Non, la programmation ne sauvera pas la France
Illustration : François Dettwiller

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Reality check

Non, la programmation ne sauvera pas la France

Ouvrir des centaines d’écoles de développeurs ne nous délivrera pas du chômage de masse. Surtout pas avec des formations de trois mois.

Sur le papier, l’équation est parfaite : la France a un énorme taux de chômage. Et aussi un énorme besoin de développeurs. Transformons donc les chômeurs en développeurs ! Partant de là, Manuel Valls a lancé en 2015 le label Grande École du Numérique (GEN) et subventionné la création de dizaines d’écoles de programmation, sur le modèle de celle fondée deux ans plus tôt par Xavier Niel – la désormais célèbre « Ecole 42 ».

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Les intentions gouvernementales étaient louables. Et même franchement sociales puisque ce label promettait que 80 % des élèves auraient un niveau inférieur ou égal au Bac, que 30 % d’entre eux seraient des femmes et que 30 % des écoles seraient installées dans des quartiers défavorisés. Mieux encore, les formations devaient être gratuites pour les personnes peu ou pas qualifiées, en recherche d’emploi. Trois ans après ce lancement en fanfare, qu’en est-il réellement ?

Le premier problème, c’est que même avec toute la bonne volonté du monde, créer un écosystème d’écoles capables de former des milliers de travailleurs efficaces chaque année prend du temps. Le second, c’est que lorsque que l’on a une enveloppe de 37 millions d’euros pour la seule session de validation 2018 et que l’on ne demande qu’un minimum de 200 heures d’enseignement par session et un minimum de dix élèves, on attire les vautours. « Pour une fois, ils ont essayé de changer de méthode : au lieu de se lancer dans plusieurs années d’audit, ils ont très rapidement mis des moyens financiers à disposition », analyse Jérôme*, membre de l’équipe pédagogique d’une des « vraies » écoles labellisées - sous couvert d’anonymat. Il poursuit : « Le souci c’est qu’à chaque petit champignon, à chaque nouvelle microstructure qui est ouverte, boum, tu prends 70 000 euros. D’où cet essaimage, tous ces réseaux que l’on voit se développer à travers le pays. Mais surtout, si toutes ces écoles font ce choix des formations courtes, c’est parce qu’il y a une certaine somme attribuée pour les formations de trois mois ou plus, une autre pour celles de six mois ou plus et ensuite ça n’augmente plus, quelle que soit la longueur de la formation. » En clair, si vous êtes là pour faire du pognon, il faut prendre le plus d’élèves possible le moins longtemps possible.

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Cela dit, la GEN a au moins le mérite de faire un certain tri. Car en plus des formations labellisées, il existe toute une galaxie d’organismes plus ou moins douteux dont le point commun est de garantir un boulot de développeur après quelques mois, voire quelques semaines de formation, et le salaire qui va avec. Sauf que là, personne ne garantit la moindre gratuité.

« Bien sûr, ils vont apprendre des choses dans ces écoles, mais ils n’auront pas le niveau de ceux qui font une formation de cinq ans » - Frédéric Hovart, directeur associé de l’entreprise de services numériques Globalis

Ces organismes sont si nombreux qu’il serait impossible de citer nommément qui fait bien ou qui fait mal. Ne serait-ce que parce que personne ne le peut vraiment. « Il y a des formations très sérieuses et d’autres dont on peut franchement douter. Sauf que nous n’avons pas le recul nécessaire pour avoir de vrais retours quantitatifs », explique Richard*, expert du numérique chez Pôle Emploi. « Et même s’il est important de communiquer auprès des demandeurs d’emploi sur ce genre de formations dont ils ignorent l’existence, j’ai peur que nous ne puissions pas tenir certaines promesses. Surtout celle qui consiste à faire croire que tout le monde peut se former au développement et que c’est une solution à tout », poursuit Richard.

S’il partage ce constat, Frédéric Hovart, directeur associé de l’entreprise de services numériques (ESN) Globalis, préfère toutefois tabler sur l’avenir. « Il y a clairement à boire et à manger parmi ces formations mais c’est normal, tout ça est encore très nouveau. Il y a beaucoup à inventer et le tri se fera de lui-même avec le temps », prévoit-il de manière rassurante. Il précise toutefois que son entreprise, pionnière de langage informatique PHP en France, et se considérant comme très exigeante, n’a jamais recruté de purs produits de ces fameuses formations courtes, juste des reconvertis. De rares mais belles histoires qui tiennent souvent plus à la personnalité qu’à la formation. Il s’explique : « Bien sûr, ils vont apprendre des choses dans ces écoles, mais ils n’auront pas le niveau de ceux qui font une formation de cinq ans, c’est tout simplement impossible. Il faut juste bien comprendre qu’on ne forme pas les gens à la même chose ni aux mêmes postes. »

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Or, c’est bien ça qui doit être démystifié en priorité. Oui, vous pouvez apprendre beaucoup de choses en quelques mois. Oui, la demande en développeurs est telle que vous trouverez même probablement un boulot avec une mauvaise formation. Par contre, vous n’aurez ni le même job, ni le même salaire, qu’un ingénieur ayant passé des années à comprendre la programmation dans son ensemble - plutôt que quelques mois à bosser sur le langage du moment. Ça n’a rien de déshonorant et ça ne doit pas démotiver les candidats à la reconversion ou à l’emploi, c’est juste un fait.

« Est-ce que je me sentais prête en sortant de là ? Pas du tout ! », Pauline, 30 ans, passée par une formation accélérée.

Sophie Viger, directrice de la Web@cadémie et de la Coding Academy, deux formations du groupe Epitech, confirme cette analyse mais tempère : « Les postes accessibles ne sont clairement pas les mêmes et l’écart de salaires est encore très important. Après, l’expérience, la personnalité et la façon de gérer sa carrière font beaucoup et rien n’empêche d’arriver très haut en dix ans. Parfois même plus haut qu’avec un parcours traditionnel. » Surtout, il faut profondément aimer coder pour s’en sortir avec ces formations. Car cela risque de commencer par un sacré saut dans le vide. « À la sortie, je ne me sentais pas prêt à assumer une mission de développeur. Parce que malgré tout, on ne devient pas développeur en cinq mois », raconte Grégory, 31 ans, passé par la Wilde Code School et aujourd’hui développeur Front-End chez Abbeal. Ce sont finalement les stages et les expériences professionnelles qui lui ont donné confiance et lui ont permis de monter en compétence. Rétrospectivement, il reconnaît que les profs comme les cours étaient de qualité variable mais juge que la formation a tenu ses promesses, surtout pour ceux qui avaient la volonté. Il conclut ainsi : « Au cours de ma formation, j‘ai croisé quelques personnes peu motivées et absolument aucune n’est aujourd’hui développeur. » Pour Pauline, 30 ans, passée par une formation ayant pignon sur rue, le constat est assez différent. « Est-ce que je me sentais prête en sortant de là ? Pas du tout ! Je ne suis pas de nature très confiante mais après les trois mois et les conseils de mon copain qui bossait déjà dans le secteur, ça me paraissait très léger en termes de compétences acquises pour se lancer. » N’ayant pas pu avoir de stage avec sa première formation, elle a dû faire une année de contrat pro avec l’Ecole Multimédia pour rejoindre le monde du travail.

« Ces organismes créent de la frustration » - Jérôme, enseignant dans une école de programmation.

Malgré des formations qui laissent probablement à désirer, Pauline, Grégory et d’autres que nous avons pu interroger, font partie de ceux qui ont réussi. Car ceux qui n’ont jamais pu devenir développeurs ont disparu des circuits, ne répondent pas aux interviews, n’apparaissent pas sur les sites des écoles et ne sont pas joignables quand on passe un coup de fil à une ESN. Pire, ils vont peut-être mal, comme l’imagine Jérôme*. « En plus de la question de l’argent, ces organismes créent de la frustration, les gens qui en sortent se disent : ‘tout le monde dit que ça recrute et moi je ne trouve pas putain, je suis un idiot ! » Mais s’ils ne sont pas devenus les dév. iOS de haut vol qu’ils espéraient être, cela les a peut-être aidé. « Même si les gens ne retrouvent pas d’emploi, cela les remet au moins dans une dynamique d’apprentissage et de recherche », se console Richard*, l’expert de Pôle Emploi. Espérons qu’il ait raison.