le quotidien de plusieurs Colombiens. Il nous raconte son périple dans la région de Cali.
IK
propos rapportés par Inès Khaldi

C'est dans le cadre de l’année croisée France/Colombie que je me suis rendu dans la région de Cali l'été dernier, après avoir accepté la proposition du ministère de la Culture français – sinon, je n'aurais jamais pensé aller un jour là-bas. En général, je fuis la chaleur, l’humidité et l’espagnol, mais la coordinatrice du projet connaissait bien mon travail en Russie et en Ukraine séparatiste, et elle souhaitait appliquer cette même démarche à la Colombie contemporaine. Au final, c’est une histoire de chance, de confiance et d’instinct.

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La première chose qui m’a frappé en arrivant sur place – ou alors, la quatrième, après la chaleur, l’humidité et l'espagnol – a à voir avec l’ouverture et la bienveillance des habitants, et ce malgré la violence quotidienne à laquelle les Colombiens sont, hélas, habitués. Certes ex-foyer des FARC et repère des cartels, la région de Cali s'est révélée être une source de danseurs de salsa, de chirurgies en tous genres, de fruits fous – et, surtout, une terre afro-descendante, chose particulièrement visible à Buenaventura, où la population est principalement noire. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle subit les corruptions ahurissantes de ses décisionnaires. Miséreuse malgré les immenses richesses qui transitent par le port de marchandises, la population locale se plie à un quotidien surréaliste : l'électricité et l'eau potable sont prioritairement réservées aux bateaux et hôtels, et le quartier dans lequel j'ai eu l'occasion de travailler se remettait tout juste d'une période de violences extrêmes liées aux affrontements entre gangs et paramilitaires. Encore aujourd'hui, la ville est en partie sous contrôle militaire.

Dans l'ex-quartier des "ateliers de découpe", les enfants apprécient un coucher de soleil.

En arrivant en Colombie, je ne savais pas trop ce que j’allais raconter à travers mes photos – la culture locale m'était inconnue, et je ne maîtrisais pas la langue. La seule règle à respecter était de ne pas sortir de la « ligne diplomatique française ». Je n'avais donc pas besoin d'évoquer les FARC, ou la drogue – ce qui m'arrangeait pas mal, car je n'avais aucune envie de reproduire les redondants récits médiatiques qui caractérisent cette région.

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Les vaches de Fernando produisent le meilleur fromage de Bitaco.

Au fil du temps, le projet s’est défini de lui-même : j'assumais ma naïveté et jouais à l'idiot utile documentant ses rencontres. Genre making-of en images et textes, plutôt que récit journalistique factuel et objectif. Au lieu de partir des stéréotypes, je suis allé vers les archétypes : le boulanger, la prostituée, l’écolier, le militaire, le P.-D.G., etc. J'accompagnais chacun d'entre eux sur une journée, du lever au coucher. En m’attachant à leur quotidien, par forcément sexy ou édifiant, j'ai cherché à ce que les Français s’identifient aux Colombiens, qu’ils se disent : « Tiens, moi aussi je bois un café le matin, moi aussi j'ai déjà vu un chien moche comme ça… » En même temps, j’avais envie que les Colombiens rencontrés se retrouvent dans mes photos, que le Français qu'ils ont laissé les suivre ne travestisse pas ce qu'ils lui ont permis de voir.

Kevin dans le jardin fleuri de sa maison. Son seul jouet : un coq de combat.

Avant ce projet, la Colombie était pour moi synonyme de FARC, narcotrafiquants, chirurgie esthétique et putes. De tous ces clichés originels, certains ont subsisté – notamment la chirurgie esthétique. Surtout à Cali, où il s'agit de la spécialité locale. Il paraît que ce sont les narcos qui ont apporté la chirurgie esthétique dans la région, incitant leur femme se faire refaire – un signe extérieur de richesse. Cela dit, ce culte de la beauté n’est pas réservé aux femmes. Les Colombiens semblent apprécier tout autant la chirurgie – et notamment les rhinoplasties. (Plus largement, ils sont passionnés par la manucure, car oui, ils portent une attention infinie à leurs ongles.)

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La chirurgie esthétique est tellement banalisée qu’il n’est pas rare que des parents offrent un nouveau nez ou une nouvelle paire de seins à leur gamine parce qu’elle a réussi un examen. Évidemment, ce culte de la beauté génère un tas de problèmes, dont la multiplication de cliniques clandestines dans lesquelles on déplore un grand nombre de complications et de décès.

À gauche : Marie-Eugenia, chirurgienne réputée. À droite : Midi, troisième repas de la journée pour Eduardo et ses collègues chez des habitants de Siloe, quartier le plus dangereux de Cali.

Autre cliché bien vivace : celui de la violence, que j'ai évoquée à travers la figure des forces de l’ordre. Il me semblait primordial d'aborder ce sujet – tant il m'est arrivé de me sentir plus en danger à Cali ou Buenaventura que sur une zone de guerre – mais pas aussi frontalement qu'un photojournaliste. Dans la région, les forces de l’ordre se révèlent omniprésentes – aussi bien la police et l’armée que les vigiles – et tous les immeubles sont gardés par des individus plus ou moins armés. Trouver une figure d’autorité – au final, un policier de proximité, figure assez bien acceptée, et cela même dans les quartiers difficiles – que je pouvais photographier et suivre durant une journée a été difficile, et uniquement réalisable via une longue négociation menée par l'Alliance française et l'ambassade.

Soirée domino dans le bario humanitario de Buenaventura.

C'est en conservant l'importance de la violence en tête que j'ai cherché à suivre un volontaire du Comité international de la Croix-Rouge, dont la mission, encore actuelle, est d’identifier les victimes de la guerre civile. Il se trouve que le volontaire rencontré était – et est toujours – homosexuel, ce qui m’a permis de dévoiler une autre facette de la Colombie. J’ai passé une journée avec lui et son copain, journée qui m'a poussé à me dire que l’homosexualité semble mieux tolérée là-bas qu’ici, en France, tant par les autorités que par les citoyens – même si, évidemment, je n'ai jamais eu la prétention de dresser un portrait de toute la complexité humaine et historique de la Colombie, n'étant resté qu'un mois là-bas.

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Lorsqu'on évoque avec elle l'omniprésence de la violence et la possible paix entre les FARC et le pouvoir, la population avance souvent que cela ne changera pas grand-chose dans l'immédiat, voire que cela pourrait empirer la situation. En effet, en l’absence des FARC, la plupart des gens que j’ai interrogés estiment que des luttes d'influence et des règlements de comptes sont à prévoir, des tensions liées à la démilitarisation de certaines zones et à la réinsertion difficile de personnes habituées à la vie en forêt et aux violences extrêmes. Mais tous veulent y croire à long terme, et admettent que cette signature est la meilleure chose qui puisse leur arriver, bien que le chemin soit encore long et difficile.

Dans une classe de campagne non loin de Cali. Début de journée, la suite sera heureusement plus relax.

À gauche : À la campagne, des écoliers profitent de la récré pour reproduire ce que les clips ont à leur offrir à la TV. À droite : Murijho en position, le meilleur soldat du groupe "multi-task" du 3° bataillon d'artillerie de Buga.

Frère Luis grimpe la pente vers la finca de Freddy le simple d'esprit.

Pendant que Chucho digère ses bananes et son riz, le cheval de son employeur se promène.

Ce travail, qui fera l'objet d'un livre au printemps 2018, est en partie exposé à La Chambre, à Strasbourg, jusqu'au 22 décembre 2017.

Retrouvez le travail de Guillaume Chauvin sur son site ou chez Hans Lucas.

Inès Khaldi est sur Twitter.