dating optimisé
Collage : Cath Virginia | Photos : via Getty 
Société

Bienvenue dans l’ère du dating optimisé

La culture managériale a enfin tracé sa route dans l’univers merveilleux des rencontres. Des enquêtes en ligne au rencard co-working, on sélectionne aujourd’hui nos potentiel·les amant·es avec une efficacité rationalisée.

En plus d’une échelle variable pour la taille de la bite (entre 15 et 23 cm) et d’un critère de taille qui commence à 1,80 m, voici quelques-unes des questions que Christine Gwaze a envoyées à de potentiels dates via son enquête « Don’t Waste My Time » (« ne me fais pas perdre mon temps ») :

Es-tu capable de communiquer honnêtement et ouvertement ? – Oui – Non
Tu es convoqué pour une première nuit à deux ; comment ça se passe, là en bas ?
Comment décrirais-tu ton sens de l’humour ?

Publicité

« Je pense qu’au total, j’ai obtenu plus de 60 réponses, explique-t-elle à VICE. Tellement que j’ai dépassé la limite gratuite de mon compte SurveyMonkey. » C’est dès les premières lignes de conversation sur des apps de rencontre que Gwaze a proposé à ses partenaires de remplir ce questionnaire. Dans le texte d’intro, elle a été assez explicite sur ce qu’elle attendait des candidats.

« Je recherche un homme séduisant pour des relations consensuelles fréquentes, commence-t-elle. Le candidat choisi doit être non discriminatoire en ce qui concerne la race, le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, la religion, la classe sociale, etc. Les candidats les plus souhaitables sont ceux qui “conduisent et/ou disposent de leur propre logement” ». Ceux qui osaient postuler sans répondre à ces critères se voyaient attribuer une punition pour lui avoir fait perdre son temps. Elle avoue que l’enquête semble « un peu brouillonne », mais souligne avoir bien précisé que la remplir restait facultatif. Après avoir accumulé les candidatures pendant deux mois, elle a fini par trouver son partenaire (aujourd’hui ex) et a définitivement clos l’enquête.

En matière de dating, il s’agit à mes yeux d’un niveau de dévouement et d’organisation qui tient de l’impossible – je suis assez étrangère à tout ça. Un quart d’heure à swiper et je perds immédiatement toute envie de vivre. Mais on dirait bien que c’est à ça que s’apparente le dating en 2023. Gwaze fait ainsi partie d’une génération d’utilisateur·ices qui n’ont plus l’intention de tergiverser pour trouver l’amour.

Publicité

L’enquête de Gwaze n’est qu’un exemple parmi d’autres pour illustrer ces nouveaux moyens mis en œuvre afin de passer au crible nos potentiel·les amant·es avec une efficacité redoutable. Il y a aussi les gens qui sélectionnent leurs partenaires à l’aide de notes vocales, ceux qui appliquent la « daylight savings trend » – où la rentabilité économique est recherchée en profitant des happy hours ou du télétravail –, ceux qui enchaînent les micro-dates de dix minutes et ceux qui vont même jusqu’à transformer leur date en session de co-working.

Si tout ça peut sembler inexplicablement peu romantique, cela permet-il vraiment de se mettre quelque chose sous la dent ? Une étude menée par eHarmony révèle que l’utilisateur·ice moyen·ne d’une application de rencontre y passe 55 minutes par jour, gérant six conversations à la fois – celles et ceux qui s’y consacrent assidûment ont plus de 15 conversations en cours. Peut-être n’est-ce pas une si mauvaise idée de couper court aux bavardages interminables et d’aller droit au but ? Après tout, nous sommes les premier·es à savoir que notre temps est une ressource limitée.

Publicité

Peut-être y a-t-il aussi un intérêt à envisager la rencontre comme ne résultant pas d’un hasard romantique ? On nous a continuellement répété qu’il fallait travailler dur pour obtenir ce qu’on voulait dans la vie, mais l’amour ferait exception à cette règle : il est censé se manifester lorsqu’on « s’y attend le moins », sans qu’aucun effort ne soit nécessaire. Au contraire, le fait d’essayer serait considéré comme « désespéré » et rédhibitoire, ce qui encouragerait les gens à ne rien entreprendre pour booster leur love life. Laisser ce seul domaine-là – et quel domaine ! – entre les mains du destin pourrait sonner comme une hérésie.

Je me demande toutefois ce que ça peut donner sur le long terme, de traiter tous nos dates potentiels comme des candidat·es à l’embauche plutôt que comme de vraies personnes.

Morgan, 26 ans, est assez d’accord avec ça. Comme d’autres personnes citées dans cet article, elle a transformé son dating game en un système managérial qui ferait mourir de jalousie n’importe quel comptable – et elle a demandé à rester anonyme pour des raisons de confidentialité. Après avoir passé trois ans et demi de célibat au nord du Royaume-Uni, Morgan a déménagé à Londres et a décroché douze dates en dix jours, preuve que la jeune femme est une véritable championne en matière d’optimisation des rencontres.

« Le dernier jour, j’avais un date l’après-midi au Tate et un autre le soir au bord du canal, pour boire un verre », raconte-t-elle. C’est ce rendez-vous fantaisiste au bord de la Tamise qui a scellé son avenir – le date a duré trois jours et ça fait maintenant six mois qu’ils sont ensemble. En fait, il lui a suffi de 18 jours, d’un système de filtrage minutieux et d’une gestion ultra-calculée de son temps pour dénicher l’homme de ses rêves.

Publicité

Son approche était simple : elle s’est inscrite sur Hinge, Tinder et Bumble et s’est toujours efforcée d’organiser des dates en moins d’une semaine – « Je ne cherchais pas des relations épistolaires », poursuit Morgan. Elle s’est également débarrassée de tous ceux qui adoptaient trop rapidement un comportement sexuel, de ceux qui semblaient « chelous » et, surtout, de ceux qui communiquaient à l’aide de devinettes.

« Les rencontres en ligne n’échappent pas au paradoxe du choix », explique Tasha Bailey, psychothérapeute et auteure influente, lorsqu’on lui demande pourquoi de tels extrêmes peuvent nous sembler dérangeants. « On va chercher à mettre au point un plan d’action en essayant de garder un certain contrôle. Ce plan peut nous aider à retrouver un peu de calme et de clarté face au chaos du monde du dating et à la fatigue qu’il engendre. » Bailey décrit cette situation d’épuisement comme la « paralysie du dating ». Il est courant d’avoir l’impression qu’il existe une infinité de personnes disponibles, mais si peu avec lesquelles construire et entretenir une véritable relation. Peut-être que ce ressenti est dû à la simple illusion du choix – selon eHarmony, la moitié des célibataires britanniques inscrit·es sur des applications le sont en fait pour stimuler leur ego ou pour un petit flirt occasionnel. Le filtrage et l’optimisation des rencontres deviennent ainsi des leviers indispensables dans la recherche du grand amour, mais Bailey pense également que ce phénomène cache une peur plus profonde : la menace insidieuse de se brûler les ailes.

Publicité

« En assumant le rôle de manager de notre vie sentimentale, on s’éloigne de l’implication émotionnelle et de l’intimité nécessaires pour trouver un partenaire, poursuit Bailey. Considérer chaque nouveau date comme un meeting professionnel est peut-être une façon de se protéger contre le rejet, l’abandon ou le chagrin d’amour. »

C’est un sentiment que je ne connais que trop bien. Les chagrins d’amour sont ponctuels et difficiles ; personnellement, j’y fais face en m’offrant des fringues et des voyages, en me détournant de mes émotions et, par conséquent, des autres choses importantes de ma vie. Mon approche des relations amoureuses est désormais dépourvue de tout romantisme et, plutôt que de suivre la voie de ces enquêtes « délirantes », je mets tout le monde à distance et me répète mon nouveau mantra : « ce n’est pas si grave ».

D’après Bailey, ce besoin d’ordre et ce sentiment d’urgence dans le dating sont des paramètres qui ont été renforcés par la pandémie. « Après les divers confinements, on a eu l’impression d’avoir “perdu” deux ans de vie, ce qui a conduit certain·es d’entre nous à ressentir une sorte d’urgence à sortir avec d’autres personnes, de peur de perdre encore plus de temps », explique-t-elle à VICE. Cette idée est revenue dans la plupart des conversations que j’ai eues avec les utilisateur·ices des applis de dating : le temps nous est compté, et le COVID-19 a accentué encore un peu plus cette pression.

Publicité

Sans oublier que si Gwaze et Morgan ont trouvé des partenaires grâce à ce processus, c’est que ce n’est pas aussi horrible que ça en a l’air – même Bailey admet que l’optimisation des rencontres peut avoir des aspects positifs. « Les rencontres programmées peuvent nous offrir un sentiment d’autonomie dans notre vie amoureuse. Même s’il est impossible de contrôler l’alchimie qu’on pourrait développer avec une autre personne, on peut jouir d’une certaine indépendance en ce qui concerne le temps qu’on va lui consacrer, ajoute-t-elle. Ça peut également servir à définir nos propres limites – au lieu de nous laisser emporter par notre vie amoureuse, dater “efficace” pourrait nous aider à ne pas perdre de vue nos besoins et nos objectifs. »

Je me demande toutefois ce que ça peut donner sur le long terme, de traiter tous nos dates potentiels comme des candidat·es à l’embauche plutôt que comme de vraies personnes. Cela pourrait-il nuire à notre capacité à favoriser des relations organiques saines ?

Bailey pense que procéder de manière pratique peut s’avérer aussi instable et imprévisible que d’errer sur des apps toute la journée. L’utilisateur·ice sur-organisé·e va en effet se retrouver avec une liste de défauts toujours plus longue, rendant tout aussi impossible le choix tranché. « Lorsqu’on rationalise à ce point les rencontres, on laisse de côté toutes les possibilités d’apprentissage personnel et d’épanouissement inhérentes à la relation amoureuse, explique-t-elle. On finit par se détourner au moindre inconvénient et à passer à l’option suivante par souci d’efficacité, ce qui signifie qu’on n’a jamais à assumer la responsabilité que nous pourrions avoir dans ces situations. » En outre, ça ne permet pas toujours de nous montrer sous notre vrai jour, prévient Bailey, voulant dire par là que les personnes que nous allons fréquenter n’auront pas l’occasion d’apprécier pleinement notre vulnérabilité et notre capacité d’intimité émotionnelle.

C’est officiel, brûler les étapes du dating pour maximiser son efficacité pourrait nous transformer en robots dénués d’émotions – ou nous permettre de trouver l’amour de notre vie, qui sait ? Ce besoin d’optimisation dans les rencontres est logique, mais il témoigne aussi d’une fatigue collective face au dating : si nous sommes tou·tes épuisé·es et assoiffé·es d’amour, on a également tou·tes été trop déçu·es pour avoir envie d’essayer de le trouver via des moyens plus sains. C’est votre cas ? Bailey vous recommande de faire un break, de prendre vos distances face à cette dating culture imbibée de l’injonction à aller toujours plus vite. À la place, investissez ce temps récupéré pour nourrir vos liens sociaux et prendre soin de vous-mêmes, jusqu’à ce que vous vous sentiez prêt·e à affronter à nouveau l’univers froid et impitoyable du dating. Et si vous êtes fin prêt·e pour l’amour, pourquoi ne pas vous créer un compte sur une plateforme de management comme Monday.com et réellement commencer à gérer votre vie amoureuse de main de maître ? Ça pourrait bien être le job le plus agréable de votre vie.

VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.