Dans l’imaginaire collectif, Attac est l’association des profs d’éco : une réunion d’intellos à barbe et veste en tweed phosphorant sur l’échec programmé du libéralisme. Elle s’est créée il y a tout juste vingt ans autour d’une idée à l’époque révolutionnaire : la taxe Tobin. Le concept ? Prélever 0,1 % des milliards de dollars engrangés quotidiennement sur les marchés financiers… et les redistribuer aux plus démunis.
Vingt ans plus tard, que reste-t-il de ces idéaux ? Les combats d’Attac – la lutte contre l’ultra libéralisme, l’évasion et la fraude fiscale, est devenue mainstream. Et l’on avait l’impression que l’âge des militants augmentait à mesure que ces idées se diffusaient dans la société.
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Rien n’est plus faux. Lorsqu’on a pointé une tête ce week-end à la fête donné à la Bellevilloise pour célébrer les vingt ans d’Attac, on a été surpris d’y voir de nombreux jeunes. Parmi eux, des militants actifs, adeptes des actions coups de poing, et bien décidés à dépoussiérer l’image de l’asso. Alors quand on leur a demandé si ça n’était pas ultra-ringard, en 2018, de militer à Attac, ils ont souri – et entrepris de nous convaincre du contraire.
Luc Lagniau, 23 ans, salarié dans le milieu associatif, Grenoble
« Comme Kery James, je pense que plus le combat est grand, plus la victoire est immense »
Attac a toujours prôné la non-violence dans ses actions. Est–ce que, dans le contexte actuel, cette philosophie vous paraît toujours efficace ?
Ce que fait Greenpeace à son niveau, ou ce que faisait Act-Up en son temps, permet en effet d’être davantage entendu. Mais est-ce que ces actions très médiatiques ne cachent pas un peu trop les autres luttes ? Bien sûr, il faut des militants capables de mener des actions d’urgence, mais cela ne peut être généralisé car, justement, cela peut vite devenir contre-productif. Et puis, ces actions radicales ne servent à rien si elles ne sont pas menées dans le cadre d’une véritable réflexion.
Que rôle joue internet dans la diffusion des combats menés par Attac ?
Bien sûr, internet a permis d’élargir le débat citoyen mais il a aussi créé de grosses entreprises générant énormément d’argent. Qui n’est absolument pas redistribué ! Bref, n’oublions pas qu’internet est un marché comme les autres.
Le combat continue, donc ?
C’est important de faire avancer les choses, même à un petit niveau. Kery James disait dans une chanson que « plus le combat est grand, plus la victoire est immense ». Moi aussi, je pense comme ça. Si un jour nous arrivons à rendre ce monde un peu meilleur, ce sera déjà une immense victoire.
Arthur Lauvergnier, 24 ans, responsable d’une coopérative pour les jeunes, Paris
« On met en œuvre des actions coups de poings, radicales, populaires et créatives »
À quel moment avez-vous rejoint Attac ?
Lors de la Cop21. C’est le combat écologique qui m’a conduit à Attac. Aujourd’hui, je fais partie du groupe « Action ». Notre mission consiste à mettre en œuvre des actions coup de poing, radicales, populaires et créatives. Nous avons notamment occupé des magasins Apple. Ou lancé une campagne baptisée « les faucheurs de chaises ». Nous réquisitionnons les chaises dans les banques dans l’idée de reprendre – symboliquement – une partie de l’argent qu’elles nous piquent.
Dans l’imaginaire collectif, Attac est plutôt l’association des profs d’éco… Comment s’articulent ces actions et la réflexion théorique ?
La grande force d’Attac est justement d’associer la dimension intellectuelle – le travail, essentiel, mené avec des économistes et des sociologues – et des modes d’action démocratiques que tous les citoyens peuvent s’approprier.
Est-ce qu’en 2018, les jeunes sont plus sensibles aux combats d’Attac qu’en 1998 ?
Il y a vingt ans, personne ne parlait d’évasion fiscale : aujourd’hui, les jeunes sont au courant de ces problèmes. Attac a eu un rôle important pour populariser ces problématiques. Mais il y a aussi les réseaux sociaux et les médias qui ont beaucoup aidé à ce que notre message prenne de l’ampleur et ne puisse plus être ignoré.
Cécile Hanff, 23 ans, étudiante en philosophie politique, Toulouse
« Construire la démocratie à des échelles plus locales »
Qu’est ce qui vous a amené à pousser la porte d’Attac ?
Je militais dans une association écolo, anticapitaliste et autogérée. J’ai participé à une action de fauchage de chaises organisée par Attac et j’ai fini par les rejoindre. C’est la campagne contre Apple qui m’a définitivement décidée à m’investir.
Quel est le bilan de l’action d’Attac depuis 20 ans ?
Beaucoup de choses ont changé, bien sûr. Mais d’un autre côté, la loi sur le secret des affaires vient de passer et c’est une telle régression ! Attac a permis de sensibiliser l’opinion, mais beaucoup de choses restent à faire.
Et le combat pour imposer la taxe Tobin ?
C’était notre combat initial mais son issue semble vraiment lointaine. Quand nous avons mené le combat contre Apple, nous étions sur du concret. Sur ce point, notre mot d’ordre est simple : nous voulons que l’évasion fiscale soit punie et que l’optimisation fiscale soit rendue illégale. Il y a beaucoup de chemin à parcourir jusqu’à la taxe Tobin. Mais ça reste un but.
Qu’est ce qui manque aujourd’hui pour que le combat soit gagné ?
Il faudrait une vraie démocratie. Donc ça implique un changement de constitution, ainsi qu’une modification en profondeur de la représentation nationale, qui ne représente presque plus personne, et donc du mode de scrutin. Il faut réfléchir à construire la démocratie à des échelles plus locales.
Alice Picard, 25 ans, doctorante en sciences politiques, Rennes
« Notre mission ? L’action d’éducation citoyenne »
Quel regard portez-vous les actions menées par les militants d’Attac ces vingt dernières années ?
Ils ont largement sensibilisé l’opinion publique : aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer nos revendications. Et c’est une grande victoire. Tout récemment, nous avons gagné le procès qu’Apple nous avait intenté. La justice n’a pas donné suite à la plainte et nos actions ont été reconnues d’utilité publique. C’est notre grand combat – et il est plus que jamais d’actualité : les multinationales ayant une activité en France doivent y payer des impôts ! Pourquoi Apple ne paiera pas d’impôt ? Pourquoi ?
Quels sont les grands combats à mener dans les vingt prochaines années ?
Ce qui nous manque, c’est un effet de masse. Mais nous allons y arriver : grâce aux réseaux sociaux, nous touchons beaucoup plus de monde qu’à la naissance de l’asso. Notre rôle est de continuer à vulgariser les grands thèmes économiques auprès de la population. C’est une action d’éducation citoyenne.
Êtes-vous optimiste ?
Oui, mais il faudrait que nous arrivions à faire davantage converger les luttes – et les gens. Notre but est que les citoyens puissent s’autodéterminer. Nous sommes chacun et chacune en mesure de choisir ce qui est le meilleur pour nous-même. La prise de conscience collective doit nous amener à pouvoir nous autodéterminer collectivement et en solidarité avec le peuple.
Guillaume Erceau, 19 ans, étudiant en sociologie, Nantes
« C’est Attac qui a rendu visible la question de l’évasion fiscale »
Qu’est-ce qui vous a séduit chez Attac ?
Attac balaye un champ d’action très large : politique, économique, démocratique, social, environnemental… C’est un lieu de débat très riche. Nous avons à la fois une réflexion – via les documents que nous produisons – et une réelle action sur le terrain. On peut aussi bien intervenir dans des conférences qu’agir dans la rue. Nous faisons des actions non violentes pour sensibiliser les gens.
En vingt ans, la question de la fraude fiscale a pris une place plus importante dans le débat public. Que reste-t-il encore à faire ?
Effectivement, on voit enfin des personnes devant les tribunaux ! Mais les condamnations ne suivent pas vraiment… Preuve qu’il y a encore beaucoup de travail à faire ! Ce qui a changé, c’est la prise de conscience citoyenne : aujourd’hui, la question est devenue centrale. C’est le travail mené par Attac qui a permis de rendre visible cette problématique.
Pendant la campagne, Emmanuel Macron avait promis de s’attaquer à la fraude fiscale. Quel regard portez-vous sur son action ?
Un projet de loi est en préparation mais… les actes ne sont toujours pas là. Macron parle des milliards qui manquent à la France, mais il les redistribue aux plus riches ! Alors que, bien au contraire, il faut utiliser l’argent des paradis fiscaux pour amorcer la transition écologique et sociale dont le monde a besoin.