La semaine dernière, vous avez sans doute attrapé sur les réseaux la bande-annonce extraordinaire d’Alien Crystal Palace, nouveau film de la paire médiatico-musicale Arielle Dombasle et Nicolas Ker. La première est derrière la caméra, le second devant ; les deux ont co-signé le scénario.
Le film est décrit par sa réalisatrice comme un film « tout public, de genre, un peu lynchéen. Il y a des femmes nues, des sous-marins, des fantômes. Pas un film frivole, mais flamboyant, burlesque. » Si l’on en croit les premiers retours du festival du film francophone d’Angoulême, où il vient d’être présenté, le film est plutôt un non-sens complet, une accumulation de scènes grotesques où on croise Jean-Pierre Léaud déguisé en corbeau et où Michel Fau joue un savant fou qui tente de trouver l’elixir parfait « pour créer un parfait androgyne ». Mais s’il se présente comme une « tragédie musicale », nage-t-il pour autant dans les mêmes eaux que ses glorieux ancêtres ? Pour y voir plus clair, on a distingué cinq types de nanar français en milieu musical, pour voir si Alien Crystal Palace pouvait rentrer dans une de ces catégories.
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Le biopic musical édifiant (marche aussi avec le « drame populaire »)
Ce sont des films qui, en général, sentent à la fois le tabac froid (déjà un bon point pour la comparaison) et les couches de vernis ripolinées (pas nécessairement dans cet ordre), ont souvent un budget conséquent (mauvais point sur ce coup), regardent la-France-d’en-bas avec tendresse mais surtout de haut, façon Gérard Depardieu en chanteur de restoroute auvergnat dans Quand j’étais chanteur.
Le répertoire puise souvent dans le pot commun de la variété à tata Claudine, de Christophe à Michel Delpech en passant par Dalida, Mike Brant ou Claude François (école Podium, ou plus directement, Cloclo), dans lequel des acteurs vedette se plongent dans des formes « impures » (comprendre : populo) pour se sublimer et faire semblant de savoir ce dont ils parlent. Ces longs métrages, en forme de gros soufflés au fromage sur-subventionnés et surproduits (par le CNC, la région ile de France, Studio Canal, les crédits d’impôt, la RATP, l’Amicale des petits chanteurs à la croix de bois), retombent dès que le film sort en salles – si jamais il fait des entrées, ce qui n’est, comble de l’ironie, pas gagné. Un phénomène de baudruche qui semble être à peu près l’exact inverse d’Alien Crystal Palace, qui, lui, ne semble viser aucune rentabilité financière et semble avoir implosé dès sa conception.
Potentiel de compatibilité : 6%. S’il y a bien un Michel Fau en roue libre, un Jean-Pierre Léaud visiblement à la ramasse complète et une Asia Argento qui passe dire bonjour, les stars ne semblent pas vouloir se donner de la superbe ici. Les éructations de Nicolas Ker entraperçues dans la bande-annonce ont tout de même un petit air de famille avec celles de Marion Cotillard à la fin de La Môme. Ça fait peur.
Le film « pédagogique » (en réalité « clip promotionnel »)
C’est à peu près aussi pénible que la première entrée et ça met tout le monde aussi mal à l’aise. Par exemple, dans Alive, un Richard Anconina cachetonneur comme jamais, apprend à se nourrir de ses propres démons (son divorce, son passage à vide) pour monter un spectacle musical et (re)croire aux vertus humanistes de l’amateurisme (cynisme pépouze : le film est distribué par TF1, et est une publicité à peine déguisée pour la Star Academy).
C’est à peu près la même chose dans Bouge !, le-film-de-la-génération-hit-machine, dans lequel on nous apprend que rap et techno peuvent être, contrairement aux apparences, de sacrés compagnons de route. À l’image d’Alive, ce n’est pas vraiment un film, plutôt un long clip promotionnel produit par M6 avec Ophélie Winter et Samy Nacéri, et qui masque sa salade en prodiguant de vraies valeurs comme l’entraide et l’amitié. Or, on sait bien que la musique comme pédagogie, ça donne les pires résultats possibles – surtout quand c’est pour déguiser un clip promotionnel atroce, on a pu le voir dans un autre genre à l’université d’été du MEDEF.
Potentiel de compatibilité : 0%. Visiblement (et heureusement), personne ne semble vouloir nous vendre ni nous apprendre quoi que ce soit dans Alien Crystal Palace.
Le film « rock » (avec des guitares ou de la drogue dedans – parfois les deux)
Le film « rock » à la française se divise en deux catégories. D’une part, il y a le film âpre, amer, avec de la drogue dedans, du type Les Jolies Choses ou Héroïnes, dans lequel Virginie Ledoyen joue une jeune chanteuse ingénue qui tombe dans le piège des paillettes et du showbiz (avec un savoureux cocktail d’héroïne, de trahisons et de mort à la fin).
D’autre part, il y a ceux qui ne partent pas du rock comme état d’esprit (à l’image de… Rock’N’Roll de Guillaume Canet, justement), mais de la musique en tant que telle, comme Bus Palladium, film générationnel qui surfe plus ou moins sur la vague des bébés rockeurs des années 2000. De ces truites cinématographiques, il n’y a pas grand-chose à retenir, si ce n’est qu’ils fonctionnent comme des photographies (volontaires ou non) de leur époque, à l’image de LOL, petite sucrerie sarkozyste qui laisse, rétrospectivement, un goût pas très agréable en bouche.
Potentiel de compatibilité : 26%. Il y aura à coup sûr un état d’esprit rock dans Alien Crystal Palace, si l’en croit la seule présence devant la caméra (et au scénario) de Nicolas Ker, rockeur devant l’éternel de Poni Hoax. Mais vu qu’on y trouvera aussi des danseuses exotiques, des expériences scientifico-ésotériques et des sous-marins nucléaires, restons tout de même prudent.
La comédie musicale (réactivée en bonne et due forme)
Au milieu des années 2000, le cinéma français a connu une petite parenthèse enchantée, où, faute d’inspiration, il a demandé à ses personnages de chanter. Pendant cauchemardesque de Jeanne et le Garçon Formidable et des Parapluies de Cherbourg, on ne baignait alors pas vraiment dans un revival Jacques Demy, mais plutôt dans une sorte de prototype monstre, pas très identifié, où d’un seul coup, Mélanie Doutey pouvait se mettre à chanter du Gilbert Montagné sans que cela ne serve absolument en rien le film – et on ne parle même pas des chorégraphies.
Potentiel de compatibilité : 0%, a priori, personne ne va se mettre à pousser inopinément la chansonnette au milieu d’une scène, et c’est bien dommage.
Les films avec Benjamin Biolay (et autres marmonneurs)
C’est un cas un peu à part, mais qui fonctionne tout de même ici. En général, lorsqu’on engage un chanteur dans un film, on s’attend à un peu de folie et de musicalité, en même temps qu’un atout glamour. Mais là où intervient un moment de grâce insoupçonné, c’est lorsque Benjamin Biolay passe devant la caméra. Il joue comme il chante, c’est-à-dire d’une voix trainante, affectée sans avoir l’air d’y toucher, un peu monotone, un peu dandy, qui confère à elle seule la musicalité des films dans lesquels il joue, et qui en constitue donc sa propre catégorie, qu’on appellera le « Benjamin Biolay movie » (le « BB joint », dirait sûrement Spike Lee).
À ce titre, signalons cette petite pépite qu’est Doutes (avec, comble du bonheur, un immense Christophe Barbier), joute verbale politique d’1h30 avec des dialogues impayables du type « Quand tu me regardes, tu trouves pas que je ressemble à un canton suisse ? », déclamés tout du long du film de manière mécanique et pas du tout naturelle. De la musique répétitive, en somme.
Potentiel de compatibilité : 13%. Pour l’autofiction et le jeu « en pointillé », la diction si particulière de Nicolas Ker, entre gargouillis et marmonnements – une musicalité à elle seule. Mais ça reste, encore une fois, bien maigre.
Verdict prévisionnel…
Mis à part un certain « esprit rock » (et « baroque », donc), un jeu approximatif et de la musique atroce, Alien Crystal Palace ne ressemblera visiblement à aucune des perles musicales françaises suscitées. Mais bel et bien, ce qui est encore bien plus terrifiant/excitant, à un film d’écrivain : car s’il vise sans doute le faste et le stupre des films de Peter Greenaway, il y a fort à parier qu’il tombe plutôt en plein Michel Houellebecq ou Bernard-Henri Lévy. Et rien que pour la perspective de tomber sur un nouveau Le jour et la nuit ou La possibilité d’une île, c’est déjà pas mal. Ça dépasse peut-être même les espérances.