Magical Girls Star Guardian
Image avec l'aimable autorisation de Riot Games
Culture

Pourquoi on n'a pas fini de voir des héroïnes sexy aux pouvoirs magiques

Avec leur style rose bonbon, les « magical girls » continuent de séduire les foules dans un déluge de strass qui ne semble jamais se tarir.

Petite, j’étais fascinée par ces héroïnes en jupettes roses qu’on appelle les magical girls ; ces combattantes de la justice toujours prêtes à sauver le monde dans un tourbillon de paillettes multicolores. Tout en grignotant mon goûter, je regardais avec émerveillement ces séries aussi bien pour les combats extrêmement chorégraphiés contre des méchants aux looks improbables que pour les romances à l’eau de rose qui rythmaient systématiquement ces récits. 

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Sailor Moon, Card Captor Sakura, Tokyo Mew Mew, Shugo Chara… ces premières combattantes de la pop culture représentaient pour moi quelque chose d’inédit : un délicieux mélange entre le girl power féministe et des clichés rétrogrades, enveloppé dans un confortable débordement de mignonnerie. Bien que les magical girls aient bercé mon enfance d’un déluge de strass, froufrous et autres rubans surannés, j’ai toujours été persuadé que cette histoire, c’était du passé ; qu’elles avaient eu leur heure de gloire dans les années 1990 et qu’il était temps de changer de disque. 

Sailor Moon

© Naoko Takeuchi

Pourtant, même trente ans après la sortie de son héroïne la plus iconique, Sailor Moon, je ne peux que constater à quel point leur popularité n’a pas pris une ride. Impossible de traîner dans une boutique spécialisée en culture japonaise ou même dans n’importe quel magasin de jouets sans tomber sur l’un des nombreux accessoires rendus célèbres par la série. Il n’y a qu’à faire un tour dans les rayons manga des librairies pour se rendre compte à quel point ces super nanas jouissent d’une popularité et d’une longévité inimitables. Que ce soit la réédition collector de Sailor Moon, les nouvelles aventures de Card Captor Sakura ou même le nouvel anime Tokyo Mew Mew, les magical girls ne sont clairement pas un héritage du passé et continuent de se vendre avec succès. 

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« Ce n’est pas simplement un phénomène générationnel, confirme Aurélie Petit, doctorante spécialiste de l’animation japonaise. Les magical girls se sont clairement inscrites comme une figure incontournable de la pop culture. » Des itérations glauquissimes de Marvelous Melmo (1971) à la guerrière ultra-sexy de Cutie Honey (1973)… en passant par les mignonneries de Magical Doremi (1999) ou l’approche subversive de Puella Magi Madoka Magica (2011), ces adorables petites sorcières ont pris des formes bien différentes à travers les années.

Pourtant, quelque soit la série ou le manga, toutes ces histoires reprennent les mêmes codes qui ont rendu le genre aussi marquant : une héroïne charismatique dans un style rose bonbon, un accessoire de cosmétique magique, une séquence de transformation sexy et interminable, un adorable animal de compagnie, etc. 

Pour comprendre un peu mieux d’où viennent ces règles tacites qui régissent le genre, il faut nécessairement faire un petit point historique. Lorsqu’arrive la première magical girl dans les années 1960, Himitsu-no Akko-chan, par Fujio Akatsuka, on retrouve déjà certains de ces codes. La jeune protagoniste utilise en effet un miroir de poche qu’elle utilise pour se transformer à souhait. Dans les années 1970, suite au succès international de la sitcom américaine Bewitched, le genre prend alors véritablement son essor. On découvre alors de nouvelles histoires comme Sally the Witch par Mitsuteru Yokoyama. 

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Au fil des titres, les histoires développent peu à peu leur propre canon . On peut penser à l’apparition de la première baguette magique dans Mahotsukai Chapi (1972) ou aux transformations ultra sexy de Cutie Honey, œuvre créée par Go Nagai (plus connu pour Goldorak) ou encore l’arrivée des premiers groupes de filles dans Majokko Club (1987). Autant de codes qui se sont cristallisés au début des années 1990 avec la publication du manga iconique Sailor Moon de Naoko Takeuchi. L’histoire d’un groupe d’adolescentes placées sous la protection d’une planète du système solaire qui combat le mal au nom de l’amour et de la justice. 

« Dans le thème magical girl, on ne peut pas faire mieux que Sailor Moon, estime Mehdi Benrabah, le directeur éditorial de la maison d’édition Pika qui admet avoir été follement amoureux de Sailor Jupiter dans sa jeunesse. Je peux comprendre qu’on trouve ces histoires un peu passées de mode mais c’est devenu tellement iconique et ça a eu un tel impact sur la culture populaire qu’on ne peut décemment pas passer à côté. »

Sailor Moon

© Naoko Takeuchi

Dans cette œuvre emblématique des années 1990, on retrouve aussi toute la complexité de ce genre qui mêle des thématiques très différentes - certains diront même paradoxales. Sailor Moon c’est à la fois des icônes féministes qui utilisent leur féminité comme une arme dans un monde où elles sont régulièrement sauvées par leur prince charmant. De la même manière, des romances cucul la praline se mêlent délicatement à une vision moderne de l’amour avec des histoires lesbiennes et homosexuelles. On a des héroïnes badass qui sont extrêmement sexualisées et des équipes de jeunes femmes qui n’ont parfois pour personnalité qu’un seul trait de caractère. 

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« Les magical girls n’ont rien d’une figure révolutionnaire. En revanche, elles utilisent une formule extrêmement efficace avec des codes bien précis qui rendent sa consommation très agréable et familière » – Aurélie Petit

« Je pense que malgré toutes ces complexités, c’est un genre qui intéresse particulièrement les gens parce qu’il mélange des problèmes très ancrés dans nos réalités, comme aller à l’école ou grandir même si ça a lieu dans un contexte magique, raconte Ambrielle Army, responsable des skins - des visuels exclusifs que l’on peut acheter dans un jeu - chez l’éditeur américain Riot Games. Il y a parfois des aspects beaucoup plus noirs ou difficiles dans ces histoires dans lesquelles je pense que beaucoup de gens se retrouvent. »

Les aventures de Tokyo Mew Mew, sorti en 2000.

© Mia Ikumi, Reiko Yoshida / Kodansha Ltd.

Que l’on apprécie ou non les nombreux récits de ce genre, on ne peut que constater son succès. Dans nos propres productions européennes et américaines, la marque des magical girls est partout comme dans The Powerpuff Girls (1998) ou même dans les Totally Spies (2001). Plus récemment, la série Miraculous (2015) reprend également très clairement tous les codes habituels du genre.

Mais alors, comment expliquer un tel succès ? Selon la chercheuse Aurélie Petit, une des raisons du succès de cette licence tient du fait que ces histoires ont été les premières du registre féminin à toucher un plus large public. « Ça permettait aux garçons de fantasmer sur des femmes qui ont des pouvoirs fictifs » lance-t-elle dans un grand sourire. 

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« Les magical girls n’ont rien d’une figure révolutionnaire, précise la chercheuse. En revanche, elles utilisent une formule extrêmement efficace avec des codes bien précis qui rendent sa consommation très agréable et familière. C’est ce qui rend ces histoires déclinables à l’infini. » Bien sûr, un des principaux atouts de ce genre c’est surtout que ça fait vendre, poursuit la chercheuse. « Que ce soient dans les accessoires, les vêtements, les petites peluches à l’effigie des mascottes… Elles sont aussi des produits marketing extrêmement efficaces. »

Dans les années 1980, une grande partie de ces séries étaient financées par des partenariats avec des grandes marques de jouets. Certains se souviennent peut-être de la mort atroce de l’héroïne de Magical Princess Minky Momo (1982) - heurtée par un camion transportant des jouets - lorsque le sponsor de la série Pop avait retiré son financement à cause de mauvaises ventes de marchandises. Dans un numéro du magazine d'anime japonais OUT, l'écrivain de la série Takeshi Shudo a expliqué avoir tué le personnage à la fin de l'épisode dans un excès de rage. Même si la mort du personnage ne fut que temporaire, la séquence a été considérée comme une pionnière et a permis aux productions ultérieures de magical girls de traiter de thèmes plus sombres.

« La grande force des magical girls tient dans ce côté familier et confortable » – Mehdi Benrabah

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Aujourd’hui encore, cet aspect commercial est encore très présent dans cet univers. Sur les réseaux sociaux, il existe une myriade de comptes de fans spécialisés dans la collection de ce genre d’objets. Outre les mangas et les posters des animes, elles décorent leurs chambres d’innombrables figurines, jouets et cosmétiques en l’honneur de leurs magiciennes préférées. 

Cet été, les magical girls continuent de pleuvoir telles des comètes dans l’horizon de la culture populaire grâce à un nouvel acteur du genre : l’éditeur de jeux vidéo Riot Games. Bien décidés à développer leur offre de divertissement depuis plusieurs années, notamment avec la série d’animation Arcane qui a rencontré un succès retentissant sur Netflix, l’entreprise américaine a une stratégie bien rodée : créer de nouvelles histoires à partir de leur univers et s’imposer progressivement dans l’industrie du divertissement. L’une de ces histoires développée depuis plusieurs années est une sorte d’ersatz de Sailor Moon appelé Star Guardian.

Les nouvelles héroïnes des Star Guardian

Riot Games

Le même style vestimentaire, des transformations, des vilains stylés, des histoires de lycée qui viennent s’intercaler entre quelques batailles pour sauver le monde. Tous les codes sont là. Le développement d’une nouvelle histoire de magical girl à notre époque est pourtant assez intriguante lorsqu’on sait que la majorité des histoires qui fonctionnent aujourd’hui sont plutôt les anciennes figures. « C’est rare de voir des nouvelles séries de magical girls qui aient un succès suffisant pour arriver jusqu’en France, analyse Mehdi Benrabah Les titres qui fonctionnent sont plutôt les anciennes icônes, celles qui ont fait leurs preuves avec le temps. »

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Le pari de Riot Games est d’autant plus étonnant qu’on a du mal à voir comment cette figure kitsch des années 1990 trouve encore grâce aux yeux de millions de joueurs de League of Legends un peu partout dans le monde. « A l’origine, c’était juste un projet lancé par passion par les membres de l’équipe qui avaient grandi avec ces histoires de magical girls, raconte Ambrielle Army. Il y avait cette idée que ce genre pourrait plaire à nos joueurs et que ça pourrait facilement s’intégrer dans l’identité de notre jeu. Quand on a sorti le premier skin de Star Guardian, on a eu tellement de retours positifs qu’on a voulu aller encore plus loin et proposer des histoires plus sombres et des personnages plus modernes. »

Le succès commercial est tel que les skins Star Guardians sont même parmi les plus populaires et rentables de toute leur panoplie, nous confirme la responsable de Riot Games. A terme, il n’est absolument pas impossible que l’éditeur se lance un jour dans le développement d’un nouvel anime, depuis longtemps plébiscité par les fans. 

« La grande force des magical girls tient dans ce côté familier et confortable, explique Mehdi Benrabah. J’aime retrouver tout ce à quoi je m’attends, avec ces moments convenus comme lorsque l’héroïne est acculée et va se transformer. Il y a un côté très fan service, sans connotation négative et en même temps une très grande liberté créative. » Aujourd’hui, la grande majorité des nouvelles histoires de magical girls s’amusent à détourner les codes qui la constituent. Une façon de continuer à réinventer le genre encore et encore sans jamais lasser le public - que ce soient les plus jeunes lecteurs ou les nostalgiques.

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