Crime

Alicia, 19 ans, 1.55m et proxénète

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Sur le site Sexemodel où s’affichaient leurs profils, elles se faisaient appeler Layana Sodo, Mia Marocaine, Inès Sexy, Anissa Beurette. Ces jeunes femmes venaient travailler quatre à six jours avant de retourner chez elles en région parisienne, à Marseille ou à Montpellier. Dans les chambres où étaient reçus les clients, les tablettes Milka et les briques de Candy Up se mélangeaient aux boîtes de préservatifs et aux sachets de lingettes. Eux se prénomment Jean-Pierre, Johnny, Fabrice, Jérôme, François-Xavier. Le plus jeune a 28 ans et le plus âgé 58. Ils vivent dans des petites communes de Loire-Atlantique pour la plupart. L’un est conducteur de train à la SNCF, un second commercial, un troisième ouvrier dans le bâtiment, un autre « petit paysan. »

Entre les mois d’août et de novembre 2021, le temps d’une passe ou à plusieurs reprises, ces deux mondes se sont retrouvés dans l’intimité de trois locations Airbnb, une maison et deux appartements situés à Saint-Herblain, commune limitrophe à l’Est de Nantes.

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À une exception près, « j’étais trop stressé je suis reparti au bout de quinze minutes d’échanges verbaux » dira-t-il, ces hommes convoqués les 16 et 17 novembre dernier au commissariat central de Nantes ont reconnu avoir payé pour du sexe, entre 80 et 150 euros selon le type de prestation. Pour le client le plus accroc, qui pouvait voir trois filles par semaine, cette audition arrivait à point nommée. « Concernant mon addiction, je suis suivi pour cela, je vais voir un psychologue et mon médecin traitant est au courant » a-t-il confessé aux policiers de la Sûreté départementale en charge de l’enquête. Même son de cloche pour le commercial : « J’ai des problèmes de couple avec ma femme depuis 2018, elle a fait un burn-out. Votre convocation est un soulagement pour mettre fin à cette spirale. »

« À la journée j’te jure tu prends 500 euros par tête, à partager avec Abdel. 1 000 euros c’est le minimum qu’on fait par fille, c’est l’objectif. Y’a tout qui se paie, les doigts de pied, la bouche, les 50 euros, y’a un tas de trucs » – Smayi

Les autres n’ont pas été bavards. Inconnus de la justice, ils sont repartis du commissariat avec une convocation devant le délégué du procureur qui leur proposera un stage clients pour éviter une amende pouvant grimper à 1 500 euros. Une procédure classique depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 avril 2016 qui vise à pénaliser les clients et reconsidérer les travailleuses du sexe comme des victimes. En France, il n’est pas interdit de se prostituer. Mais aider, assister, protéger ou tirer profit de celle d’autrui relève du proxénétisme, un délit punissable de sept années d’emprisonnement plus 150 000 euros d’amende.

Ainsi, Smayi et Abdel, deux copains âgés de 19 et 20 ans et Alicia*, âgée de 19 ans, étaient renvoyés devant la chambre des comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Nantes le 16 décembre pour l’élaboration et la participation active à ce juteux commerce rapportant jusqu’à 3 000 euros par jour. Ce « proxénétisme de cité » selon l’expression de la presse locale aurait pu rester sous les radars sans le signalement, le 23 août, d’un riverain de l’avenue de Neuilly intrigué par des allées et venues depuis une quinzaine de jours. Une semaine plus tard, les policiers se rendaient sur place. Point de départ de deux bons mois d’enquête. La première semaine de surveillance confirmait les dires du riverain, à savoir qu’entre dix et douze clients se garaient quotidiennement du lundi au samedi pour des rendez-vous dépassant rarement les vingt minutes. La logistique était assurée par deux jeunes hommes circulant à bord de voitures de location, dont une Mercedes à 2 000 euros la semaine. Abdel et Smayi, connus respectivement pour des affaires de violences et de trafic de stupéfiants dans le 91 où ils résident, étaient placés sur écoute.

Sur l’un de ces enregistrements, Smayi rapporte à une copine : « À la journée j’te jure tu prends 500 euros par tête, à partager avec Abdel. 1 000 euros c’est le minimum qu’on fait par fille, c’est l’objectif. Y’a tout qui se paie, les doigts de pied, la bouche, les 50 euros, y’a un tas de trucs. » Dans un autre extrait, Abdel qui avait 3 120 euros en sa possession lors de son interpellation, fanfaronne après avoir relevé les compteurs : « J’sais pas j’ai combien de tickets wallah, j’ai mal à la tête. J’ai même pas fait le calcul… même pas je vais chercher à polémiquer, faire des mathématiques. » Plus loin, ils échangent comme des vendeurs de bétail : « Si les clients ils veulent pas la grosse ils la veulent pas. On peut pas la faire plus belle, maigrir tout, t’as capté, comme t’as dit on est pas des magiciens. »

Outre le transport, les deux copains s’étaient en amont occupés de la location des logements (580 euros la semaine chaque appartement et 780 euros la maison) en se faisant passer auprès de la propriétaire pour des associés voulant développer leur activité de location de voitures à Nantes. S’arrangeant pour ne jamais être vu des clients, ils assuraient aussi le standard, ne répondant que par sms et laissant les filles parler quand une discussion orale était requise. Le seul homme de l’affaire à avoir entendu la voix de l’un des deux aura été un plombier pas dupe, appelé pour « un excès de papier toilette » et découvrant sur place que les WC étaient en réalité encombrés de lingettes et de préservatifs.

Sur les conseils de leur avocat parisien, et alors qu’ils avaient contesté les faits en garde à vue, Smayi et Abdel ont plaidé coupables dès le début du procès. Ce n’est pas le cas de leur voisine dans le box. « Avec son double titre de prostituée et proxénète, c’est elle qui est au centre de l’affaire… Elle est le pilier, la cheville ouvrière autour de laquelle tout tournait » présente le procureur, Thierry Roland. Alicia, 1,55 m pour 45 kg, porte un sweat beige et croise souvent les bras de dépit. Sur une des photos tirée de la procédure, on la découvre avenante, cigarette au bec et canette d’Oasis en main. Seul son chignon haut a subsisté de ce cliché. Dans la droite ligne de sa défense en garde à vue, Alicia rejette les charges retenues à son encontre. « Je ne faisais que des massages » répète agacée celle qui a suivi 20 heures de formation en massages suédois et californiens. Un argument qui ne pèse pas lourd face aux éléments probatoires listés par l’accusation. Premièrement, les policiers n’ont retrouvé aucune table de massage ni d’huiles dédiées lors des perquisitions. Deuxièmement, il est uniquement fait mention de prestations sexuelles dans son annonce. « C’était pour attirer le client et une fois sur place je leur disais que je ne faisais que des massages » tente Alicia, alias Sonia-Dolce sur Sexemodel. Troisièmement, les commentaires plus ou moins distingués des clients ne laissent aucune place aux doutes.

« Je me prostitue et je suis la seule à le faire. C’est un choix, je l’assume. Cela gagne plus qu’autre chose » – Alicia

L’un écrit : « Je viens de sortir de mon rdv avec Sonia et franchement je suis pas déçu elle vaut largement le coup. Prise de rdv simple une fois arrivée bonnes discutions. Petit gabarit mais cela me convient amplement. Bien maquillée, toujours le sourire. Le reste je le garde pour moi. Ton rdv de 14h30, le jeune homme qui a fait 45 min de route pour toi. »

Un autre s’enflamme : « Un moment hors du commun et hors du temps. Beaucoup de douceur et de sincérité (les photos ne mentent pas). Lieu accueillant, Sonia est joviale, souriante et avenante. Sa prestation ? Exceptionnelle ! Je garderai un souvenir impérissable de cette première rencontre… Car il y en aura d’autres c’est certain.

Un dernier assène : « C’est la troisième fois que je vois Sonia, très très belle, une pro malgré son jeune âge, et quelle fellatrice !! Elle a un cul d’enfer et encaisse très bien !! Ne change rien, à très bientôt, bisous. »

Au milieu d’une kyrielle d’avis élogieux façon Tripadvisor émergent deux réserves. Un premier commentaire regrettant qu’Alicia termine sa journée à 16 h et un second revenant avec stupeur sur la découverte du bracelet attaché à la cheville de la jeune femme. Le 26 juillet, pour sa première comparution devant un tribunal, Alicia a été condamnée par le tribunal de Meaux à une année de détention à domicile sous surveillance électronique pour proxénétisme aggravé par pluralité de victimes. Avec la complicité de deux hommes déjà, Alicia s’était prostituée pendant des semaines dans plusieurs départements de la région parisienne aux côtés de cinq autres femmes, deux mineures en errance et trois Vénézuéliennes dont elle gérait la comptabilité. Confrontée aux déclarations accusatrices de l’une d’entre-elles et à la découverte d’un « carnet de compte très parlant », Alicia avait contesté les faits. « Je me prostitue et je suis la seule à le faire. C’est un choix, je l’assume. Cela gagne plus qu’autre chose » avait-t-elle déclaré au cours du procès, suivi par le Parisien. Une assurance de nouveau à l’œuvre quelques mois plus tard, comme le montre cet échange en garde à vue :

– Vous me paraissez particulièrement calme pour quelqu’un qui est accusé de proxénétisme aggravé, qu’en pensez-vous ?

– Parce que je n’ai rien à me reprocher, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?

– Commencez par arrêter de mentir.

– Je n’ai pas peur de retourner où j’étais.

– Et vous pensez que c’est la solution ?

– Oui parce qu’au moins je ne ferai plus de peine à ma mère, je préférerais faire ma peine que voir ma mère pleurer comme ça.

– Et il n’y a pas une solution intermédiaire ?

– Non.

Dans le cadre de sa détention à domicile, les juges avaient autorisé Alicia à retourner vivre chez sa mère, à 15 minutes au sud de Nantes. Une semaine après sa condamnation, elle incitait donc ses copains Abdel et Smayi, alors incarcéré à Fleury-Merogis, à la rejoindre en Loire-Atlantique pour lancer leur business. Pendant trois mois elle a mené une double vie, joueuse de petits chevaux en fin d’après-midi avec ses petits frères et travailleuse du sexe jusqu’à 16 h, l’heure à laquelle il fallait rentrer fissa chez maman pour éviter la sonnerie du bracelet. Chaque matin, quand Abdel venait la récupérer, Alicia racontait qu’elle allait faire des massages chez une copine. « Je lui ai fait confiance d’autant que sa formatrice m’avait fait des compliments sur ma fille, pour nous elle prenait un tournant dans sa vie, un nouveau départ » dira en audition sa mère, qui a élevé seule sa fille entre ses 18 mois et ses 13 ans, moment charnière de l’existence d’Alicia où celle-ci demande à aller vivre dans l’Essonne chez son père.

Décrit comme instable, violent et manipulateur, l’homme est connu de la police et de la justice. Ses carences en matière d’éducation ont conduit au placement en foyer de sa fille trois ans plus tard. Retournée vivre quelques mois chez sa mère à l’aube de ses 18 ans, Alicia a finalement préféré la relation toxique paternelle une fois majeure.
De ce qui ressort de l’enquête, ce serait lui qui aurait présenté les prostituées Vénézuéliennes à sa fille.

Des éléments de compréhension importants passés à la trappe lors d’une audience par moments empreinte de moralisme, le procureur éprouvant « quelque satisfaction » à livrer les identités de plusieurs clients. Dans une brillante plaidoirie, l’avocat d’Alicia Benoît Poquet a ramené les débats vers la marchandisation des corps, l’intériorisation des codes de la pornographie, le consumérisme exacerbé et les fragilités de sa cliente, « une victime que le législateur doit protéger. » Rappelant que « l’indignation morale n’avait jamais rien résolue », Me Poquet a ensuite pointé l’hypocrisie de ce type de procès faisant l’impasse sur les vrais proxénètes, au premier rang desquels les fournisseurs d’accès et les hébergeurs des sites permettant aux prostitués de se créer un profil pour le prix d’une passe. L’avocat a surtout demandé au tribunal de prononcer une relaxe. Proposer des duos avec d’autres filles, comme l’aurait fait Alicia selon les déclarations des clients, était selon lui insuffisant pour caractériser l’infraction de proxénétisme. « La nymphomanie et l’érotomanie sont peut-être condamnables d’un point de vue éthique mais elles ne le sont pas d’un point de vue juridique » a insisté Me Poquet.

Estimant que son « rôle n’était pas celui d’une simple jeune femme parmi d’autres », le tribunal a finalement condamné Alicia à quatorze mois de détention, une peine inférieure aux deux années de détention requises. Smayi a écopé d’une année de détention plus six mois de sursis probatoire et Abdel de neuf mois de détention plus neuf mois de sursis probatoire. À leur sortie de prison, tous deux auront l’obligation de suivre des soins et de justifier d’un travail pendant deux ans. Alors que les trois prévenus tendaient leurs mains pour les menottes, la mère d’Alicia s’est approchée du box en cherchant du regard sa fille, sans succès. Aucune escorte ne s’était constituée partie civile. Mia Marocaine avait cependant fait le déplacement au tribunal pour signifier qu’elle n’était « pas une victime. » Concernant le sort de sa cliente, Benoît Poquet ne cachait pas son amertume : « Elle n’avait pas compris la première fois et je ne suis pas sûr qu’elle ait compris cette fois-ci » déplorait-il en sortant du palais. Alicia encourrait 20 ans de prison au titre de la récidive.

*Les prénoms ont été modifiés.

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