La ramasse de la jeunesse russe

Pas facile d’être un gosse dans une petite ville de Russie. Dmitry Markov sait de quoi il parle. Originaire d’une bourgade de la région de Moscou, où la seule opportunité professionnelle reposait sur l’usine de la ville, qui a bientôt fermé, le photographe de 34 ans a grandi, avec les autres garçons de son âge, dans la solitude et la confrontation permanente avec l’école ou la police. Il a vu ses camarades sombrer très jeunes dans la drogue ou l’alcool. Repéré à 16 ans pour un article dans un journal local évoquant la vie de ces jeunes, le jeune Markov a vite été fasciné par le monde du journalisme et l’a vu comme un moyen d’attirer l’attention sur les conditions de vie des laissés-pour-compte et pour s’extirper d’un inéluctable destin de misère, d’addictions ou de délits, comme l’ont connu ses amis d’enfance.

Quand, en 2005, il visite un pensionnat dans la ville de Pskov, à une dizaine de kilomètres de la frontière estonienne, il décide de raconter le quotidien des orphelins handicapés et s’installe sur place. Travaillant comme volontaire pour de nombreuses ONG, il suit plusieurs projets, dont « Children’s village », où des adolescents apprennent à vivre par eux-mêmes sous la supervision de deux tuteurs. Markov se sent proche de ces jeunes, qui ont les mêmes types de problèmes qu’il a rencontrés durant sa propre jeunesse.

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Pourtant, ses sujets ne se laissent pas toujours approcher facilement. « J’aime bien photographier des gosses à la fin de leur adolescence, même si c’est la chose la plus difficile à faire? Les adolescents sont socialement plus fermés. Pour prendre des ados en photo, vous devez établir un contact et créer de la confiance. J’aime photographier les gens avec des animaux — quand un chat ou un chien s’approche d’une personne, ils agissent différemment, ils deviennent plus naturels », racontait ainsi Markov à NPR.

En 2013, Markov participe au projet « Burn Diary » du photographe de Magnum David Alan Harvey. Le principe est de faire découvrir des photographes émergents, laissant chaque semaine à un photographe différent le contrôle du compte Instagram dédié au projet, avec pour règle principale de photographier seulement à l’aide de son smartphone. Markov se prend au jeu, comme il le raconte au site russe Furfur : « Ce projet m’a passionné : il fallait vraiment user de toute son habileté et ses compétences photographiques. J’ai tellement aimé que j’ai décidé de continuer dans la même veine. J’ai d’abord photographié des sujets urbains, puis mon travail est devenu plutôt social, puisque je suis impliqué dans le volontariat. »

Markov saisit alors tout l’intérêt d’Instagram pour attirer l’attention sur les sujets qu’il documente à Pskov, les orphelins et les jeunes en premier lieu. S’il souhaite que ses photos, prises à avec son iPhone, ne soient pas vues que par des journalistes ou des volontaires, « [il] espère qu’elles aident la société à regarder les problèmes de ces enfants d’une façon humaine » et prie aussi « pour que personne ne réduise Pskov à cela ».

Les photographes ne sont pas les seuls à avoir compris la portée du réseau social pour ce type de sujet, notamment sur le long terme. Des institutions récompensent aujourd’hui des photographes qui utilisent Instagram pour explorer des thématiques méconnues. C’est ce qu’entend saluer la bourse Getty Images Instagram Grant, dont la première édition, en septembre 2015, a notamment récompensé le travail de Markov sur son compte. Le Russe remplit exactement les objectifs de cette bourse : « documenter et partager des histoires de communautés sous-représentées qui sont rarement au centre de l’attention », comme l’a dit Elodie Mailliet Storm, la directrice des partenariats de contenu de Getty Images, lors de la remise du prix le 10 septembre 2015.

Markov a donc remporté 10 000$, un parrainage d’un an par un photojournaliste de Getty Images et une exposition au Photoville de New York. Ce coup de projecteur a également permis d’élargir l’attention sur son travail. Il a aujourd’hui 187 000 abonnés sur son compte Instagram, et espère, avec cette bourse, « raconter plus d’histoires et élargir sa zone de travail ».

Suivez Dmitry Markov sur Instagram ou procurez-vous son bouquin, Draft, aux éditions Caurette.

Marie Fantozzi est sur Twitter.