Crime

Le mystère des meurtres du lac Bodom

Le 5 juin 1960 au sud de la Finlande, trois adolescents sont assassinés et un quatrième blessé. 44 ans après les faits, le seul survivant a été accusé des crimes avant d'être acquitté.
meurtre lac bodom
Photo prise durant l'enquête. Finlande, 1960.

Des milliers de lacs couvrent la Finlande – presque 200 000, pour être précis. Certains sont connus pour leurs dimensions, d’autres pour permettre une foule de sports nautiques, mais un seul tire sa notoriété d’un fait divers : le lac Bodom, tout au Sud du pays.

Nous sommes le samedi 5 juin 1960. Maila et Anja, 15 ans toutes les deux, ont décidé de camper sur la rive sud du lac Bodom avec leurs petits amis respectifs, Nils et Seppo, 18 ans tous les deux. En début d’après-midi, les quatre amis descendent de leurs motos sur une péninsule aux abords du manoir d’Oitta et plantent leur tente. C’est un endroit connu et apprécié des campeurs. Les quatre pêchent quelques heures. Tout se passe bien. De retour au campement, ils ouvrent quelques bouteilles et s’enivrent. La nuit tombe. Ils dorment quelques heures, se réveillent pour pêcher encore et retournent finalement se coucher. 

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Entre quatre et six heures du matin, quelque chose tourne mal. Un objet contondant, sans doute une pierre ramassée sur la berge, et un couteau déchirent la toile. Anja et Seppo expirent où ils se tenaient vivants un instant auparavant, le crâne défoncé. Maila meurt au-dessus de la tente effondrée mais son agresseur la poignarde encore. Au total, elle reçoit quinze coups de couteau. Son petit ami Nils gît auprès de son cadavre, le visage fracassé. Il souffre d’une commotion cérébrale mais il est vivant.

Les enquêteurs oublient de boucler la scène de crime. Badauds et campeurs investissent les lieux dès leur départ, piétinant ce qui pourrait rester d’indices

Des adolescents sortis de bon matin pour observer les oiseaux remarquent le campement détruit aux alentours de six heures et un homme blond qui semble quitter la scène de crime. Ils ne comprennent pas : pour eux, Maila et Nils sont en train de prendre le soleil. Ils partent après avoir jeté un œil aux motos. Cinq heures plus tard, un charpentier en balade découvre les trois cadavres et le survivant en état de choc. La police arrive et recueille le témoignage de Nils. L’adolescent, confus, affirme ne se souvenir que d’une chose : un individu aux yeux brillants, vêtu de noir et de rouge, qui fond sur ses amis.

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Les premières investigations troublent les policiers. Le meurtrier semble avoir volé les clés des motos mais ne s’est pas enfui avec. Il aurait également dérobé les portefeuilles des victimes et le blouson de cuir de Seppo. Des recherches permettent de découvrir les chaussures de Nils et quelques-uns de ses vêtements à environ 600 mètres du campement, au bout d’une traînée de sang. Peut-être bouleversés par la sauvagerie du triple homicide et la jeunesse des victimes, les enquêteurs oublient de boucler la scène de crime. Badauds et campeurs investissent les lieux dès leur départ, piétinant ce qui pourrait rester d’indices.

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En dépit de ces manquements, les policiers finlandais identifient plusieurs suspects. Karl Gyllström, un kiosquier du coin, est connu pour détester les campeurs : la rumeur l’accuse d’avoir insulté certains visiteurs, de leur avoir jeté de pierres et même d’avoir lacéré leurs tentes. Un témoin l’aurait vu revenir de la scène de crime. On dit aussi qu’il a scellé le puit de son jardin quelques jours après les meurtres, peut-être pour cacher des preuves. Les policiers perquisitionnent à son domicile, sans résultat. Gyllström s’en tire. Neuf ans plus tard, il se donnera la mort en plongeant dans les eaux froides du lac après avoir avoué les meurtres. Sa femme, qui avait assuré que son mari n’avait pas quitté leur domicile le soir du crime, dira alors qu’il l’avait menacée de mort pour qu’elle le couvre. 

L’enquête accuse également Hans Assmann, un habitant des abords du lac que les légendes locales désignent comme un quasi-ermite au passé vaseux : cet homme d’origine allemande aurait collaboré avec les nazis avant de s’engager dans les services de renseignement soviétiques. Pire, il serait suspect dans deux autres affaires d’homicide, et son visage ressemble aux portraits-robots du tueur, mêmes yeux enfoncés, mêmes cheveux blonds. Il s’est d’ailleurs présenté dans un hôpital le lendemain du triple meurtre, les habits souillés de terre et de rouge. Assmann est appréhendé, interrogé puis relâché car son alibi est solide : la nuit du meurtre, il était avec sa maîtresse. Sa visite à l’hôpital concernait des maux d’estomac et les taches rouges sur ses vêtements n’étaient que de la peinture.

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Il faudra attendre 35 ans de plus pour que le suspect le plus crédible soit enfin présenté à la justice

Quelques années plus tard, un certain Pentti Soininen avoue le crime en prison. Le jour du massacre, ce petit délinquant violent, alcoolique et toxicomane traînait bien dans les parages du lac Bodom. Cependant, ses problèmes psychiatriques – le jeune homme est mythomane et psychotique – et son jeune âge au moment des faits – 15 ans – empêchent la police de prendre ses aveux au sérieux. Toujours emprisonné, le criminel se suicidera par pendaison lors d’un transfert en 1969. Il faudra attendre 35 ans de plus pour que le suspect le plus crédible soit enfin présenté à la justice : en mars 2004, Nils Gustafsson, l’unique survivant de la tuerie, est arrêté à son domicile.

Le procès de Nils Gustafsson commence le 8 juin 2005. L’accusation présente de nouveaux éléments troublants. Grâce aux progrès des techniques d’identification judiciaire, les policiers finlandais ont pu pratiquer des analyses ADN sur divers éléments matériels liés aux meurtres. Ces analyses indiquent que les quatre amis ont toujours été seuls sur la scène de crime. Plus grave, elles ont détecté le sang de Maila, Anja et Seppo sur les chaussures que portait Nils ce soir-là, mais pas le sien. Pour le procureur, tout est clair : Gustafsson, désormais chauffeur de bus et père de famille respectable, a massacré ses amis ce soir de juin 1960. Celui-ci se défend pendant des conférences de presse : il ne se souvient de rien mais il n’a tué personne, il le sait.

La thèse de l’accusation est simple : rendu agressif par l’alcool, Nils s’est battu avec Seppo. Ce dernier a remporté le duel, brisant la mâchoire et quelques os du visage de son adversaire, ce qui explique les blessures du survivant. Nils a également tenté d’avoir une relation sexuelle avec Maila, sans succès. Rendu fou par cette double humiliation, l’adolescent a massacré ses compagnons à coups de pierre et de couteau dans un accès de rage. Cela explique les blessures de Maila : la jeune fille a reçu plus de coups de couteau que les autres parce qu’elle a refusé les avances de Nils. Ensuite, le « survivant » a tenté de brouiller les pistes en se débarrassant de ses affaires et de ses armes. L’homme blond que les ornithologues amateurs ont vu quitter la scène de crime, c’est lui. 

Les avocats de Gustafsson appuient sur des détails pour saper la théorie de l’accusation. Si les fractures et la commotion cérébrale du jeune homme ont bien été causées par un combat avec Seppo, comment a-t-il pu trouver la force de commettre un tel carnage ? Et comment aurait-il pu marcher presque un kilomètre pour cacher ses chaussures dans un tel état ? Ces arguments instillent le doute parmi les jurés, qui rendent justice en conséquence : le procureur demandait son emprisonnement à perpétuité mais Nils Gustafsson est acquitté au début du mois d’octobre 2005. Le dossier n’a plus évolué depuis, et les détecteurs de métaux des amateurs qui sondent les profondeurs du lac Bodom n’ont jamais détecté l’arme du crime. 

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