Pitié, arrêtez avec les « soirées jeux »
Illustration : Pierre Thyss

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La vie, ça va passer

Pitié, arrêtez avec les « soirées jeux »

« On se fait un petit Trivial Pursuit ? » Non.
Paul Douard
Paris, FR

Quand je n’étais encore qu’un adolescent attardé, j’imaginais les soirées d’adultes comme de grands banquets où l’on mange et picole à volonté, avant de passer la nuit avec une (ou plusieurs) créatures sublimes, dans d’immense chambres luxueuses. Quelques années plus tard, me voilà assis sur un tabouret IKEA face à une copine de fac qui lance, totalement excitée : « Ça vous dit un petit Trivial Pursuit ? » – ou tout autre jeu capable de briser une amitié. La phrase déclenche systématiquement le même rituel : le niveau de la musique baisse, les gens se rassemblent autour d'une table et commencent à distribuer des cartes. À chaque fois, j’ai envie de me défenestrer. Je n’étais pas prêt à subir une telle désillusion.

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J’ai toujours considéré les jeux de société comme une occupation pour enfants, une activité que l’on ne pratique que chez ses parents lorsqu'une tempête de neige vous coupe du monde extérieur. Pourtant, si j’en crois la prolifération des bars à jeux de sociétés, deux conclusions s’imposent : soit on m’a menti, soit je dois changer d’amis. L’un n’excluant pas l’autre, d’ailleurs… Dans mon esprit, une soirée est un moment euphorique où la vie devient enfin plus ravissante qu’une journée passée devant un tableau Excel, ou un dimanche à étendre des fringues. Le dictionnaire me donne d’ailleurs raison en définissant une fête comme « des réjouissances, festin, bal offerts par quelqu'un en l'honneur de quelque chose. » Les jeux d’enfants n’ont donc rien à y faire. Surtout, la fête est l’un des seuls points positifs de la vie adulte : vous pouvez boire et manger ce que vous voulez, puisque vous disposez enfin d’un pouvoir d’achat permettant de vous offrir autre chose qu’un paquet de chips et une canette de 8.6. Pourtant, maintenant que je suis libre, je dois troquer une ivresse méritée contre des travaux de groupes scolaires. C’est comme si je gagnais au Loto…et que je décidais finalement de vivre dans un pavillon à Charleroi.

Autre conséquence traumatisante : les jeux de société transforment les gens vaguement désagréables en de véritables ordures. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’essaye de toujours éviter les jeux de société en soirée – cela me permet de garder mes amis. À chaque partie, c’est à peu près la même chose, je commence par me retrouver dans une équipe de sept personnes avec qui en temps normal, je ne rigole jamais. C’est comme lors d’une réunion de famille durant laquelle vous vous retrouvez avec vos cousins avec qui vous ne parlez jamais, et qu’une tante débarque en s’exclamant : « Allez, parlez-vous ! ». Une fois les équipes constituées, chacun prend un rôle de gros con et le remplit à merveille. Il y a celle pour qui les règles sont si importantes qu’elle finira par quitter la pièce en hurlant si vous répondez une nanoseconde après que le délai imparti - avant d'inventer une règle inédite pour assouvir son désir d’ordre. Vient ensuite celui qui veut poser toutes les questions, vraiment toutes. Vous le répérez facilement : il a toujours une carte d’avance dans la main, prêt à dégainer. À côté de ces deux personnes détestables, se place celle qui trouve que toutes les questions sont « hyper faciles ». Elle, je rêve de la voir s’étouffer, devant moi, avec une olive. Elle répond à tout, puisqu’elle a fait Allemand première langue et option latin-grec dans son lycée privé de Versailles.

Au milieu de tous ces gens, il y a moi, qui tente vaguement de participer alors que je n’ai envie ni de réfléchir au fleuve le plus long de Chine, ni de trouver qui est l’inventeur du Mölkky. Le plus souvent, la partie est trop longue et la soirée se termine là-dessus puisque la violence du jeu réduit à néant toute possibilité de passer un bon moment.

« Les jeux de société sont le reflet de la société » disait le sociologue Louis-Jean Calvet en 1978. C’est un fait : ils sont le reflet de la violence sociale qui irradie toute la société. Ainsi, au Trivial Poursuit, il y a ceux qui s’amusent et il y a les autres. Et oui, tout le monde n’a pas l’humour et la culture générale d’un Bac + 5 ! Tout le monde ne connaît pas la géographie mongole par cœur. Et si cela n’est pas foncièrement grave, le jeu vous le rappellera quand même à quelle catégorie sociale vous appartenez. Et comme dans la vraie vie, ce sont souvent les riches qui gagnent à la fin.

Alors, par pitié, restez des adultes et profitez du samedi soir pour agir comme tels : noyez-vous dans l’alcool pour oublier que vous avez un emprunt à payer.

Quand Paul ne joue pas au Trivial Poursuit, il est sur Twitter .