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Je sers de la viande de cheval dans mon restaurant – et alors ?

En mai dernier, j’ai cuisiné chez Cure à Pittsburgh avec le chef Justin Severino. On avait eu l’idée d’organiser un repas traditionnel québécois. Après mûre réflexion, j’avais décidé de faire un truc à base de cheval.

Pour moi, c’était une évidence. Je n’avais pas envie de pousser le bouchon trop loin, simplement de faire un des grands classiques de la cuisine québécoise. Je voulais faire un plat qui ait du goût et qui ne mette pas Justin mal à l’aise.

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J’ai donc choisi de préparer un tartare de cheval. Un de mes souvenirs d’enfance préférés c’est la France – où l’on prépare le cheval en tartare assez régulièrement. Une viande maigre et super tendre qui a un goût délicieux. Ce n’est pas trop giboyeux non plus.

Je pense même que c’est la meilleure façon de mettre en valeur la viande. Il n’y a pas de masque ou de dissimulation – elle apparaît sous sa forme la plus authentique. Comme le cheval est une viande qui n’a pas une saveur trop forte, vous pouvez ajouter un assaisonnement pour la faire briller. Du coup, j’ai ajouté un jaune d’œuf cuit, une mayonnaise à l’ail noir, et des chips de sel et de vinaigre.

Le dîner s’est très bien passé. Mais le lendemain, alors que les chefs m’emmenaient faire un tour de Pittsburgh, les attachés de presse ont commencé à publier des photos du repas.

Le dîner s’est très bien passé. Mais le lendemain, alors que les chefs m’emmenaient faire un tour de Pittsburgh, les attachés de presse de Justin ont commencé à publier des photos du repas – dont une du tartare de cheval. Et sur Facebook, ça ne s’est pas très bien passé.

Au début, il n’y avait qu’une personne qui trouvait la photo « offensante ». Ensuite, cette personne a commencé à taguer sur la publication des amis qui pensaient aussi qu’elle était « offensante ». Résultat, un effet boule de neige et une situation qui dégénère totalement. On a même reçu un appel alarmiste des attachés de presse disant que les gens devenaient fous.

Le plat du Vivian a essuyé quelques critiques sur Facebook.

Manger du cheval (au restaurant) est une pratique assez récente aux États-Unis. Elle n’est devenue légale qu’il y a environ trois ou quatre ans. Il n’y a toujours pas de canal de distribution approprié et ce n’est pas quelque chose que les clients ont l’habitude de voir. En Europe et même au Canada, c’est plus accessible depuis longtemps puisque les restaurants en servent depuis perpet’.

Quand on en vient à la consommation de viande animale, il y a toujours l’élément « émotion ». Comme quand les gens qui s’opposent à la consommation de viande de phoque affichent uniquement des photos de phoques mignons avec de grands yeux bien ronds. Ils utilisent cette méthode pour toucher les gens au plus profond de leurs émotions et d’une forme de nostalgie, j’imagine. Les chevaux sont en plus des animaux domestiqués. Les gens qui en possèdent et qui les montent ont ce lien émotionnel direct, et je le comprends.

En tant que chef et amoureux des animaux, la partie que je ne comprends pas, c’est que les porcs sont aussi très mignons, tout comme les poulets – en tout cas de mon point de vue.

Ce qu’ils ne comprennent pas ou ne veulent pas entendre, c’est que, comme toutes les viandes qu’on sert au restau, on s’approvisionne de façon durable.

Je pense qu’il y a un manque d’éducation sur la viande de cheval. Une fois que les gens ont commencé à s’énerver en ligne, j’ai lu des choses sur les injections et les antibiotiques qu’on file parfois aux chevaux. Ce qu’ils ne comprennent pas ou ne veulent pas entendre, c’est que, comme toutes les viandes qu’on sert au restau, on s’approvisionne de façon durable. Évidemment, les vieux chevaux de course ne sont pas aptes à la consommation. Comme les vaches, les porcs et les poulets qu’on achète, les chevaux ne reçoivent ni hormones ni antibiotiques.

Le plus gros problème ici, c’est surtout l’industrialisation de la consommation de viande animale. Je ne sais pas quelles sont les habitudes alimentaires des gens qui ont gueulé à cause du plat servi chez Cure, mais il y a de fortes chances pour qu’ils achètent en magasin de la merde qu’ils ne devraient pas manger à en croire leur éthique. Je pense que cette réaction instinctive se situe avant tout au niveau émotionnel plutôt qu’au niveau développement durable.

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Si un animal meurt, ma responsabilité c’est de m’assurer qu’il est servi et consommé. Pas gaspillé et jeté. C’est la philosophie sous-jacente que l’on suit quand on achète de la viande et qu’on la sert chez Beast. On a fait inspecter par le gouvernement fédéral la viande de phoque qu’on reçoit du Québec. J’ai cuisiné des phoques au Mallard Cottage à Terre-Neuve où j’ai même fait des visites d’usines de transformation de viande de phoque. J’ai pris des cours pour devenir un chasseur de phoque certifié au niveau novice. Toutes ces choses m’intéressent. Et quand vous vivez dans un pays qui a l’esprit assez ouvert pour encourager la préparation de la bouffe de cette façon et en facilite l’accès, il me paraît plutôt logique d’utiliser cette liberté.

J’ai aussi cuisiné du castor et du lièvre sauvage. Quelle que soit la viande disponible, on aime la manger et la partager avec les clients qui viennent chez Beast. C’est clairement la définition du restau et notre philosophie.


Scott Vivian est le chef-propriétaire du restaurant Beast à Toronto. Sa cuisine se concentre notamment sur un approvisionnement en circuit court ainsi que la découpe et la cuisson d’animaux entiers.