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Patty Schemel a survécu aux trois plus grands fléaux des 90’s : la drogue, l’alcool et Courtney Love

Paris, avril 1995. Un jeune garçon remet une enveloppe à Patty Schemel, la batteuse du groupe Hole. À l’intérieur, un fanzine au sommaire duquel figure une interview de Kurt Cobain, ami proche de Schemel, décédé un an auparavant, quasiment jour pour jour. Une fois revenue à l’hôtel où le groupe est installé, la bassiste francophone Melissa Auf Der Maur lui traduit l’article. À un moment, le journaliste pose une question à Cobain à propos de Courtney Love, à laquelle il répond ceci : « Je ne parle plus de ma femme dans la presse, mais Hole viennent d’enregistrer un album excellent album, et Patty Schemel est la meilleure musicienne du groupe. »

Cette déclaration a été d’une importance cruciale pour Schemel, qui traversait alors une période difficile, où l’héroïne (qu’elle consomme dans la plus grande discrétion) et la frustration (dans un groupe où la chanteuse au comportement erratique monopolise toute l’attention) composent son triste quotidien. C’est ce type d’anecdotes à la fois surprenantes, touchantes et totalement méconnues – même les fans les plus hardcore de Hole n’en avaient jamais entendu parler – qui font tout l’intérêt de Hit So Hard, l’autobiographie de Schemel, publiée cette semaine aux États-Unis.

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Le titre du livre est tiré d’un morceau de Hole, mais c’est aussi une formule qui illustre à la perfection le parcours de Patty Schemel et le sévère problème d’addiction qu’elle a du affronter pendant des années. Elle y relate son enfance indépendante à Marysville, dans l’état de Washington – à rouler des pelles à des filles résolument hétéros, passer des journées entières devant la télé avec son frère Larry, pendant que leur mère s’absentait parfois pendant plusieurs semaines – avant que Cobain ne suggère son nom pour assurer la batterie dans Hole, puis le succès grandissant du groupe, et sa descente inexorable vers l’enfer de la dépendance, qui la mènera à vendre tout ce qu’elle possède, à vivre dans la rue, et à financer ses besoins en monnayant à des hommes ses faveurs sexuelles.

« Ça m’arrivait de m’arrêter d’écrire et de partir m’acheter à manger, et de ressentir un tel poids sur mes épaules », raconte Schemel. « Au début, je ne comprenais pas pourquoi, et puis je réalisais que je venais de raconter un moment particulièrement difficile de ma vie. Je croyais être bien plus disposée à accepter mon passé que je ne le suis. Quand j’y reviens, c’est vraiment dur à digérer. Malgré les années et les changements, je suis toujours cette personne dont je raconte l’histoire.»

L’idée de faire ce livre, Patty l’a eue alors qu’on réalisait un documentaire sur elle, en 2011 – documentaire qui porte le même titre, mais qui se montre beaucoup plus sobre et pudique sur ses abus de drogue et ses relations tumultueuses avec ses petites amies, et n’exprime pas du tout la frustration générée par le côté terriblement prévisible des allers-retours constants entre cure de désintox, chambres à coucher, et apparts de dealers, qui constituent la majeure partie de son autobiographie. « J’ai eu le sentiment que je devais y aller à fond sur le livre », explique-t-elle. « Raconter tous les moments intimes qui me concernent. J’ai changé le nom de certains amis, et j’ai contacté une ex-copine en particulier, pour la prévenir qu’elle figurerait dans le bouquin, et lui dire que je lui enverrais les passages en question. »

Kurt Cobain, Frances Bean et Patty Schemel. Photo – Courtney Love.

Le livre s’ouvre sur les mots « Je suis née en convalescence », et le lecteur est directement mis face au possible lien génétique qui expliquerait son problème d’addiction, du fait qu’elle soit la fille de deux anciens alcooliques, qui se sont séparés quand elle était encore pré-adolescente. À 12 ans, elle buvait déjà sec, pour supporter son anxiété sociale et accepter son homosexualité. Elle décrit son premier verre comme une expérience quasi-religieuse : « Tout s’est élevé, puis est retombé, effaçant tout ce qu’il y avait de négatif, de gênant, et tout ce qui me mettait en colère. »

« Je n’ai jamais vu mes parents saouls, ou sous l’influence de quoi que ce soit, mais je me suis toujours sentie bizarre et pas à ma place, jusqu’à cette première expérience avec l’alcool, et à partir de ce moment-là, je me suis sentie en phase avec le monde », se souvient-t-elle. « Je ne pense pas avoir appris à résoudre les problèmes et à faire face aux épreuves de la vie sans avoir recours aux drogues et à l’alcool. Quand une difficulté se présentait, c’était ma réponse. Pour mon père, c’était les femmes, pour ma mère, les réunions des Alcooliques Anonymes. Tout le monde se sert de quelque chose. »

L’impact de la mort de Cobain s’est ressenti dans le groupe de Patty Schemel, dans la scène de Seattle, et dans le monde entier. La mort de Kristen Pfaff, la bassiste de Hole, peu de temps après, d’une overdose d’héroïne, est passée inaperçue, éclipsée par celle de Kurt Cobain. Mais pour Schemel, c’était un deuil de plus, à rajouter sur le précédent – et le fait que la consommation d’héroïne ait continué dans son entourage, après l’overdose de Pfaff, est quelque chose de très énervant à lire. On ne peut pas s’empêcher de penser : mais comment est-il possible que ça n’ait rien changé ?

« Parce que j’étais la même personne qu’avant leur mort – une addict », déclare Schemel. « C’était ma façon de gérer mon existence, et la douleur causée par le suicide d’un ami ou l’overdose d’une amie n’était pas suffisante pour me faire arrêter. Ce que ça montre, c’est qu’aucune tragédie de la vie réelle n’était suffisante pour me faire arrêter de boire ou de prendre de la drogue. »

Tourner pour défendre Live Through This, l’album de Hole paru une semaine après la mort de Cobain, c’était continuer à avancer malgré le deuil. Love était une épave, flamboyante et à vif, et les yeux des médias du monde entier étaient maintenant rivés sur elle, dans l’attente qu’elle atteigne les sommets de l’auto-destruction. Les concerts de cette période étaient totalement imprévisibles, ce qui les rendait parfois magnifiques. Les morceaux étaient entrecoupés des monologues décousus de la chanteuse, qui sautait parfois dans une foule prête à déchirer sa robe et à glisser ses doigts dans ses orifices, comme pour s’approprier un peu de sa sauvagerie. Pendant les interviews, toutes les questions portaient sur elle et sur la mort de son mari, plutôt que sur ce que le groupe avait accompli collectivement. Une période qui verra la mort de Kristen Pfaff et que Schemel et les autres désignent sous le nom des « Ténèbres ».

« J’image que Courtney considérait qu’elle devait faire plus que simplement jouer de la guitare et chanter », écrit-elle. « J’ai toujours eu le sentiment que notre musique aurait du se suffire à elle-même. »

Dans son livre, Schemel raconte qu’elle a observé ce spectacle grotesque et tragique depuis sa batterie, en fumant une cigarette, ou en feuilletant un journal. « Le rôle de tout batteur est d’assurer la cohésion générale, mais mon rôle était transcendé par l’attitude chaotique et imprévisible de Courtney », se souvient-t-elle. « Je devais rester attentive à ça, lui permettre de faire tout ce qui lui passait par la tête, selon son état d’esprit du moment. Je trouve qu’on s’en est plutôt pas mal tirées, quand j’y repense. »

Évidemment, cette dynamique ne pouvait pas toujours aller de soi. Un des rares moment drôle du livre voit Schemel balancer une peluche-sac à dos contre un mur en hurlant « Va ! Te ! Faire ! Foutre ! » à sa chanteuse, rouge de colère. « Courtney peut être complètement folle, mais quand moi, je pète vraiment les plombs, c’est du sérieux », dit-elle en riant, quand on lui rappelle l’anecdote.

Patty Schemel et Courtney Love

Mais la plupart temps, Schemel gardait tout pour elle. Y compris l’abus de drogues. « J’essayais de tout garder compartimenté, caché. Il y avait ces moments où je rentrais dans ma chambre d’hôtel après le concert, et où je devais juste souffler un grand coup. Quand j’étais seule, je pouvais utiliser la drogue pour me désensibiliser de tout ça, et en privé », explique-t-elle. « Il y avait des moments – exactement comme dans toute famille dysfonctionnelle – où l’addiction occupait la place principale, et les choses allaient bien dans ces moments-là. Je me sentais véritablement bien. Je n’aimais pas être dérangée, alors je m’assurais que tout le monde était cool, et comme ça, j’étais tranquille. »

Une partie qui risque de désespérer les fans, c’est celle dans laquelle elle raconte l’altercation qui a eu lieu pendant l’enregistrement de l’album Celebrity Skin. Un producteur, connu dans le milieu pour briser les batteurs, a été contacté et, en substance, a humilié Schemel, amenant un batteur de studio pour la remplacer. Il a demandé l’accord de Love du reste du groupe après leur avoir passé les plus mauvaises prises de Schemel ; ceux-ci ont accepté le batteur de studio, ce qui a fait tomber Schemel dans une spirale d’abus de drogue, pour « se venger » du groupe ; son rôle avait toujours été plus que celui d’une « simple » batteuse. Cette trahison a marqué le début de sa vraie dégradation en terme de drogues, un épisode triste et éprouvant à lire.

À la fin du livre, Schemel est sobre. Elle occupe son temps à jouer avec le groupe Upset, et à donner des cours de batterie aux kids du coin. Plutôt qu’une intervention divine ou qu’une prise de conscience théâtrale, c’est le simple fait que la drogue ait arrêté de faire effet sur elle qui l’a poussé à arrêter. Comment s’est-elle pardonné d’avoir blessé les gens pendant des années, d’avoir raté les opportunités et refusé les mains tendues ? « Je ne crois pas que le karma soit un boomerang qui te revient en pleine face, mais un sentiment merdique que je trimballe encore aujourd’hui, le sentiment de savoir que j’ai fait du mal aux autres », écrit-elle. Elle n’explique toutefois pas dans le livre comment ce pardon s’est transmis à la famille très liée que forme son groupe. « Je crois que ça a commencé avec : quelle est ma part de responsabilité dans tout ça ? Ma part, c’était mon addiction à la drogue en numéro 1. Je ne dis pas que tout était de ma faute », dit-elle en riant, avant une longue pause réfléchie. « Il y avait tellement de trucs plus important, et il y en a eu tellement d’autres, depuis cette époque. Je ne peux pas avancer dans la vie en portant une telle rancœur. Ça ferait de moi une personne aigrie et nulle, et c’est un truc que je ne veux pas être. »


Hit So Hard est disponible aux États-Unis depuis ce 31 octobre, sur Da Capo Press. Aucune traduction française n’est prévue pour le moment.