Société

Vivre dans un tunnel à Paris

Paris refugees Porte Brunet – tunnel covered in graffiti with two rows of tents and a muddy path in the middle. At the back, a group of young kids is standing around.

Dormir dans la rue loin de son pays d’origine a tout d’un cauchemar éveillé. « Vivre dehors sous 2 degrés, à même le sol depuis un mois, c’est pire que tout ce que j’avais pu imaginer », souffle Hicham en enfilant une paire de moufles premier prix. Habillé d’une doudoune trouée, bonnet vissé sur la tête, ce jeune guinéen de 16 ans est arrivé en France le 20 octobre dernier. « J’ai souffert dans ma vie, mais l’hiver ici est épouvantable. Lorsque je m’endors habillé pour ne pas mourir de froid, je me demande combien de jours je pourrai encore tenir », confesse l’adolescent en remontant son jean pour montrer une blessure sur sa jambe gauche.

Les larmes aux yeux, Hicham raconte en grelottant un périple cauchemardesque de plusieurs mois de Conakry, capitale de la Guinée, à Paris. Passé par le Mali et le Niger, il est fait prisonnier en Libye pendant plusieurs semaines. Durant vingt-quatre jours, il est battu quotidiennement, pieds et mains liés, parfois suspendu la tête à l’envers. Après avoir réussi à s’enfuir avec deux autres codétenus, il arrive à rejoindre en bateau l’île de Lampedusa, en Italie. « Je n’ai plus d’argent depuis ma traversée en Méditerranée, j’avais économisé durant trois ans et aujourd’hui je suis accueilli comme un animal », balbutie-t-il. 

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Hicham montre les stigmates des blessures de torture subies en Lybie.

Des jeunes mineurs isolés comme Hicham, il y en a des dizaines dans ce tunnel entre la Porte Brunet, dans le 19e arrondissement de Paris et la rue Sigmund Freud, à la limite du Pré-Saint-Gervais, en Seine-Saint-Denis. Originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne ou d’Afghanistan, ils sont un peu plus de 150 à vivre ici depuis un mois faute d’hébergement d’urgence. Parmi eux, vingt-cinq familles, dont dix enfants âgés de 12 mois à 13 ans. Des tentes offertes par l’association Utopia 56 et par des riverains sont alignées sous le tunnel, espacées de quelques centimètres les unes des autres. 

« Tout ça ne devait être que provisoire, mais malheureusement on commence à avoir nos habitudes » – Abel

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Jocelyne, à droite de la photo, patiente dans le froid.

Au milieu du tunnel, une petite bouille sort sa tête de l’une des tentes, laissant apparaître de grands yeux noisette. Emmitouflé des pieds à la tête, Florian vient d’avoir 12 mois. Depuis vingt-cinq jours, sa mère Jocelyne et lui tentent de survivre comme ils peuvent. Partie trois mois plus tôt de la banlieue d’Abidjan, capitale de la Côte d’Ivoire, suite à un mariage forcé, Jocelyne voulait protéger son bébé. Après avoir été logés dans plusieurs centres d’hébergement d’urgence en Île-de-France, ils sont expulsés faute de place. « J’appelle le 115 tous les jours et je reçois la même réponse : mettez une couverture sur le petit, nous n’avons plus de place », confie la maman désemparée. Florian ne parle pas encore mais lorsqu’il pleure la nuit, sa mère distingue les hurlements de faim des gémissements causés par le froid. Elle l’enroule dans des couvertures la nuit puis le colle près de son corps pour qu’il ait de la chaleur. « Des riverains m’apportent parfois du lait, mais Florian refuse de le boire car il est glacé », précise-t-elle. 

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Barry, danse au milieu du tunnel.

À 22 h 30, une musique de P-Square retentit d’une petite enceinte dans le tunnel. Barry gère la playlist et commence quelques pas de smurf. Rapidement, ils sont trois à se faire face pour une battle de danse improvisée. « On danse pour se réchauffer, tant qu’on n’est pas gelés on va continuer à s’amuser », confie Abel, un jeune malien de 17 ans, en souriant. Barry et Abel se livrent entre deux musiques. « Tout ça ne devait être que provisoire, mais malheureusement on commence à avoir nos habitudes », dit Barry. Tous les matins, avec Abel, ils partent se laver à 9 h 30 au robinet du parc de la Butte-du-Chapeau-Rouge, puis reviennent pour se nourrir grâce aux associations. 

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Sohrad, réfugié afghan.

Au fond du tunnel, deux jeunes afghans parlent farsi entre eux, allongés sur une vieille couverture. Sohrad et Samim, âgés de 15 et 16 ans, sont partis ensemble d’Afghanistan il y a trois mois pour fuir les forces talibanes. Ils sont originaires de Bamiyan, située à 180 kilomètres au nord-ouest de Kaboul. Une ville tristement célèbre pour l’explosion des deux immenses statues de Bouddha, érigées entre le IIIe et le VIe siècle, par les talibans en mars 2001. « J’ai peur de m’endormir le soir, je fais des cauchemars depuis une semaine. Mais au moins j’ai une tente », lance Sohrad en rigolant. Ces deux jeunes s’estiment chanceux de pouvoir dormir sous le tunnel. Depuis deux semaines, les rangs s’agrandissent, les nouveaux arrivants s’amassent à l’extérieur, dans des tentes mouillées pour la plupart. 

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À 23 h, les familles s’avancent vers la sortie du tunnel qui donne sur la rue Sigmund Freud. Comme chaque soir du lundi au samedi, deux camionnettes des Restos du Cœur de la permanence d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) distribuent des repas et des boissons chaudes. Au menu ce soir, sandwichs au thon, pommes, gâteaux et thé pour tout le monde. Sous une pluie battante, cinq bénévoles s’occupent de la distribution. « Depuis la fin de l’été ça n’arrête pas. Que ce soit ici ou sur le secteur du canal de l’Ourcq, on fournit des repas à plus de 800 personnes », confie Sonia, bénévole aux Restos du Cœur. 

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Hawa et son père attendent avant d’aller dormir devant leurs tentes.

Impossible de s’endormir le ventre vide, surtout pour les bambins. Dans les bras de Moussa, Hawa, 15 mois à peine, grignote un morceau de gâteau. Vêtue d’une combinaison blanche et bleue, une capuche à fourrure la protège de la pluie et du vent. Son père attend désespérément une solution d’hébergement, mais le fait d’avoir une petite fille ne fait pas accélérer les démarches. Depuis trois jours, Hawa est malade et n’a pas accès aux soins. « Je crains beaucoup pour elle, elle tousse et a vomi à plusieurs reprises hier. On a juste un thermomètre pour la fièvre qui affiche 39,2. Je ne sais pas quoi vous dire de plus », se désole Moussa. 

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Sur place, peu avant minuit, de nombreux riverains viennent aider comme ils peuvent. Aneta, habitante du Pré-Saint-Gervais, vient pour la première fois avec sa théière distribuer un breuvage au gingembre fait maison. « On essaie de se mobiliser grâce à un groupe WhatsApp des habitants du quartier. Je ne pouvais pas continuer à passer à côté sans rien faire, j’avais une boule au ventre. Si les politiques les abandonnent, il reste l’altruisme des citoyens », soupire-t-elle. 

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Camille, présidente de l’association tendre la main.

Camille, fondatrice et présidente de l’association Tendre la main, est présente avec une équipe de bénévoles pour aider ces familles. Distribution de nourriture, de boissons, mais aussi de kits d’hygiène pour les femmes. « On essaie d’aider le plus de personne possible. Cette semaine nous avons distribué beaucoup de vêtements pour les femmes », déclare la présidente. Organisation à but non lucratif, l’association Tendre la main fonctionne uniquement grâce aux dons de particuliers, par le biais d’une cagnotte en ligne

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Le 30 novembre dernier, l’association Utopia 56 a placé une dizaine de familles dans un gymnase proche de la gare de l’Est. « On essaie de trouver des solutions de mise à l’abri pour reloger tout le monde mais ça avance trop lentement. Politiquement rien ne bouge, que ce soit du côté de la mairie du 19e arrondissement ou du Pré-Saint-Gervais », explique Pierre Mathurin, coordinateur d’Utopia 56 Paris. En effet, depuis un mois, habitants et associations mettent quotidiennement la pression aux maires socialistes du 19e arrondissement et du Pré-Saint-Gervais, François Dagnaud et Laurent Baron, en vain. 

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Un réfugié esquisse un sourire lors d’une conversation avec des bénévoles d’utopia 56.

« Nous avons du courage mais jusqu’à quand ? Ce n’est pas une vie, nous avons quitté la misère pour l’enfer »

Un collectif de riverains, le Pré Solidaire, s’active depuis plusieurs semaines pour dénoncer cette inaction politique. Le 28 novembre 2021, 250 personnes manifestaient pour essayer de faire bouger la Mairie de Paris. « Nous n’allons pas lâcher, s’il faut monter d’un cran dans la mobilisation, nous le ferons », affirme Victor Moati, habitant du Pré-Saint-Gervais et membre du collectif. 

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En ce premier week-end de décembre, les abris se ferment doucement aux alentours de minuit. « Nous avons du courage mais jusqu’à quand ? Ce n’est pas une vie, nous avons quitté la misère pour l’enfer », confie une mère de famille avant de s’engouffrer dans une tente pour la nuit. 

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