Quelque part en Amazonie, une tribu de goths sème la désolation sur son passage

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Quelque part en Amazonie, une tribu de goths sème la désolation sur son passage

Il faudra plus qu'un soleil de plomb pour que les gothiques de Manaus renoncent à leur style.

Toutes les photos sont de João Paulo Machado

Les gothiques de Manaus sont visiblement prêts à tout pour préserver leur style. Ils passent leurs journées à flâner dans cette grande ville de l'Amazonie, vêtus de corsets et de bottes noires, les yeux soulignés par un trait d'eyeliner. Fasciné par ces gens déterminés à garder leur panoplie dans un pays où la température moyenne annuelle est de 26°, j'ai décidé d'en suivre quelques-uns.

Je suis tombé sur Lúcio Ruiz, un gardien de bétail de 41 ans, alors qu'il traînait près du Parque dos Bilhares. Il y a des années, Ruiz a découvert le clip de Head in the Door de The Cure. Captivé par le maquillage et la chevelure de Robert Smith, il a commencé à faire des recherches sur la culture goth.

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« Quand j'ai entendu ce morceau, j'ai vraiment voulu savoir de quoi il parlait. Je me demandais où je pourrais trouver des gens comme Robert Smith. Puis j'ai maté Edward aux mains d'argent et j'ai lu Dracula,de Bram Stoker. Finalement, j'ai créé ma petite scène ici, avec une poignée d'autres gens aux goûts similaires. On s'est intéressés à l'œuvre de Vincent van Gogh, à la poésie de Casimiro de Abreu, puis de plus en plus de gens nous ont rejoints », m'a-t-il raconté. Ruiz s'occupe aussi de l'événement Bela Lugosi Is Dead – un des rares événements qui célèbrent la culture goth à Manaus.

Lúcio Ruiz

Lúcio était accompagné de sa femme, Cristiane, âgée de 28 ans. Quand ils se sont rencontrés, elle était danseuse de forró. Il lui a fallu un peu de temps avant d'adhérer au style de son mari. « À l'époque, je me disais que ce n'était pas fait pour moi, m'a-t-elle expliqué. Je trouvais ce style un peu triste, voire un brin stupide. On se disputait beaucoup avec Lúcio là-dessus, mais au final, j'ai fini par comprendre cette culture. »

Parmi les personnes que j'ai rencontrées, beaucoup d'entre elles ne se seraient jamais imaginées devenir gothiques. C'est là que j'ai réalisé qu'il fallait pas mal d'humilité pour être goth. « Je ne dirai pas que je me considère comme goth, mais je soutiens cette scène depuis 2000. Je n'arrive pas à croire que cela fait déjà 15 ans », a poursuivi Cristiane.

À tort, les gothiques de Manaus sont souvent considérés comme des personnes satanistes, attirées par la magie noire, les drogues et les meurtres. Lorsque j'ai cherché « goth » et « Manaus » sur Google, je suis tombé sur une pléthore de faits divers associant la sous-culture gothique à des meurtres et des rituels étranges. « Ces idées reçues nous ont causé pas mal de problèmes, aussi bien vis-à-vis de notre famille qu'avec les autres habitants de la ville. Dans une ville comme la nôtre, les gens peuvent être plein de préjugés », m'a déclaré Lúcio.

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« Personne ne semble comprendre que nous puissions être gothiques, tout en payant notre loyer et nos impôts. Ils ne comprennent pas le fait que nous soyons des gens normaux. Nous élevons nos enfants, nous travaillons et nous apportons notre contribution à la société. Nous ne devrions pas avoir à nous justifier. »

Luciana Silva

En plus des préjugés, il est aussi très difficile pour les gothiques de Manaus de composer avec l'humidité. Leur maquillage et leur coiffure ne résistent pas toujours.

Il a fallu trois ans à Lúcio pour s'habituer à porter son attirail sous la chaleur caniculaire de Manaus. « La chaleur est en opposition avec notre philosophie et notre style, qui tire ses origines d'un environnement bien plus froid, a-t-il détaillé. Mais on peut toujours s'en sortir. Il suffit juste de boire énormément d'eau. »

« La plupart de nos événements se déroulent en pleine nuit, quand il fait un peu plus frais. Ça nous permet d'enfiler des tenues un peu plus élaborées », m'a expliqué Valéria Smith, une amie de Lúcio.

Luciana Silva, une jeune femme portant un chapeau haut-de-forme sur ses cheveux bouclés, m'a dit qu'elle n'était pas si dérangée que ça par la chaleur. « Ça peut être très intense, mais c'est normal. Ça ne m'empêchera jamais de m'habiller comme je veux. »

Mais la situation n'est pas aussi simple que ça pour Cristiane. « Ma mère et mes sœurs détestent la culture goth. Elles trouvent ça vraiment étrange que je m'habille ainsi quand il fait aussi chaud. » Finalement, le climat de la ville fonctionne comme un système de sélection naturelle – qui permet de filtrer les personnes qui ne prendraient pas ce style de vie assez au sérieux. « Il faut vraiment embrasser notre culture et vouloir être un vrai gothique », m'a confié Lúcio.

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La sœur de Luciana, Luciana et Angel

Contrairement à São Paulo, où les gothiques ont un accès illimité à des vêtements et des accessoires, les goth de Manaus sont parfois contraints à se reconvertir en stylistes. Lúcio et Cristiane cherchent fréquemment des vêtements dans des friperies, quand ils ne sont pas trop occupés à customiser leurs propres habits.

Angel Lorrane, 21 ans, aime particulièrement faire ses propres tenues. « J'achète quelques vêtements, mais j'en fabrique aussi énormément. Je ne gagne pas ma vie avec ça, mais j'aime façonner mon propre style. »

Luciana, Angel, Murilo, Cristiane, Val Smith et la sœur de Luciana

La ville organise très peu de concerts d'EBM, de synth pop, de dark-wave ou de post-punk. Mais Lúcio m'a assuré que ses soirées étaient très fréquentées. « Nos fêtes attirent pas mal de gens, aussi bien issus de la scène punk que thrash ou black metal. Au début, tout le monde est un peu timide. Mais quand les gens se rendent compte que personne n'est là pour les juger, ils se laissent aller dès qu'on passe un peu de musique. Manaus a besoin d'une plus grande maturité musicale. Il faut que les habitants de cette ville comprennent qu'on a tous des goûts différents », a-t-il déclaré.

« J'aimerais conclure cette interview sur une citation de Lupicínio Rodriguez, a continué Lúcio."Certaines personnes choisissent de quitter le ciel parce qu'ils le trouvent trop sombre – du coup, elles cherchent la lumière des Enfers". C'est une citation très gothique, mais elle est en réalité issue d'une chanson samba des années 1950. Chacun sa manière d'interpréter une œuvre d'art. »