Société

Le cauchemar post-présidentiel de Donald Trump ne fait que commencer

Alors que la date de péremption de son immunité approche, voilà ce qui pourrait l’attendre une fois parti de la Maison-Blanche.
Trump Justi
Le président des États-Unis, Donald Trump, attentif lors d’une table ronde dans la Roosevelt Room, à la Maison-Blanche, Washington D.C., le jeudi 23 août 2018 (Photo : Yuri Gripas/Bloomberg via Getty Images)

WASHINGTON – Parmi la batterie de questions que l’étourdissante défaite du président Trump soulève, une nouvelle tout à fait folle est en train de faire son chemin : devra-t-il répondre d’accusations pénales une fois son mandat terminé ?

L’immunité présidentielle de Donald Trump face à toute accusation fédérale a désormais une date d’expiration. Le 20 janvier 2021, jour où il quittera la Maison-Blanche, son bouclier de protection disparaîtra. Et on ne sait pas comment les procureurs réagiront à la montagne de preuves incendiaires qu'il laisse derrière lui.

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Lancer des accusations contre Donald Trump donnerait lieu au triste spectacle d’un ancien président traîné sur le banc des accusés. Un battage médiatique qui risquerait en plus de plonger le mandat du président élu Joe Biden dans un marigot de controverses. Cette décision serait aussi un chiffon rouge agité au visage des partisans de Trump – qui s’est toujours présenté à eux comme une victime de la vindicte des gauchistes et d’une justice sélective. Bon nombre de ses zélotes verraient la moindre accusation pénale comme une nouvelle manifestation de ce harcèlement, qu’importent les preuves qui pourraient accabler Trump.

Maintenant, si des procureurs décident d’étudier ces preuves et constatent des traces claires et irréfutables d’actes pénalement répréhensibles, l’idée de renoncer à ces accusations au nom de l’unité nationale poserait un tout autre problème : un tel choix encouragerait les futurs dirigeants à se laisser aller à leurs plus bas instincts, à enfreindre les règles et à commettre des crimes en étant certains que le pays ne leur en ferait jamais porter la responsabilité.

Différer les mesures pourrait laisser penser que quiconque parvient à s’installer dans le Bureau ovale est trop gros pour qu’on le fasse tomber. Y compris Donald Trump s’il décidait de se lancer dans la course à la Maison-Blanche pour 2024.

« Le prochain procureur général devra décider s’il est possible de porter ces accusations, mais également si cela est souhaitable », a déclaré Barbara McQuade, ancienne procureure fédérale à Detroit. « Est-ce que nous voulons être de ces pays où les présidents sont poursuivis en justice par l’administration de leur successeur ? Mais d’un autre côté, voulons-nous être de ces pays où les présidents peuvent commettre des crimes en toute impunité sans jamais avoir à rendre des comptes ? »

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Selon Michael Cohen, avocat personnel de Donald Trump et membre de la garde rapprochée du président pendant plusieurs années, la perspective de devoir affronter la justice est une des principales préoccupations de son ancien client. Pour Cohen, si Trump s’accroche désespérément au pouvoir, c’est parce qu’il a peur des potentielles poursuites une fois quittée la Maison-Blanche.

À propos de cette épée de Damoclès, Cohen confiait à VICE News : « Une défaite lors de ces élections signifierait la chute de son empire et la fin de toute l’économie Trump. Cela pourrait déboucher sur son incarcération, en personne, celles de membres de sa famille ou de certains cadres de la Trump Org (ndt : le conglomérat que Trump a hérité de ses parents).

La décision

La vice-présidente élue Kamala Harris, ancienne procureure, déclarait pendant la primaire démocrate que Trump devrait être contraint de répondre de ses actes après la fin de son mandat.

Harris avait indiqué que la décision devrait être confiée à un procureur général indépendant, ajoutant que, quel que soit le procureur à qui l’on confierait cette tâche, une seule conclusion semblait possible.

« Je crois qu’ils n’auront pas le choix. Et je pense qu’il serait bon qu’ils le fassent, en effet », assurait-elle sur les ondes de NPR.

Biden, quant à lui, s’est montré plus circonspect, déclarant qu’il ne pousserait pas son prochain procureur général à enquêter sur Trump ou à le poursuivre. Mais qu’il ne l’en empêcherait pas pour autant.

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« Je ne me mêlerai pas des démarches du Département de la Justice et de ses verdicts. S’ils décident ou non de mener des poursuites contre une personne qui aurait, selon eux, violé la loi, cela ne doit se faire que sur la base de faits », avait-il affirmé en août dernier.

Biden s’est par ailleurs montré tout à fait conscient que Trump poursuivi par la justice provoquerait de sacrés remous dans tout le pays. « Ce n’est pas très… bon pour la démocratie d’envisager des poursuites à l’encontre d’anciens présidents. »

Mais la question n’est peut-être pas complètement du ressort de l’administration Biden : Cyrus Vance, procureur du district de Manhattan est déjà en train d’étudier la situation financière de Trump. Si d’aventure le procureur Vance décidait de passer la vitesse supérieure avec des accusations au niveau national, cela se ferait indépendamment de toute autre affaire fédérale menée par le Département de la Justice.

Les preuves

Les enquêteurs fédéraux et nationaux ont du pain sur la planche.

Dans le cadre de requêtes auprès de la Cour, l’équipe de Vance a indiqué qu’elle étudiait en détail les transactions financières de Trump, et ses procureurs ont traîné le président jusqu’à la Cour suprême afin d’obtenir ses déclarations de revenus et d’autres rapports financiers le concernant.

« Il me semble très probable qu’il ait à répondre d’accusations pénales liées à ses comptes. Le procureur du district de Manhattan est actuellement en train d’étudier ces documents », a déclaré McQuade.

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Cohen a dévoilé que Trump l’avait obligé à verser des pots-de-vin à des femmes qui avaient déclaré avoir couché avec Trump – à la suite de quoi Cohen est finalement passé par la case prison. Il a également déclaré que la famille Trump avait volontairement maquillé l’évaluation de ses actifs afin de réduire le montant de ses impôts et de ses cotisations d’assurance.

Cohen, qui a récemment abordé sa rupture spectaculaire avec Trump dans un livre, souligne que les affaires du clan sont le talon d’Achille de son ancien patron.

Selon lui, « Trump avait besoin de cette élection comme vous et moi avons besoin d’oxygène pour rester en vie. Maintenant, il va devoir faire face à une immense quantité de procès. Cette défaite ne sonne pas seulement le glas politique de Trump, c’est aussi la fin de sa société, de ses affaires et probablement de sa liberté. »

Le procureur général de l’État de New York Letitia James mène par ailleurs une enquête civile distincte, sur les pratiques commerciales de Trump. Quels que soient les résultats de cette enquête, les conclusions pourraient facilement s’ajouter aux accusations pénales du procureur Vance.

Quant au rapport de l’ancien conseiller spécial Robert Mueller, il présente, d’après une lettre ouverte signée par plus de 1 000 anciens procureurs, suffisamment de preuves pour justifier un acte d’inculpation au niveau fédéral contre Donald Trump pour obstruction à la justice.

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Des experts judiciaires et d’anciens procureurs expliquaient à VICE News que les actes de Trump dans le scandale ukrainien, qui ont conduit à la procédure de mise en accusation du président, autrement dit, l’impeachment, dont il a fait l’objet l’an dernier par la Chambre des représentants, ont mis en évidence des indices quant à d’autres possibles violations de la loi. On parle ici de potentielles infractions qui vont du financement de campagne frauduleux à l’intimidation de témoins.

Certains anciens procureurs soulignaient par ailleurs que le fait de porter des accusations contre Donald Trump pourrait déclencher les polémiques les plus folles et que, comme les procureurs sont bien conscients de cela, ils ne voudront pas aller trop vite et s’assureront que lesdites accusations sont incontestables.

« Je crois que le bureau du procureur prendra les plus grandes précautions et ne formulera que des accusations tout à fait fondées, » prévenait Rebecca Roiphe, ancienne procureure auprès du procureur du district de Manhattan et aujourd’hui experte en éthique judiciaire au sein de la faculté de Droit de New York. « Il peut leur arriver de formuler des accusations difficiles à prouver contre certaines personnes mais il pourrait s’avérer extrêmement risqué de jouer à ce jeu avec un ancien président. C’est pourquoi je suis convaincue que si le procureur intente des poursuites contre Trump, c’est qu’il dispose de preuves accablantes. »

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La grâce

Trump pourrait essayer de se cacher derrière une grâce présidentielle. Mais cela ne servirait pas à grand-chose.

Tout d’abord, Trump devrait certainement démissionner avant la fin de son mandat, laissant ainsi son vice-président Mike Pence lui accorder une grâce préventive avant de rendre son tablier.

Ce serait peu ou prou le stratagème qu’avait utilisé l’ancien président Richard Nixon. À la veille du scandale du Watergate, en 1974, Nixon avait démissionné, laissant à son successeur, le président Gerald Ford, le soin de lui accorder cette grâce préventive.

Mais une grâce fédérale ne mettrait pas Donald Trump à l’abri de potentielles accusations au niveau national. Des accusations sur lesquelles travaille actuellement l’équipe du procureur Vance.

Trump pourrait néanmoins avoir recours à la « solution Nixon » pour protéger les membres de sa famille et certains de ses alliés de toute accusation au niveau fédéral.

« Je crois que s’il perd, il accordera la grâce à de nombreuses personnes. De très, très nombreuses personnes. Sans doute à lui-même, aux membres de sa famille ainsi qu’à ses amis », déclarait Harry Sandick, ancien procureur fédéral du district sud de New York.

On ne sait pas encore si les tribunaux permettraient à Trump de s’accorder à lui-même cette grâce, mais certains experts pensent qu’il pourrait bien tenter le coup.

Et Sandick de souligner, « Personne n’a jamais essayé ».

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