Grace Banks a été trahie par la découverte du cadavre d’un jeune Cavalier King Charles dans le coffre de sa Mercedes blanche. Cette femme de 29 ans, originaire d’Oldham, a été au cœur de l’une des plus grandes enquêtes policières sur le marché noir des chiots au Royaume-Uni après que la police a perquisitionné sa maison en 2015. Cette version moderne de Cruella d’Enfer a finalement été inculpée pour des maltraitances sur plus de 1 000 chiots.
Grace et ses deux complices, Peter Jones et Julian King, ont amassé plus d’un million de livres en vendant des chiots malades à des clients crédules. Ils louaient des maisons bourgeoises pour présenter les chiens aux futurs maîtres et utilisaient des téléphones intraçables pour les différents élevages. Ils prenaient soin de faire parvenir une photo de la « mère » des chiots dans un cadre rose en forme de cœur. En réalité, ces chiots étaient transportés illégalement depuis des fermes d’élevage situées en Irlande et étaient enfermés pendant des heures, voire des jours, dans un entrepôt à Stockport. C’est dans cette ville que des employés de la RSPCA (Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals) ont retrouvé les cadavres de quatre yorkshires – l’un des corps ayant été jeté dans l’enclos d’un chien encore vivant.
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« Même si nous sommes intervenus à plusieurs reprises avec les forces de l’ordre, l’organisation a poursuivi son trafic », m’a précisé le chef de la RSPCA, Ian Briggs, qui enquête depuis quatre ans sur ce marché illégal. « Ce gang continue son activité car les sommes engagées sont absolument monstrueuses. »
Les événements survenus dans ce coin de l’Angleterre ne sont pas un cas isolé. La demande pour les chiots de race est insatiable. Les propriétaires veulent des carlins ou des bouledogues et alimentent ainsi un marché noir de plus de 100 millions de livres au Royaume-Uni.
Aujourd’hui, l’offre pour les chiots très prisés ne permet pas de répondre à la demande. L’élevage n’étant pas assez développé au Royaume-Uni, les gens se tournent vers des sites de petites annonces sur lesquels ils peuvent acheter un chien en quelques minutes.
Acheter un chiot à un éleveur professionnel peut vous coûter jusqu’à 2 000 livres – 2 236 euros – mais les trafiquants les font venir d’Europe de l’Est et d’Irlande pour un peu moins de 100 livres chacun – soit 111 euros. Après quoi, ils procèdent à la vente – sans les vaccins adéquats, ni les papiers, ni même de puce électronique – pour 450 livres, soit 503 euros. Les trafiquants peuvent facilement gagner près de 100 000 livres par an.
Des spécialistes ont comparé le marché des chiots à celui de la drogue. Ils sont tous les deux aussi lucratifs sauf que les peines encourues pour vente illégale de chiots sont dérisoires – la peine maximale pour maltraitance envers les animaux n’étant que de six mois au Royaume-Uni. Rien d’étonnant à ce que 100 organisations criminelles fassent partie du « cartel des chiots » à l’heure actuelle, selon la police britannique.
Des chiots saisis à la frontière puis placés dans un centre à Douvres
« Ils sont à la recherche d’un profit maximal et se fichent de la souffrance des animaux, précise Ian Briggs. Ils ne veulent surtout pas dépenser de l’argent pour des chiots qui ne font que passer entre leurs mains – et c’est là leur point faible, car les chiots tombent malades et sont signalés. »
Il n’y a qu’à prendre l’exemple du chiot de Rachel. Cette vendeuse de 26 ans, originaire d’Irlande du Nord, a acheté un terrier via une annonce postée sur Internet. Elle l’a récupéré au fond d’un van décrépit. « La mère était très maigre et rongée par les puces, précise-t-elle. Les chiots se trouvaient dans cette cage rouillée. Le premier que j’ai tenu entre mes mains avait beaucoup de mal à respirer. Ses yeux étaient infectés. Je me suis barrée rapidement. »
Une fois à la maison, Rachel a conduit le chiot, âgé de quatre semaines, chez un vétérinaire. On lui a alors dit que le chiot avait les pattes tordues à cause de la malnutrition mais qu’il était malgré tout en assez bonne santé. Le lendemain, les choses ont mal tourné.
« Il dormait beaucoup, se souvient Rachel. Il ne mangeait presque rien. Je l’ai trouvé caché derrière le canapé, baignant dans son urine parce que tous ses organes étaient en train de lâcher. Il pleurait de douleur. Quelques heures plus tard, je l’ai retrouvé raide mort. » Au final, Storm n’aura passé que cinq jours en compagnie de Rachel.
82 % des chiens de contrebande au Royaume-Uni sont des chiens de race, comme les teckels.
Un porte-parole de Gumtree, équivalent du Bon Coin outre-Manche, m’a précisé que le site prenait très au sérieux ce trafic. « Nous nous soumettons aux règles imposées par l’industrie du commerce en ligne afin d’assurer la santé des animaux. Dans un tel cas de figure, si vous soupçonnez quelque chose, il faut tout de suite dénoncer ces personnes auprès du site. »
Paula Boydon, vétérinaire et membre d’une association venant en aide aux chiens maltraités, affirme que l’essor de l’importation de chiots sur le territoire britannique est à mettre au crédit d’un changement de législation. Avant 2012, il était interdit d’importer un chiot de moins de six mois au Royaume-Uni. Par conséquent, les trafiquants ne s’emmerdaient pas à importer des chiens âgés, qui n’intéressaient pas les clients.
Une employée du centre de quarantaine de Douvres
Désormais, vous pouvez tout à fait importer cinq chiots âgés de 15 semaines si vous jurez sur l’honneur que vous ne les vendrez pas. Les contrebandiers, désireux de faire transiter de grandes quantités d’animaux, les cachent dans le coffre ou sous les sièges de leurs voitures. « Un jour, à Holyhead, au Pays de Galles, on a arrêté un van en provenance d’Irlande, se souvient Ian Briggs. Une fausse cloison située derrière le siège du conducteur dissimulait 23 chiots. La cloison ne tenait pas debout, ce qui a permis à un policier de voir un museau dépasser. »
Les découvertes de ce genre sont courantes à Douvres, ville portuaire s’il en est. Les services de la douane ont déjà retrouvé des yorkshires entassés dans un carton imbibé d’urine. Une autre fois, quatorze bouledogues ont été récupérés dans le coffre d’une voiture. Les enquêteurs m’ont précisé que les chiots importés illégalement ne reçoivent ni eau ni nourriture afin qu’ils ne salissent pas leur « environnement ». En été ou en hiver, certains meurent pendant le trajet à cause des températures extrêmes.
Cet interminable trajet a souvent lieu après des semaines de maltraitance dans des fermes animalières. Après avoir mené une enquête au long cours au sein des centres d’élevage de Lituanie et de Hongrie, Paula Boydon souligne que les chiots sont entassés et élevés dans des lieux infâmes avec la complicité de vétérinaires locaux qui falsifient les documents.
Les bouledogues français sont parmi les chiots les plus prisés.
« Dans ces centres, on a déjà retrouvé des chiots dans un placard sous un escalier, précise Paula Boydon. Ils ne pouvaient pas voir la lumière du jour. En plus, nous nous sommes aperçus qu’ils n’élevaient que des frères et sœurs. »
L’association a aussi découvert que les chiens de ces fermes n’étaient pas vaccinés. Ses experts précisent que ces chiots sont logiquement exposés à d’importants risques sanitaires et meurent souvent dans les semaines qui suivent leur achat. De plus, l’inceste pratiqué dans les élevages aggrave la situation – de nombreux chiens sont atteints de maladies génétiques.
Le personnel du centre de quarantaine de Douvres ne connait que trop bien ces chiots malades. Le centre garde les chiens arrivés illégalement sur le territoire britannique ou ceux qui n’ont pas les bons vaccins ou les bons papiers. Les autorités travaillent depuis quelques années en collaboration avec différentes associations pour permettre à tous ces chiens de retrouver une famille. Cela permet de pallier l’augmentation du nombre de chiots importés illégalement dans le pays. Pour donner un ordre d’idée, le centre de Douvres a connu cet été un pic important de saisies, puisqu’il comptait pas moins de 60 chiots.
Lorsque j’ai visité le refuge au mois de septembre, j’ai croisé deux petits teckels, prénommés Teeny et Tiny, élevés en Lettonie. Ils pouvaient encore tenir dans le creux de la main lorsqu’ils ont été importés au Royaume-Uni. Enfermés dans leur cage depuis cinq semaines car non vaccinés contre la rage, ils semblaient effrayés.
Ce teckel a été importé illégalement depuis une ferme d’élevage située à Lettonie.
« Ce qu’ils ont vécu est vraiment, vraiment traumatisant », me confie Rebecca Thomas, qui travaille pour Dogs Trust, une association basée à Douvres. En compagnie de son équipe, elle vient en aide aux chiots en quarantaine. Elle passe plus d’une heure par jour à jouer avec eux en prenant soin de se désinfecter à chaque entrée et sortie des enclos. « Ils viennent d’un élevage et ne sont pas habitués aux contacts humains. Tout cela est très effrayant pour eux. »
Si les traumatismes sont importants pour les chiens, les peines contre les trafiquants demeurent minimes. Les propriétaires des chiots croisés à Douvres n’ont jamais été condamnés. Ceux qui le sont dans le pays n’encourent qu’une peine pour mauvais traitements envers les animaux. « Ils ne prennent que trois mois, affirme Ian Briggs. Ça ne veut rien dire pour eux. Ils suspendent leurs activités pendant ce court laps de temps puis recommencent dès leur sortie. »
Il poursuit : « C’est dans un tel cas de figure que nous les attaquons pour escroquerie. On leur reproche de vendre des chiots qui ne sont pas de race, qui viennent de fermes situées en Europe de l’Est, ce qu’ils ne précisent jamais. De telles accusations peuvent leur valoir dix ans de prison. »
De son côté, Grace Banks a été condamnée à cinq mois de taule lors de sa première arrestation en 2015 té. Elle a de nouveau été arrêtée quelques mois plus tard. De retour devant le tribunal cet été, elle a été reconnue coupable de cruauté animale mais aussi d’escroquerie. Elle a ainsi écopé d’une peine de neuf mois d’emprisonnement et d’une amende de 505 000 livres. À l’heure actuelle, elle n’a payé que 9 000 livres.