Un guide des armes anti-émeutes de la Police française

Des policiers en civil lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre Dame des Landes – Nantes, Février 2014. Sauf mention contraire, toutes les photos sont de l’auteur.

Les armes « non-létales » utilisées par la police et la gendarmerie pour le maintien de l’ordre défraient fréquemment la chronique lors des manifestations où elles sont employées. Par exemple, le flashball a déjà fait de nombreux borgnes et autres blessés – et l’État a même été condamné par la justice pour son utilisation. En réponse à la multiplication et l’intensité de ces armes, des militants ont développé tout un système de défensé basé sur l’information et le droit : des manuels diffusent notamment les méthodes pour se prémunir des poursuites judiciaires et des techniques pour se protéger des armes de la police.

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La plupart des équipements et des munitions des nos forces anti-émeutes sont « made in France », construites par les sociétés Alsetex, SAPL et Nobel Sécurité. Notre pays est un exportateur de ces compétences de « gestion des foules », ainsi qu’un centre de formation aux méthodes de maintien de l’ordre pour de nombreux officiers étrangers. L’expertise et les méthodes de nos bleus en matière de situations pré-insurrectionnelles est aussi bien connue des manifestants qui les craignent.

Pourtant, l’arsenal anti-émeute de la police française demeure méconnu du grand public. Grenades assourdissantes, munitions lacrymogènes à fragmentation, dispositifs balistiques de dispersion : voici une liste exhaustive des dispositifs utilisées par les forces de l’ordre dans les manifestations.

Un CRS protégeant un meeting FN contre des antifa à Saint-Aubin-du-Cormier – Octobre 2013

FLASH-BALL « SUPER PRO »
Le flash-ball est une arme de quatrième catégorie, officiellement entrée en service dans les forces de police en 2002 puis généralisée par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’intérieur. Doté d’un double canon de 44mm (le même calibre que celui des lances-grenades militaires) et d’une portée minimum d’utilisation de 7 mètres, cette arme est fabriquée par la société Verney-Carron à St-Etienne. Son projectile est une balle de 44mm pesant 28 grammes, d’une puissance de 200 joules à 2,5 mètres. Comme l’a révélé la publication des notes de service du ministère de l’intérieur par le site Owni, le flash-ball est en vérité utilisé depuis 1995 dans les services de la BAC, du GIPN, du BREC et de la BRI, mais à des conditions très strictes.

Claude Guéant était directeur général de la police nationale lorsqu’il signait cette note : « Attentif aux préoccupations des fonctionnaires engagés dans la lutte contre la criminalité, j’ai décidé de lever les restrictions concernant l’acquisition du flashball […] sous réserve que les conditions suivantes soient expressément respectés : […] N’utiliser le flashball que dans le cadre strict dans la légitime défense. En effet, les essais effectués on démontré que cette arme ne pouvait être qualifiée de non létale, en raison des lésions graves qu’elle est susceptible d’occasionner, en certaines circonstances ». Des associations se sont même crées pour recenser les victimes de tirs de flashballs, comme « Face aux armes de la police ».

Des munitions de LBD.

« LBD » (LANCEUR DE BALLES DE DEFENSE)
Cette nouvelle arme a été expérimentée sur le « terrain opérationnel » pour la première fois aux abords du village des manifestants du contre-sommet de l’Otan à Strasbourg en avril 2009. À la différence du flash-ball « Super Pro », le LBD est une arme de première catégorie dotée d’un canon de 40mm et d’une portée de 25 à 50m. Fabriqué par l’armurier suisse Brügger & Thomet, ce nouveau flashball remplace de plus en plus l’ancien modèle, au point de devenir aujourd’hui le plus répandu des deux. Il projette une « balle de défense à létalité réduite » de 40x46mm pesant 95 grammes.

Censés être inoffensifs lors d’une utilisation dans les jambes, les projectiles de flash-balls peuvent entraîner des blessures graves et définitives lorsqu’ils touchent un visage ou des organes vitaux. La munition du LBD est quant à elle fabriquée en France par la société Alsetex. On lui attribue de nombreuses blessures ayant entraîné la perte de l’usage de la vue, pour sa fâcheuse capacité à arracher les globes oculaires lors des impacts visant la tête des manifestants. Couplé au redoutable viseur de qualité militaire et à une puissance de feu qui impose un minimum de 25 mètres entre le tireur et sa cible, le LBD ne ressemble plus vraiment à une arme « non-létale » et son utilisation fait débat.

Un lanceur cougar en action. Photo via Wikimedia commons

LANCEURS « COUGAR » ET « CHOUKA »
Les cartouches des grenades lacrymogènes et assourdissantes peuvent être tirées à la main, ou via un lanceur qui va projeter la munition de 56mm à plusieurs distances programmables (50, 100 ou 200 mètres). Ces lanceurs qui peuvent tirer six à huit grenades par minute sont fabriqués – et exportés – par la société française Alsetex. Il s’agit d’armes de 4e catégories qui lancent aussi des munitions « fusées éclairantes ».

Le Cougar pèse plus de trois kilos et fait presque un mètre de long, c’est pourquoi il s’agit du lanceur de grenades le plus utilisée par les forces dédiées à l’anti-émeute comme les brigades de CRS ou de Gendarmes Mobiles. Le lanceur Chouka, qui pèse moins de 2kg et qui mesure à peine 40cm de long est réservé aux unités mobiles des Brigades anti-criminalités (BAC) ou aux policiers en civil.

Des douilles de grenades lacrymogènes ramassées par les zadistes à Testet – Septembre 2014

GAZ LACRYMOGENE CS (PULVERISATEUR ou GRENADE CM6/MP7/PLMP7C)
Le CS est le diminutif du « chlorobenzyzylidène malononitrile ». Cette molécule possède des effets irritants puissants qui peuvent survenir en moins de 10 à 30 secondes. Selon le « Guide toxicologique pour les urgences en santé environementale de l’institut national de santé publique du Québec », puisque les symptômes irritants sont produits à des concentrations d’au moins 2600 fois plus faibles que la concentration létale, la marge de sécurité est jugée assez importante pour que les effets incapacitants n’entraînent pas d’effets néfastes. Mais ils précisent aussi que « malgré la faible toxicité de cet agent anti-émeute moderne, le CS ne peut être considéré comme un produit sans risque ».

Le CS est une molécule inflammable en présence d’une source d’ignition, c’est pourquoi il se diffuse sous forme de fumée lorsqu’il est mélangé au phosphore dans une grenade lacrymogène. Sauf que « lorsque le CS est chauffé jusqu’à sa décomposition, il émet des fumées très toxiques de chlorure d’hydrogène, de cyanure d’hydrogène, d’oxydes d’azote et de monoxyde de carbone ». L’œil est l’organe le plus sensible au CS, suivi des voies respiratoires et de la peau. Une exposition à du CS fortement concentré ou l’ingestion d’aliments contaminés peut provoquer des nausées et des vomissements. Dans le cas des expositions excessives, un oedème pulmonaire peut se développer en 12 à 24 heures et des brûlures chimiques irréversibles peuvent apparaitre sur l’épithélium cornéen.

Un pulvérisateur de « poivre de Cayenne » – Notre Dame des Landes, Novembre 2012

GAZ LACRYMOGENE AU POIVRE (PULVÉRISATEUR)
Alors que le CS est utilisé contre les groupes, les pulvérisateurs d’oléorésine de capsicum – aussi appelé « poivre de cayenne » – sont utilisés contre les individus dans un rayon de 5 mètres. Cet agent anti-émeute provoque une irritation sévère mais temporaire des yeux, du nez, de la bouche et des voies respiratoires. Les atteintes graves à la santé restent rares mais des brûlures sont possibles dans certaines conditions d’utilisation.

L’oléorésine de capsicum est un mélange huileux de plus de 100 composés extraits de piments forts des espèces Capsicum Annuum et Capsicum Frutescens.  Les yeux sont les organes les plus sensible aux effets du Capsicum, mais il peut produire des effets sur le système digestif s’il est avalé. La plupart des effets disparaissent en général en 20 à 30 minutes.

GRENADE ASSOURDISSANTE (GLI F4)
Les grenades assourdissantes produisent une forte détonation (entre 160 et 170 décibels) et libèrent un nuage de gaz. Elles contiennent dix grammes de CS pur qui, à la différence des grenades lacrymogènes classiques, est libéré immédiatement et sous forme de poudre. L’effet sonore et le choc très intense qu’elle produit désoriente l’oreille interne des individus situés dans un rayon d’efficacité qui varie en fonction de la configuration des lieux (amplification des effets dans les espaces clos). En extérieur, l’explosion peut s’entendre à plusieurs kilomètres.

De nombreux blessés lors de « La Bataille de Notre Dame des Landes » en novembre 2012, l’ont été par des éclats produit par l’explosion de l’enveloppe en plastique de ces munitions, tel que l’a rapporté un médecin présent sur place dans une lettre ouverte au préfet de Loire-Atlantique. Ces « shrapnels » qui ont parfois la taille d’un ongle pénètrent la peau et vont jusqu’à perforer des organes, déchirer des muscles, sectionner des nerfs ou des tendons. L’intensité de l’explosion peut également provoquer la surdité par une rupture des tympans.

GRENADE DE DESENCERCLEMENT (DBD : DISPOSITIF BALISTIQUE DE DISPERSION)
Aussi appelée « dispositif manuel de protection » ou « grenade explosive », la grenade de désencerlement est une arme à fragmentation. Il s’agit d’un tube contenant huit gramme d’explosifs entouré de 18 projectiles en caoutchouc rigide pesant 9,3g chacun. L’effet sonore et de choc intense provoqué par l’explosion dépasse les 160 décibels, et la force cinétique des projectiles est encore de 80 joules à 15m (ce qui suffit pour briser une vitre). Fabriquée par Lacroix-Alsetex et SAPL, cette grenade est la plus redoutée des manifestants parce qu’elle a été conçue pour blesser.

Cette munition fait partie de l’arsenal de la police sur décision de Nicolas Sarkozy depuis 2004, alors qu’il était ministre de l’intérieur. Dans une note datant du 24 décembre 2004, le directeur central de la Sécurité publique stipule pourtant que « les dispositifs manuel de protection ne doivent être employés que dans un cadre d’autodéfense rapprochée et non pour le contrôle d’une foule à distance », mais encore une fois de nombreux témoignages font état d’une utilisation de cette grenade de façon excessive et hors du cadre légal par les forces anti-émeutes.

Photo via Wikimedia commons

TASER
Le taser est un pistolet à impulsion électrique en service dans la police et dans la gendarmerie ainsi que dans la police municipale depuis 2008. Les procédures d’utilisation sont définies par arrêté ministériel : « l’usage est fortement déconseillé sur les personnes cardiaques, femmes enceintes, personnes sous influence de stupéfiants ou imprégnés de liquide inflammable » et « formellement proscrit sur un conducteur d’un véhicule automobile en mouvement ».

Le taser propulse deux crochets à la vitesse de 50m par seconde et à une portée de 7,60m. Reliés à deux fils isolés, les électrodes viennent se planter au contact de la cible pour libérer des décharges de 50 000 volts à 2 milliampères. Le courant électrique bloque le système nerveux central jusqu’aux extrémités des fibres nerveuses, ce qui est affreusement douloureux. D’après Amnesty International, 500 personnes seraient décédées suite à une décharge de taser entre 2001 et 2012 aux États-Unis. Olivier Besancenot est la personnalité publique française à s’être le plus opposée à l’utilisation du taser, jusqu’à en être espionné par l’entreprise Taser qui sera condamné pour ces faits.

Un canon à eau déployé place du commerce à Nantes lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes – Février 2014

CANON À EAU
Le canon à eau est un véhicule blindé qui projette de l’eau à haute pression. Ils ne sont efficaces que sur quelques dizaines de mètres et nécessitent un important réservoir compte tenu d’un débit d’eau de 15 litres par seconde, certains transportant jusqu’à 8000 litres d’eau. Utilisés principalement à Paris et uniquement lors d’importantes émeutes en France, il sont employés à plus grande échelle en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, Irlande du Nord ainsi qu’aux États-Unis.

Considérée comme plutôt sûre pour une arme, les jets dirigés vers les visages peuvent avoir des conséquences élevées, et à courte distance il est possible que la pression de l’eau provoque des fractures. Les canons à eau les plus modernes sont capable d’ajouter des charges alternatives à l’eau du réservoir, comme du colorant ou carrément du gaz lacrymogène. Ils sont parfois utilisés pour éteindre et enfoncer des barricades enflammées.