Sexe

Parlez-vous de sextoys avec vos potes ou en famille ?

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La première fois que j’ai vu un sextoy c’était quand, avec mon petit frère, on a découvert le vibro de notre sœur. Je me souviens vaguement d’une boîte en carton, d’apparence normale. Pourquoi on voulait tant savoir ce qu’il y avait à l’intérieur ? C’est juste qu’on volait tout le temps les affaires des autres. Mais on n’était pas prêt·es pour ce qu’il y avait dans cette boîte : un vibro violet, un lapin typique. On a gloussé, puis on l’a rangé. 

Il faudra attendre quelques années avant que je m’achète un sextoy à moi. J’avais 17 ans et je n’avais jamais eu d’orgasme, et me masturber avec mes mains me semblait inutile, ça ne me faisait rien. Un jour, j’ai commandé un soutif en ligne – sur recommandation de ma grande sœur – et devinez quel a été le cadeau de bienvenue ? Un vibromasseur. Bien sûr, je ne pouvais laisser ce cadeau de Dieu, tombé du ciel direct entre mes mains, moisir dans un coin de mon armoire. J’ai dû l’essayer. Et ce fut une révélation, même si l’orgasme allait devoir encore attendre un peu.

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Ce qui me paraît bête maintenant, rétrospectivement, c’est tout ce temps pendant lequel je suis restée silencieuse sur des sujets comme le sexe et surtout les sextoys. L’idée de dire à mon mec que j’avais acheté un jouet me semblait absolument absurde. Aujourd’hui, cinq bonnes années plus tard, il ne sait que trop bien ce que je possède et ce que je n’ai pas, et avec mes potes, on rigole sur le fait qu’on s’échange toujours nos chargeurs parce qu’on a toutes le même Satisfier pro. Pourtant, on reste toujours aussi surprises par le tabou qui entoure le sujet. Dans un monde où Jouissance Club est l’un des livres les plus populaires sur la question, comment se fait-il qu’on ne puisse toujours pas parler ouvertement de plaisir, et donc de sextoys ? Est-ce un sujet qu’on évite davantage dans certains milieux que dans d’autres ? 

Vous avez un joujou de prédilection ? Ou c’est peut-être pas votre truc ? Peut-être que vous avez aussi peur d’en parler ? Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas seul·e. J’ai mené ma petite enquête en interrogeant quelques personnes sur leur expérience perso. Qui est plus ouvert·e que qui à ce sujet ? À qui peut-on en parler sans gêne ni pudeur ? La sexologue Emilie Daems m’a également aidée à répondre aux questions importantes. 

« C’est pas pour moi. » Vraiment ?

Vous la connaissez aussi, cette impression de ne pas vraiment pouvoir parler de quelque chose d’intime avec vos potes sans que quelqu’un ne se mette à ricaner ? Lena (24 ans) remarque un côté puéril-ado dans certaines conversations, notamment lorsqu’il est question d’intimité et de sextoys. Les gens se tendent et même si elle aime bien en parler avec humour, ça reste limitant : « Si c’est juste pour blaguer, je trouve ça un peu dommage. » Pour elle, cette attitude sert avant tout à détourner le sujet, à en faire une non-discussion : « Je veux juste pouvoir en parler mais les gens gâchent tout en en rigolant. Peut-être qu’ils essaient d’esquiver ou qu’ils ne sont pas conscients que pour certaines personnes, il puisse s’agir d’un vrai sujet de conversation. »

Pourquoi les sextoys sont-ils toujours aussi stigmatisés ? Prenez le sexe anal avec les personnes cisgenres hétéro, par exemple. Dans le passé, on a publié toute une série d’articles sur la manière d’explorer sa vie sexuelle par derrière. On avait même fait des guides destinés aux débutant·es et sur différentes pratiques liées au pegging chez les couples hétérosexuels. Avec toute cette matière, on aurait sûrement dû éradiquer les doutes et le tabou autour de cette question non ? Pas du tout. D’après les nombreux échanges que j’ai eu avec des potes, presque tou·tes m’ont confié connaître au moins quelqu’un qui associe l’anal (et les gadjets qui vont avec) aux sexe entre mecs.   

« Les personnes dotées d’un pénis qui utilisent des sextoys sont souvent stéréotypées comme étant minables, esseulées et désespérées. C’est malhonnête et faux. »

Bien sûr, la stigmatisation du sexe anal reste le fruit d’une vision hétéronormative du sexe. C’est pas nouveau. Emilie Daems affirme que « les personnes dotées d’un pénis qui utilisent des sextoys sont souvent stéréotypées comme étant minables, esseulées et désespérées. C’est malhonnête et faux. Au contraire, un homme cis qui utilise des sextoys montre qu’il est curieux de sa sexualité et qu’il va à la recherche de ce qu’il désire. On peut apprendre beaucoup de choses sur son propre corps quand on se masturbe et donc aussi quand on utilise des sextoys. » 

D’autres clichés entourent les sextoys, comme ce que Aiden (29 ans) me confie de certaines personnes de la communauté lesbienne. Selon lui, les sextoys ne représentent pas seulement un tabou ; l’idée que vous n’êtes pas une vraie lesbienne si vous utilisez un gode est aussi un préjugé connu. À 16 ans, avant sa transition, Aiden était lesbienne. Un jour, on lui a dit : « Si t’utilises quelque chose qui te pénètre, alors t’es pas vraiment lesbienne. »

Au cours de nos discussions, d’autres potes m’ont aussi raconté qu’un sujet du genre est beaucoup plus difficile à aborder au sein d’un groupe d’hommes cishet. Tom* (25 ans) dit qu’il ne possède pas de sextoys mais surtout, il estime qu’il ne pourrait en parler qu’avec ses meilleurs amis, parce qu’il se sent assez proche d’eux. Ses potes, selon lui, savent ce qu’est un Fleshlight, mais il estime que s’il en parle en groupe, ce serait un peu bizarre : «  Est-ce que c’est un tabou ? Peut-être bien. Une chose est sûre : je pense pas qu’un jour je les entendrais parler de vibros. » Cela dit, il ne faut pas le prendre trop mal selon Emilie : « Si les gens réagissent bizarrement lorsque vous parlez de jouets sexuels, c’est souvent dû à leurs propres insécurités. » 

Elle explique aussi qu’on a affaire à une culture de la honte : « Le sextoy est trop souvent perçu comme le dernier recours pour les femmes qui ne parviennent pas à atteindre l’orgasme, au lieu d’être considéré comme un bel outil que vous pouvez utiliser pour donner plus de variété à votre sexualité et pour apprendre à mieux vous connaître, vous et votre corps. C’est vraiment comme ça qu’on devrait voir les sextoys. » Ça signifie donc que les jouets ne doivent pas rester bloqués aux frontières de la chambre à coucher des personnes ayant un vagin, mais s’adressent à toute personne qui souhaite les essayer. « Quand les gens le voient comme un dernier recours pour l’orgasme féminin, on réduit ça à des choses réservées aux femmes, et ça devient aussi plus compliqué pour un homme d’en parler s’il en utilise aussi. »

Dépasser la honte

Alors, est-ce que tout le monde à honte des sextoys ? Évidemment que non. Par exemple, Ian (22 ans) me dit qu’il a des ami·es très enthousiastes au niveau de tout ce qui est sexuel. Du coup, les discussions sur le sexe ou sur les sextoys n’ont rien d’anormal au sein de sa bande de potes. Il trouve ça important. Pour lui, c’est un bon moyen d’échanger des informations ou des conseils. Ça va de retours d’expérience du type « J’ai découvert ça, c’est super amusant, si jamais vous voulez essayer, je peux vous le conseiller », à des conversations ouvertes sur « la prévention, les kinks et tout ce qui relève du plaisir personnel ». Ian affirme même qu’au sein de son groupe, il n’y a plus du tout de tabous. Ce qui est rassurant, quand même. 

Pouvoir parler ouvertement de sexe et de sextoys est un élément important dans notre recherche de ce qu’on aime et de ce qu’on n’aime pas, et de la manière dont on vit le sexe. Après, vous pourrez mieux identifier les problèmes et les questions qui se posent. Pour Ian, le sujet est tellement important qu’il essaie de briser le tabou avec sa famille, « même si c’est parfois délicat ». « J’ai une petite sœur et j’essaie de lui en parler de temps en temps », dit-il. C’est surtout pour les informer qu’il veut faire ça : « Je pense que beaucoup de membres de ma famille comprennent pas vraiment comment fonctionne le sexe si t’es pas une personne cishet. » Mais vu que ce genre de question « embarrassante » est difficile à mettre sur la table, et que beaucoup de gens ne pensent pas que ce soit bien de le faire, ça lance au moins la conversation et ça ouvre au débat. « J’ai moi-même eu du mal au début, ajoute Ian, mais je préfère leur donner les bonnes infos plutôt que les laisser faire de mauvaises suppositions sur ma sexualité. »

« Mon père est nudiste. Quand j’étais gosse, il m’emmenait souvent dans des campings naturistes. Il a toujours été très ouvert d’esprit et, quand j’ai commencé ma transition, il m’a directement dit : “Tu dois faire ce qui te plaît, ma fille”. »

Certain·es membres de la famille d’Aiden n’ont par contre aucun problème au moment d’aborder les questions liées au sexe. « J’ai la chance que mes parents soient toujours très ouvert·es à ce sujet, dit-il. Alors que j’avais même pas 14 ans, ma mère venait avec le Libelle [un magazine flamand, NDLR], le catalogue vendait des vibromasseurs une fois par an et elle me disait : “Tiens, celui-là je l’ai. Si t’en veux un aussi, il suffit demander”. » Aiden en parle également avec sa grand-mère, qui l’a soutenu financièrement pour acheter un gode-ceinture. 

Ellen (36 ans), elle, a toujours été capable de parler de sexe, mais seulement avec son père. Cette relation particulière tournée vers l’ouverture a naturellement pu faciliter les discussions sur les sextoys. Plus de tabou ni de honte. Ni la gêne que beaucoup éprouvent au moment de faire part de leurs problèmes et leurs interrogations. « Mon père est nudiste, me confie-t-elle. Quand j’étais gosse, il m’emmenait souvent dans des campings naturistes. Il a toujours été très ouvert d’esprit et, quand j’ai commencé ma transition, il m’a directement dit : “Tu dois faire ce qui te plaît, ma fille”. Ç’a été immédiatement accepté et sans aucun problème. » Sa mère en revanche est beaucoup plus réticente sur ce genre de sujets. « J’oserais même pas essayer avec elle », avoue Ellen.

Lorsque des sujets tels que les sextoys ne sont pas abordables en famille ou entre potes, il doit quand même y avoir une première fois, selon Emilie : « Tout ce qui relève de la première fois est effrayant. Mais c’est surtout du soulagement après, parce que vous vous sentez puissant·e d’avoir osé le faire. Si vous trouvez un·e bon·ne interlocuteur·ice dans ce domaine et qu’on vous comprend, c’est valorisant. Et ça reste valable même si la réaction n’est pas celle attendue. »  Parce que vous pouvez aussi apprendre du négatif. Le fait de pouvoir communiquer sur n’importe quel problème, en général, peut générer une confiance en soi qui ne peut que jouer en votre faveur sur le long terme.

Lena a quant à elle partagé son expérience avec une amie, et ça a résolu un problème auquel celle-ci était confrontée : « Pendant longtemps, j’avais des problèmes pour jouir, puis j’ai acheté un sextoy, juste pour tester. Et ç’a marché. J’avais une amie qui avait le même souci, je lui ai partagé mon expérience puis on a commencé à en parler plus ouvertement. Ça l’a pas mal aidée. » Note complémentaire : le sexe ne doit pas nécessairement conduire à l’orgasme à chaque fois, l’important c’est que vous preniez du plaisir, de même pour les sextoys.

« Il y a beaucoup à gagner à parler de sexualité et des sextoys, poursuit Emilie. Contrairement à l’Église catholique, les sexologues savent qu’il est très important de faire l’amour pour le plaisir. Lorsque l’on a vécu une expérience sexuelle positive, on a encore plus de goût à ça et on accumule plus de bonheur et de confiance. Quand on en parle de manière positive, ça contribue aussi au fait que le sexe peut être amusant. C’est l’une des clés pour avoir une sexualité saine et épanouie. Au-delà de cet aspect, en discutant entre nous des sextoys, on peut aussi apprendre beaucoup les un·es des autres. Le sexe c’est aussi un apprentissage. Et je pense que plus il est normal de parler de sexe, plus tout le monde se sentira en adéquation avec son corps. Les tabous et les fake news comme le fait que la stimulation du clitoris entraîne une désensibilisation peuvent alors être brisés et expliqués une fois pour toute, en en parlant. »

En parler davantage… dès l’enfance

Parfois le caractère « intime » de certains sujets tels que le plaisir et les sextoys peut varier considérablement suivant les cercles sociaux et l’environnement dans lequel on s’inscrit. Par exemple, au sein de la communauté trans, il semblerait que le dialogue soit plus ouvert. Ian me confie que dans son cas, c’est vraiment dû au fait qu’il fasse partie de cette communauté. Le fait que les personnes trans doivent déjà briser le tabou de l’hétéronormativité et des codes du genre fait en sorte qu’il est plus facile de pouvoir parler de ce type de sujets. 

Fleur (37 ans) raconte que ses ami·es queers ont aussi moins de mal à discuter de ces questions. « C’est même assez spontané, dit-elle. La plupart des gens que je connais sont aussi beaucoup plus conscients et assez militants. On essaie de normaliser ça, parce que ça fait partie de la vie. » Ian ajoute : « Une fois qu’on commence à repenser la sexualité et le genre, on se retrouve noyé dans un océan d’informations, dans lequel on se plonge de plus en plus et on en apprend toujours davantage. »

Revenons un peu à ces rires d’ados prépubères qui sont encore trop souvent la seule réponse à laquelle on a droit quand on parle de trucs dont on a honte. Tiens, rien que la dernière fois, j’ai réussi à faire pouffer de rire un groupe d’hommes cishet quand je leur ai parlé de l’existence de digues dentaires pour le sexe oral. Ça me parait absurde qu’ils sachent parfaitement ce qu’est une capote, quelle doit être sa taille et à quoi ça sert, mais qu’ils ne sachent rien d’une digue ou d’un préservatif féminin. Ces ricanements ou moqueries apparaissent dès l’adolescence. Et ce n’est qu’à partir du moment où le sujet des sextoys se banalisera que la gêne s’estompera. Surtout que les sextoys sont partout. Une étude de Klarna rapporte qu’un·e Belge sur cinq achète des sextoys tous les mois, la génération Z étant en tête avec 36%. 

C’est vrai que lorsqu’un sujet est considéré comme tabou pendant la jeunesse, il peut vous hanter longtemps, et ce, jusqu’à l’âge adulte. Fleur se souvient d’une remarque qu’elle a entendue en classe et qui lui est longtemps restée en tête : « En 1999, j’étais en troisième année de secondaire et j’avais un prof de religion qui nous racontait que “les homosexuels ont plus de chance d’avoir une diarrhée chronique parce que leur sphincter ne fonctionne pas”. Si on vous apprend ça à l’adolescence, votre vision de la sexualité sera tellement déformée plus tard. » Et heureusement, on a bien progressé niveau éducation sexuelle. On retrouve aujourd’hui des filières et des cours spécifiques dédiés au sujet, tels que des masters en genre et diversité ou des masters en sexologie, qui nous amènent à en apprendre toujours plus sur le sexe et la façon dont il est vécu. 

« À l’école, l’identité de genre est bien mieux abordée aujourd’hui, explique Ellen. Dès la première année de secondaire, on s’intéresse à la santé mentale de l’enfant, et pas seulement à l’aspect physique. » Et la façon dont ces enfants s’identifient par rapport à leur corps fait partie du sujet. Elle ajoute : « Ma plus jeune fille n’est qu’en troisième année de maternelle, mais leur prof aborde déjà ces thèmes avec des livrets et des travaux sur l’identité de genre. » Ce sont autant de pas en avant pour mettre la sexualité et les questions de genre au premier plan, ce qui devrait en fin de compte améliorer les débats sur les sextoys.

Aiden a eu de la chance. Grâce à son implication au sein d’un mouvement de jeunesse pour personnes LGBTQ+, les questions liées à la sexualité ont toujours fait l’objet de discussions dans son environnement proche. Cette implication l’a amené par la suite à fréquenter de plus près la RainbowHouse. Aujourd’hui, il organise des conférences et prend même la parole dans des salles de classe pour sensibiliser les gens. « C’est l’ignorance qui rend le truc dangereux. S’ouvrir au débat permet de faire tomber pas mal de barrières. » Les réseaux sociaux, ou du moins leurs utilisateur·ices, apportent également leur pierre à l’édifice en matière de révolution sexuelle, notamment par l’échange.

« Le sexe est à la fois important et pas important, ajoute Aiden. Et c’est la même chose pour les sextoys. Je pense qu’il s’agit simplement de savoir si vous êtes heureux·se dans votre vie sexuelle et comment ces jouets peuvent compléter ça. »

Selon moi, on progresse sur le sujet, mais c’est pas encore tout à fait au point. Je me rends compte que lorsque je demande autour de moi si les sextoys devraient faire l’objet d’un débat plus important dans la société, la réponse qui prédomine reste un « oui » ferme et général. « Je veux que mes enfants comprennent que leur corps, leur orientation et leurs désirs sont des sujets qu’ils peuvent aborder dans leur vie de tous les jours », déclare Ellen. « Le sexe est à la fois important et pas important, ajoute Aiden. Et c’est la même chose pour les sextoys. Je pense qu’il s’agit simplement de savoir si vous êtes heureux·se dans votre vie sexuelle et comment ces jouets peuvent compléter ça. »

Et si vous ne pouvez toujours pas en parler avec vos potes ou votre famille ? Alors vous pouvez toujours vous tourner vers les sexologues. On évolue définitivement vers un monde de plus en plus ouvert à la communication. Vous pouvez donc toujours essayer de faire le premier pas. Emilie avertit aussi : « Prêtez attention au fait que vous devez vous sentir en sécurité pour en parler. Réfléchissez à vos propres limites et portez attention aux autres et à leur besoin d’en parler. Et, en aucun cas, ne forcez quelqu’un à parler de ces sujets si le besoin ne s’en fait pas sentir. »

*Les prénoms ont été modifiés par la rédaction.

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