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Droits télé du foot : « les prix des places ne doivent plus augmenter ! »

Pour l’économiste du sport Pierre Rondeau, il est essentiel que les supporters profitent (eux aussi) de la hausse spectaculaire des droits de diffusion de la Ligue 1. Interview.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo : Jeff Pachoud / AFP 

En début de semaine, le football français a vécu une petite révolution lorsque les droits télé de la Ligue 1 (2020-2024) ont été attribués pour plus d’un milliard d’euros par saison – une première pour un championnat qui se traîne un peu derrière l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Les responsables de la Ligue de football professionnel (LFP) et les présidents de clubs de l’élite se sont alors félicités de cet afflux financier, qui devrait permettre au football français de « rattraper une partie de son retard », selon Jacques-Henri Eyraud, le président de l’Olympique de Marseille.

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Mais rien n’est moins sûr, selon Pierre Rondeau, économiste du sport et co-auteur de Le foot va-t-il exploser ? (Éditions de l’Aube), si l’on se fit aux précédentes revalorisations des droits de la L1. Partisan d’un football plus régulé, Rondeau multiplie depuis plusieurs années des propositions innovantes comme une taxe sur les transferts de joueurs, une redistribution égalitaire (et non pas équitable) des droits TV ou encore la mise en place d’un plafond salarial. Pour discuter des possibles conséquences de cette arrivée de cash sur la Ligue 1, on a passé un coup de fil à cet ardent défenseur d’un football populaire.

VICE : Faut-il vraiment se réjouir de dépasser cette fameuse barre du milliard d’euros ?
Pierre Rondeau : Je suis très content que le football français aille bien et soit suffisamment connu pour prétendre à dépasser le milliard d’euros. Mais il faut voir où on va aller avec ce milliard. Déjà, ce n’est pas parce que les droits augmentent considérablement que l’on va avoir une augmentation considérable des investissements sportifs et structurels (comme la rénovation et la modernisation des centres d’entraînements, de formation et des stades). On va peut-être simplement avoir comme en 2005 [année d’une importante revalorisation des droits TV] une inflation des salaires des joueurs. L’histoire nous montre donc que quand des clubs ont eu des millions en plus, ils n’ont pas forcément fait de bonnes dépenses. On peut donc s’inquiéter de ce qu’on va faire avec cet argent.

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A l’époque, pourquoi la Ligue 1 n’a pas su bien utilisé cette nouvelle manne financière ?
Il faut sans doute se pencher sur la formation des dirigeants de l’époque des clubs français. Ils n’étaient pas forcément les mieux à même de gérer cet afflux financier. Quand les millions sont arrivés, en 2004-2005, ils n’ont pas eu la logique économico-sportive de faire des investissements pérennes et durables. Ils ont simplement augmenté les salaires des joueurs ! Du coup, malgré cet apport financier important, on n’a pas constaté de renforcement de la compétitivité globale du foot français. Mais justement, grâce à l’expérience de cet échec, les choses pourraient être différentes pour 2020.

Outre la question des clubs, on peut aussi s’interroger sur l’intérêt pour des diffuseurs de mettre autant d’argent dans les droits de la Ligue 1…
Les diffuseurs « historiques », Canal + et BeIn Sports, ont eu du mal à avoir un retour sur investissements. Par exemple, BeIn Sports, créée en 2011, a entre 3 et 4 millions d’abonnés et a déjà accumulé une dette d’un milliard d’euros. Donc, on se demande comment un quatrième opérateur (Mediapro) va faire pour rentrer dans ses frais avec la seule attractivité du football français. En dépensant 700 millions d’euros, pour qu’une chaîne soit à l’équilibre, il faut 7 millions d’abonnés qui payent chacun 15 euros par mois. Croire que l’on va capter un si grand nombre d’abonnés sur le seul football français est extrêmement risqué. Quand on prend les audiences des matchs de Ligue 1 diffusés parfois en clair, c’est 2 ou 3 millions de téléspectateurs maximum.

Entre l’augmentation des droits TV et l’inflation du prix des places, la France semble se calquer sur le modèle de la Premier League anglaise, célébrée pour sa compétitivité. Est-ce une évolution inévitable ?
En réalité il y a d’autres modèles à suivre - comme celui de l’Allemagne, qui est totalement pérenne. Les stades allemands sont les plus pleins des cinq grands championnats européens et ils n’ont pas non plus cette « télédépendance » à la française ou à l’anglaise, où le budget des clubs dépend majoritairement des droits TV. Les clubs allemands ont un modèle économique qui ne se base pas sur les droits TV et ils garantissent une attractivité de la billetterie en pratiquant une tarification convenable et attractive. Et cela marche ! Ils arrivent à engranger de l’argent. En Bundesliga, 16 clubs sur 18 ont eu des marges bénéficiaires cette saison. En France, on a une dette accumulée de 200 millions d’euros. Ce modèle alternatif existe donc, mais rappelons que culturellement, l’Allemagne a un engouement précis et particulier pour le football, ce qu’on n’a pas en France, où on a un public de spectateurs et non de supporters.

Justement, qu’est-ce que cette renégociation des droits signifie pour les fans de foot ?
L’arrivée d’un quatrième opérateur revient à dire aux fans de foot européen que s’ils veulent suivre tous les matchs, ils vont devoir souscrire à 4 abonnements, donc 60-70 euros par mois. Est-ce qu’on ne va pas voir se développer encore plus le streaming illégal, le partage des connexions ou le partage des abonnements, a diffusion des matchs dans les bars ?

Pour que les fans de foot s’y retrouvent quelque peu, vous proposez donc que le prix des places n’augmente plus…
Entre 2002 et 2016, le taux de croissance moyen du prix des places en Ligue 1 est de 7 % par an. Donc, si les clubs voient leurs budgets augmenter de 60 pour cent dès 2020 grâce aux droits télés, luttons contre cette gentrification du football français ! Pour maintenir une mixité dans le stade, les prix des places ne doivent plus augmenter jusqu’en 2024. Cela permettrait que le foot reste un sport populaire, au sens où toutes les classes sociales sont présentes au stade.

N’est-ce pas trop dur de prêcher cette parole dans un milieu aussi conservateur que le football ?
Moi, ça m’amuse. C’est le jeu du débat. Je suis d’obédience socialiste, les gens le savent, mais je ne suis pas idéologue. Notre bouquin a été envoyé à l’ensemble des parlementaires français, sauf ceux du FN, et je serai très content de débattre avec des parlementaires. Qu’on soit de droite ou de gauche, je m’en fous, je veux qu'on protège le football.