Réforme électorale : les États-Unis plus game que le Canada ?
Photo : Flickr, Ken Lund

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Réforme électorale : les États-Unis plus game que le Canada ?

Justin Trudeau a promis mainte et mainte fois une réforme électorale lors de la campagne de 2015, allant même jusqu'à jurer que l'élection de 2015 serait la « dernière élection fédérale organisée selon un scrutin majoritaire uninominal à un tour ».

Le 8 novembre, le résultat du scrutin pourrait être du jamais vu sous la bannière étoilée. Je ne parle ici pas de l'élection d'une toute première femme, ou de l'élection d'un milliardaire sans expérience politique à la tête du plus puissant empire planétaire.

Je parle d'un de ces votes qui tombe sous le radar : le mois prochain, le Maine soumet un plan ambitieux au vote populaire : l'état pourrait devenir le premier de l'histoire des États-Unis à désigner ses représentants politiques par vote préférentiel. Ce système de votation est déjà employé dans une dizaine de villes américaines, dont Portland, au Maine, et San Francisco, en Californie, mais une telle réforme n'a jamais été concrétisée à l'échelle de l'état.

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Alors que Justin Trudeau laisse planer le doute quant à la réalisation de la réforme du mode de scrutin, une de ses principales promesses électorales, il se pourrait qu'un état limitrophe au Canada nous donne une petite leçon d'audace.

Pour un vote plus juste ?

La question référendaire est claire: Voulez-vous permettre aux électeurs de classer les candidats par ordre de préférence, et ce pour les élections du Sénat américain, du Congrès, du gouverneur, Sénat de l'état et des représentant de l'état?

Les militants du vote préférentiel avancent qu'un tel mode de scrutin pourrait enrayer les stratégies de campagne négatives, puisque les candidats devraient tenter de plaire à une plus grande proportion de la population. Mais plus important encore, ils avancent que les candidats élus selon ce mode de votation obtiendraient un soutien plus marqué de la part de la population

Au nom du Committee for Ranked Choice Voting Maine, l'ancien sénateur Dick Woodbury dénonce le système politique actuel, où les politiciens sont élus sans même obtenir 40 % des votes. Au cours des 20 dernières années, le démocrate John Baldacci est le seul gouverneur mainois à avoir dépassé les 40% d'appuis lors d'un premier mandat, récoltant 47 % des voix lors du scrutin de 2002. « Le vote préférentiel restaure la règle de la majorité, et assure que les candidats contre lesquels s'opposent la majorité des électeurs ne seront pas élus », lit-on sur le site web.

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Les partisans du vote préférentiel arguent que dans leur forme actuelle, les élections aux États-Unis ne se jouent qu'entre deux partis. Selon eux, il n'y a pas de place pour un troisième candidat, pour qui voter viendrait à « donner » un vote au candidat détesté. C'est ce qui pourrait inciter les électeurs qui craignent Donald Trump à voter pour Hillary Clinton, et ce même si le coeur n'y est pas, par exemple. « Le système entier repose sur les sondages et le gaspillage des votes, a déploré la représentante démocrate à la chambre des représentants du Maine, Diane Russell, en entrevue avec le Portland Press Herald. Ce n'est pas un aspect reluisant de notre démocratie. »

Le vote préférentiel permettrait donc d'éviter ce « gaspillage ». Plutôt que de voter pour le moindre de deux maux, les électeurs classent chaque candidat par ordre de préférence. Si un candidat n'emporte pas la majorité des voix au premier décompte, le candidat avec le moins de vote est éliminé. Les deuxièmes et troisièmes choix sont alors redistribués aux autres candidats en lice, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'un d'entre eux obtienne la majorité des voix.

Les appuis pour le vote préférentiel

La mesure est appuyée par 48 % des électeurs, selon un sondage mené en septembre par le Portland Press Herald et le Maine Sunday Telegram. Si seulement 29% des électeurs s'opposent au changement, près d'un Mainois sur quatre demeure indécis, ce qui représente un nombre assez élevé. « Nous sommes conscients qu'il y a beaucoup d'indécis qui n'ont pas entendu parler de la mesure, ou qui auraient besoin d'être mieux informés », a admis Kyle Bailey, le directeur de la campagne du Oui.

Du côté des journaux, les appuis sont partagés. Le Portland Press Herald et le Bangor Daily News, deux des quotidiens les plus lus du Maine, ont des avis contraires. Le premier a signé le 16 octobre un éditorial soutenant clairement le vote préférentiel. « Cette réforme représente un changement audacieux, mais il est un changement qui ramènerait quelque chose que nous avons perdu - la politique de consensus dans une période de fragmentation politique », signe le journal.

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Le comité éditorial duBangor Daily News a riposté trois jours plus tard, en soutenant que les arguments pour le vote préférentiel n'étaient pas convaincants. On craint plutôt que « dans un état où la moitié des communautés décomptent les bulletins de vote à la main, […] voter et compter les votes deviennent déroutant, moins transparent et pénible, et érode encore plus le taux de participation et de la foi dans les systèmes électoraux et le gouvernement. »

La lente marche vers le vote préférentiel

Pour que la mesure apparaisse au bulletin de vote, 73 000 Mainois ont signé une pétition du Committee for Ranked Choice Voting. Le combat n'est cependant pas gagné d'avance. L'appui citoyen envers un référendum, c'est une chose, mais il faut ensuite que la modification soit entérinée dans la législature de l'État. Et il y a présentement des désaccords sur la marche à suivre.

La ministre de la Justice du Maine juge qu'il faudra amender la Constitution pour ainsi modifier le système de votation. Son avis est contredit par les défenseurs du vote préférentiel, dont Dick Woodbury, qui juge qu'il y a des zones grises dans le texte constitutionnel, et que les lois sont sujettes à interprétation. En admettant que la démarche du 8 novembre porte fruit, il pourrait y avoir encore beaucoup chemin à parcourir.

Un vote préférentiel dans le Maine, et plus loin encore?

La démarche mainoise n'aura pas d'impact sur le reste du pays, selon Élisabeth Vallet, chercheure en résidence à l'Observatoire des États-Unis de l'UQAM, qui rappelle que « chaque état américain est responsable de son système de votation ». Elle cite la Californie, où la démocratie directe est instaurée dans certains domaines; par exemple, les citoyens peuvent décider spontanément de révoquer un élu - et ne s'en sont pas privés par le passé. Cette mesure n'a eu aucune répercussions sur les autres états, malgré le poids politique de Californie sur l'échiquier américain.

Les États-Unis pourraient-ils être tout de même tentés par le vote préférentiel? « Ceux qui le souhaiteraient, ce sont ceux qui veulent percer, mais ce n'est pas forcément souhaitable dans un pays aussi vaste, qui s'étend à l'échelle du continent », explique Vallet. Le collège électoral donne le sentiment que le président a une vraie légitimité, car il obtient l'appui d'une majorité d'états. Fractionner le vote aurait pour effet de réduire la légitimité du président des États-Unis, ce qui inévitablement aurait une incidence sur sa gouvernance.

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Selon Vallet, Hillary Clinton aura besoin d'une perception de soutien généralisé pour faire avancer ses politiques. « L'idée même de la légitimité est indispensable pour gouverner de manière correcte. C'est ce qu'on va voir avec Hillary Clinton, qui devrait être élue. Lorsqu'elle va entrer en fonction le 20 janvier, si Donald Trump conteste l'élection comme il compte vouloir le faire, si les Blancs en colère contestent aussi cette légitimité, si le sénat n'est pas de son bord, ça peut faire toute une différence. »

Le Canada, dans tout ça

Certaines similitudes sont à relever entre les situations canadienne et américaine, étant donné l'ampleur de leurs territoires. L'instauration du vote préférentiel au Canada aurait un impact certain sur le paysage politique.

« On aurait plus d'instances telles que le Bloc québécois, avance Vallet. À un moment donné on aurait probablement des partis représentant les provinces, ou il y aurait un fractionnement géographique des partis. Le chef du gouvernement aurait beaucoup plus de mal à gouverner, parce que son assise reposerait sur une alliance des partis locaux. Prenez Stephen Harper et Justin Trudeau, pour avoir un élément comparatif. Lorsqu'on a une légitimité importante, on a beaucoup plus les coudées franches. »

Justin Trudeau a promis mainte et mainte fois une réforme électorale lors de la campagne de 2015, allant même jusqu'à jurer que l'élection de 2015 serait la « dernière élection fédérale organisée selon un scrutin majoritaire uninominal à un tour ». Il semble un peu plus frileux depuis. En entrevue avecLe Devoir, le premier ministre a laissé planer le doute quant à la réalisation de cette promesse en assurant que, pour qu'une réforme s'opère, « il faut que les gens soient ouverts à ça ». Il n'y a toutefois aucun référendum prévu pour sonder l'appui de la population.

Au lendemain de la parution de son entrevue avec Le Devoir, alors qu'il était critiqué de toutes parts, Justin Trudeau s'est ravisé et a affirmé qu'il était « profondément déterminé » à réformer le mode de scrutin canadien. La Presse canadienne rapporte que le premier ministre « semblait plus ouvert à l'idée d'adopter un système préférentiel ».

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