Une nouvelle année commence et rien ne change de la mer au Jourdain… Alors qu’Israël ne cache plus ses intentions de déporter les Palestinien·nes hors d’une bande de Gaza en ruines, près de deux millions de personnes sont aujourd’hui livrées à la famine, au froid et aux maladies, alors que les bombardements – qui ont déjà tué près de 23 000 personnes en trois mois – se poursuivent. Un constat aggravé par la menace d’un embrasement régional à la suite d’une frappe israélienne sur Beyrouth le 2 janvier. Poursuivi pour crimes de guerre par l’Afrique du Sud, l’État d’Israël comparaîtra devant la Cour internationale de justice les 10 et 11 janvier prochains pour répondre aux accusations de génocide et d’épuration ethnique dont il fait l’objet.
Dans ce contexte de plus en plus tendu, les foules continuent de se mobiliser pour demander un cessez-le-feu immédiat et permanent à l’instar du mouvement #Countdown2Ceasefire qui portait les couleurs de la Palestine dans le monde entier à l’occasion du nouvel an. À Paris, la jeunesse palestinienne en exil est aux avant-postes pour lutter contre ce qu’elle décrit comme « l’effacement » de sa culture et de son identité. Essentialisé·es, réduit·es à de tristes statistiques et trop rarement invité·es à s’exprimer, les Palestinien·nes résistent par le simple fait d’exister et sont de plus en plus nombreux·ses à prendre le micro pour partager leurs récits et rappeler que le « peuple palestinien » ne se résume pas qu’à des chiffres.
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Installé à Paris depuis une dizaine d’années, Hamza Abuhamdia est né en 1988 à Amman, en Jordanie, de deux parents Palestiniens en exil. Son père, Maysara Abuhamdia, un célèbre résistant, était connu dans toute la Palestine pour son implication au sein du PLO, l’Organisation de libération de la Palestine. Traqué par l’armée israélienne, il est emprisonné à deux reprises avant d’être condamné à l’exil en Jordanie. Enfermé pour la troisième fois en 2002, il meurt derrière les barreaux onze ans plus tard des complications d’un cancer.
Très jeune, Hamza se démarque déjà de ses frères par son tempérament créatif et une queerness affirmée qui nourrira plus tard ses fantasmes parisiens et son goût pour la provocation. Avant le 7 octobre, il n’avait d’ailleurs jamais trop su de quelle façon s’introduire aux autres : quelle part de son identité était acceptable aux yeux du monde ? Celle de fils de résistant palestinien ou de l’Arabe queer un tantinet bourgeois qui arpente les bars du centre-ville d’Amman ? Ou encore, l’artiste en exil fantasmé par une scène parisienne qui peine encore à déconstruire son white-saviorism ? Depuis trois mois, les choses lui semblent plus claires : « Aujourd’hui, je me sens obligé de rappeler que je suis Palestinien, queer, et que j’existe. »
Face à l’instrumentalisation des luttes LGBTQI+ par Israël pour justifier son génocide – des soldats brandissaient en novembre dernier le Rainbow flag sur les ruines de Gaza – la communauté queer palestinienne s’est engagée plus franchement pour affirmer son soutien à la résistance. En novembre, le collectif Queers in Palestine publiait une tribune dans laquelle il affirmait : « Nous refusons les tactiques coloniales et impérialistes qui visent à nous aliéner de notre société sur la base de nos vécus queers. (…) Il n’y a aucune libération queer qui puisse être acquise par la colonisation, et aucune solidarité queer ne peut être favorisée si elle reste aveugle face aux structures racialisées, capitalistes, fascistes et impériales qui nous dominent. »
J’ai discuté avec Hamza, qui nous ouvre les portes de son intimité pour poser ses propres mots sur une identité que le monde ne cesse de vouloir définir à sa place. Moins contradictoire qu’il n’y paraît, il raconte avec humour et émotion une histoire dont le fil rouge n’est autre que celui d’une profonde quête de liberté, et dont la véracité contredit tous les préjugés racistes qui collent encore à la Palestine.
VICE : Tes parents viennent d’où en Palestine ? Hamza : Mes parents viennent tous les deux de Al Khalil, ou Hébron, en Cisjordanie. Dès les années 1960, mon père s’est engagé dans la résistance palestinienne. Il a été fait prisonnier par le gouvernement israélien avant d’être libéré à la condition qu’il parte vivre en exil. Il était interdit de territoire à travers toute la Palestine, et s’est donc installé à Amman où je suis né et j’ai grandi. À l’époque, j’avais que très peu de conscience de ses combats politiques, il voulait nous protéger de tout ça. On peut plus ou moins dire que j’ai été élevé dans une bulle.
Ma mère, c’est comique… Elle vient d’un milieu relativement bourgeois, avec un capital social, un nom de famille, une éducation et du succès. Sa famille était propriétaire d’un hammam, son père avait deux femmes et 17 enfants… C’était vraiment le bordel, mais ma tante aînée a quand même été l’une des premières femmes d’Al Khalil à faire ses études à la fac ! Ma mère a grandi dans ces contradictions : entre bourgeoisie et tradition, entre les nuits de Beyrouth, Damas et Jérusalem.
Quel souvenir tu gardes de ton éducation ?
Mon père nous a élevés dans la science et la culture. On regardait des documentaires, des émissions sur la nature, les Looney Tunes, Tom & Jerry… Il faisait des blagues, des imitations… Enfin, quand il était présent, donc c’était pas souvent.
**À quel âge t’as pris conscience que Al Khalil/Hébron était sous occupation ?
**Dès ma première visite ! Dès que tu rentres, tu vois que ça : des soldats, des barbelés… J’en parlais avec un ami qui vient d’Al Khalil aussi et j’ai réalisé à quel point le cerveau nous fait oublier des détails pour cacher les traumatismes. Dans les années 90, y’avait pas encore de détecteurs de métaux. Donc y’avait des salles dans lesquelles toutes les Palestiniennes et tous les Palestiniens devaient se déshabiller face aux soldats avant d’entrer en Palestine. Tout le monde ! J’avais effacé ces souvenirs de ma mémoire… C’est quand il m’en a parlé que les images me sont revenues.
Chaque fois que je pense à la Palestine, y’a toujours cette image militaire qui me vient en tête. Cette vallée du Jourdain… c’est bizarre. On dirait un chantier permanent. C’est triste parce que c’est une très belle région. Malheureusement, tu peux pas échapper à l’armée en Cisjordanie. Et tu sais que tu peux pas aller partout. Tu montes dans le bus et tu vas en ville ; entre les deux y’a pas d’interactions : juste une autoroute vide, des colonies, un mur et les postes de contrôle de l’armée sur les montagnes. On voyait rien de tout ça en Jordanie. En tant qu’architecte, ces paramètres m’interpellent.
**T’avais le temps de te faire des amis quand tu voyageais à Al Khalil ?
**Pas du tout, c’était vraiment famille-famille. J’étais le petit chouchou de ma mère. C’était une femme très sociale, cultivée… Elle voulait s’installer à Beyrouth quand elle était jeune avant qu’on la marie à mon père. J’ai un peu dû porter avec elle cette colère et cette frustration. Elle se plaignait souvent de mon père auprès de moi… Nos rapports contredisaient les normes de genre traditionnelles : une relation presque mère-fille, tu vois. On avait notre complicité, nos clins d’œil que personne d’autre ne comprenait ; et tout le monde m’appelait la petite Zaïra parce que j’étais sa copie conforme.
**T’as toujours eu la sensation d’être « différent » ?
**J’ai connu que ça ! Mes parents me traitaient pas du tout de la même façon que mes autres frères. Il leur arrivait parfois de les gronder violemment ; moi rarement.
**Tu veux dire que tes parents t’ont traité avec plus de délicatesse parce que c’était toi ?
**C’est facile de le dire comme ça, et c’est quelque chose qu’on m’a reproché au sein de ma famille, mais quand les gens demandaient à ma mère pourquoi elle se comportait comme ça avec moi elle répondait : « C’est Hamza, voilà ! » J’étais sa complice, son amie, sa confidente, son âme sœur presque…
**Et comment ça se passait avec ton père ?
**Je crois que je lui faisais un peu peur… Il évitait de rentrer dans ma bulle parce que j’étais team woman et que je me moquais de la culture macho toxique. C’était un peu ma mère et moi contre les garçons, tout le temps. À l’adolescence, j’ai commencé à avoir envie de m’intégrer parmi les garçons mais j’étais tellement loin : j’avais passé ma vie à suivre les nanas partout. Ça m’a pris des années avant de pouvoir construire des relations saines avec des mecs cis. Aujourd’hui, c’est l’inverse : je m’amuse souvent du fait que j’arrive pas à pécho parce que je traîne qu’avec des mecs cis et hétérosexuels.
**Quelle relation t’entretiens avec tes parents aujourd’hui ?
**Ben… aucune. Mon père est décédé y’a dix ans – paix à son âme – et ma mère vit toujours à Amman mais on se parle pas depuis mon coming-out. J’ai essayé de lui parler mais ça finit toujours par évoquer les enfers ou la mort, parce qu’elle est très conservatrice. Ce qu’elle a du mal à accepter, en vrai, c’est que les gens soient au courant.
**Qu’est-ce qu’il s’est passé avec ton père ?
**Écoute, je peux pas le cacher ça ne sert à rien… Si tu tapes son nom sur Wikipedia, tu vas trouver. Il est mort dans une prison israélienne d’un cancer qu’ils n’ont pas voulu se donner la peine de soigner. Il a été emprisonné en 2002, quatre ans après avoir fêté son retour après la deuxième Intifada… J’ai pas tous les morceaux de l’histoire, j’ai dû faire des recherches et j’avoue que j’essaie de passer à autre chose, mais je suis fier de mon père : c’était quelqu’un de bien et son histoire m’inspire.
**Tu te considères comme un réfugié ?
**Hmm… C’est pas le bon mot, légalement je suis né Jordanien. En revanche, quand j’avais 4 ou 5 ans, je me souviens avoir réalisé que j’étais Palestinien et que je venais d’un pays sous occupation militaire. On va me détester pour avoir dit ça, mais ça a été un moment désagréable pour moi. Déjà très jeune, j’avais la flemme de m’imposer cette réalité que j’ai pas choisie. Après tout, on est des êtres humains. On cherche le plaisir, le confort… J’étais un enfant comme ça : je voulais manger de bons gâteaux et porter de beaux vêtements. Ma mère a nourri ce rapport à la beauté et à la consommation en me demandant très jeune mon avis sur tel tissu ou telle pièce de décoration. C’est que plus tard que j’ai compris que c’était aussi ça la bourgeoisie : le privilège d’avoir le temps d’aller se procurer le beau. Tu réalises en grandissant que tout le monde n’a pas cette chance.
**Et les relations avec ta famille à Amman, c’était comment ?
**C’était pas top. Je les trouvais « pas cool », conservateurs… Quand j’y pense, je reproduisais une forme de mépris social : je considérais qu’ils étaient pas à ma hauteur parce qu’ils parlaient pas anglais, par exemple. La vérité c’est que j’ai essayé de mener ma vie de telle sorte que tout ça n’ait aucune emprise sur moi. Je voulais être plus malin. Mais avec la dépression, le travail et les milieux sociaux que j’ai traversés, j’ai compris que le bon chemin c’est celui qui passe à travers le déni, la colère et le deuil… Jusqu’à l’acceptation, ou la concession.
Donc à 28 ans t’as décidé de venir t’installer en France. Comment ça s’est passé ? J’avais déjà pris cette décision depuis longtemps, c’est juste que j’ai enfin eu la possibilité de le faire à 28 ans. J’avais envie de m’émanciper de cette ambiance bourgeoise, détachée et anglophone d’Amman. Le français m’a tenté très jeune parce que ça rentrait dans cet esprit fou-fou auquel je m’identifiais quand j’habitais encore à Amman. J’allais souvent à l’Institut Français d’Amman où y’avait des bande dessinées avec de la nudité, des livres qui abordaient des sujets tabous, des portes ouvertes loin de l’éducation islamique que j’avais reçue à l’école.
**Quelle place occupait la religion dans ton éducation ?
**C’est un peu schizophrénique en vrai. Mes parents étaient croyants mais politiquement laïcs. Ils buvaient pas d’alcool mais ma mère portait pas le voile, et la mixité des genres était la norme, tu vois… J’entendais surtout parler d’Islam à l’école, et je dois dire que je comprends pas pourquoi, à un âge où on devrait apprendre la figuration, la poésie et le jeu, l’école puisse tant chercher à nous formater. J’avais envie d’apprendre à jouer de la musique moi !
**Toi-même tu te considères croyant ?
**Non, je suis très cartésien. Je regarde la religion d’un œil sociologique, anthropologique : comment les êtres humains se sont forgés et ont tenté de combler les vides. Mais je crois pas à l’absolue bonté de la nature : tout est relatif. C’est dans mes lectures que je façonne mon opinion, au travers de l’humanisme ou de l’écologie… Tout ce qu’il y a d’humaniste dans l’Islam, j’y crois comme à une métaphore. J’ai eu une relation conflictuelle avec la foi, et je sais même pas où j’en suis aujourd’hui. À force de lire, je me rends compte que le Coran c’est d’abord de la littérature. Je suis pas certain de l’importance qu’on devrait encore accorder à des bouquins qui ont été écrits y’a si longtemps. Je préfère lire des textes plus contemporains qui défendent les mêmes valeurs – mais ce sont peut-être mes études dans une école religieuse qui m’ont aussi gavé de tout ça : c’est presque un traumatisme.
**Est-ce qu’il t’est arrivé d’en vouloir à ta famille après ton coming-out ?
**En vrai, j’ai du mal à être fâché contre ma famille parce que je crois qu’ils avaient ni l’espace ni la santé mentale nécessaire pour faire le tri et se souvenir de ce qu’on est vraiment, avant d’être une femme, un homme, un Palestinien ou une Palestinienne. J’ai eu la chance de ne pas grandir avec des menottes, et j’en suis reconnaissant.
Comment t’as réagi en voyant des soldats israéliens brandir le drapeau LGBT à Gaza après avoir rasé la ville ? C’est évidemment horrible. De la folie… mais j’étais pas du tout surpris. L’histoire de ce drapeau reste une histoire occidentale, blanche et, disons-le, capitaliste.
**Culturellement, tu te situes où toi ?
**Quand je fais le calcul, la plupart des films, livres ou musiques dans lesquels j’ai baigné venaient de l’Occident. L’arabe était beaucoup moins présent, même en vivant à Amman. Y’a une bourgeoisie arabe qui s’est un peu éloignée de sa culture, il faut le dire. Ce qui est drôle c’est qu’il y avait une fascination pour les films égyptiens ou la musique libanaise, mais jamais aucun débat autour. Le film est en noir et blanc, les femmes sont belles, elles montrent un peu de peau mais elles sont classes ! Même quand elles incarnent un rôle de travailleuse du sexe, elles restent toujours distinguées.
Je me souviens, petit j’avais voulu regarder la série Lizzie McGuire. Ma grand-mère s’y était opposée, pourtant c’est un truc d’ados évangéliques coincés qui montre rien du tout. Elle avait pris la télécommande pour mettre à la place un film égyptien qui racontait l’histoire d’une vendeuse de charme des années 50, qui chope un mec riche et devient sa maîtresse. Une histoire à l’eau de rose bien sneaky mais, pour cette femme musulmane de 80 ans, ça c’était OK ! Par contre Lizzie c’était haram. J’ai encore du mal à en saisir les raisons aujourd’hui.
**De quelle façon tu penses que les Français·es perçoivent ta culture d’origine ?
**Malheureusement, le cliché du sauvage de cité et des femmes voilées qui mangent pas de porc imprègne encore beaucoup trop les esprits. Il faut arrêter de stigmatiser et diaboliser les gens.
**Certaines personnes disent qu’on devrait pas soutenir la Palestine si on est queer. T’as trouvé ta place au sein du militantisme palestinien ?
**Bien sûr, mais c’est en assumant la personne que je suis que j’ai pu le faire. Il a fallu assumer mes privilèges, mes souffrances, mes ressources et ma santé mentale. Ensuite, comme au théâtre, il faut trouver sa place : c’est quoi le rôle qui me convient en ce moment ?
**Tu connais beaucoup d’autres Palestinien·nes LGBTQI+ ?
**J’en connais. Pas beaucoup mais y’en a. Y’a l’asso Al Qaws, par exemple. Je crois que c’est pas facile compte tenu du contexte et de la religion, mais en vérité j’ai jamais vécu en Palestine. C’est que la perception d’un exilé, et je peux me tromper. En vérité, j’ai jamais eu d’informations concrètes sur des crimes d’honneur commis en Palestine à l’encontre de femmes ou de personnes queer.
Comment tu te sens depuis le 7 octobre ? Au début j’ai eu une sensation de déjà-vu, puis j’ai très vite réalisé qu’il se passait quelque chose de différent. Un événement si imprévu et dramatique que tu perds contact avec la réalité. Tu te demandes vraiment si c’est réel ou si c’est encore un film.
**T’as pensé quoi de la mobilisation en solidarité avec la Palestine à Paris ?
**Ça fait un peu princesse mais j’ai été déçu… Je m’attendais à mieux de la part des Français·es. Plus de gens, plus d’énergie.
**Qu’est-ce qu’elle incarne la jeunesse palestinienne aujourd’hui selon toi ?
**Je dois dire que je suis fier d’être Palestinien. On est une minorité qui existe en dehors du système, donc capable de l’observer de l’extérieur. Les voix palestiniennes qui s’élèvent aujourd’hui sont tellement déconstruites, qu’on arrive peu à peu à cette cohabitation des idées. Tu sais, j’aimerais dire quelque chose ici : les personnes par lesquelles je me suis senti le mieux accepté ont souvent été des femmes qui portaient le hijab. De la même façon, j’ai rencontré des hommes hétéro cis qui m’ont traité avec plus de respect que l’ont fait d’autres mecs gays.
C’était quoi leur problème avec toi ? Je crois qu’il y a beaucoup de personnes traumatisées dans la communauté LGBTQI+ qui ont ce réflexe de rejet. Comme s’il fallait projeter sur leurs semblables la haine dont ils ont fait l’objet. Y’a du racisme dans une partie de la communauté gay blanche quadra et bourgeoise. Beaucoup de gays sont aussi transphobes, et il faut le dire. Que tu sois attiré que par la virilité, je comprends. Mais pourquoi mépriser les personnes qui revendiquent leur genre ou leur fluidité ?
**En Europe, on a tendance à pointer du doigt le Moyen-Orient au sujet des droits LGBTQI+. T’en penses quoi, toi qui a vécu dans ces deux régions du monde ?
**Je peux parler que de mon expérience : en Jordanie, l’homosexualité n’est pas pénalisée. Légalement, y’a rien mais socialement c’est autre chose. Encore une fois, j’ai eu la chance d’être relativement accepté par ma famille. On en revient à cette notion de privilèges vu que mes oncles, tantes, cousins et cousines ont voyagé dans le monde entier et lu beaucoup de livres. La LGBTphobie européenne et la LGBTphobie arabe sont juste différentes, mais y’en a pas une pire que l’autre selon moi.
**Est-ce que t’as de l’espoir aujourd’hui pour la Palestine et les Palestinien·nes ?
**Oui. Et cet espoir se superpose à celui que j’éprouve pour la communauté queer, les femmes, l’écologie… J’ai l’impression que le monde prend conscience des priorités mais je suis peut-être dans ma bulle. Est-ce que je suis vraiment légitime pour répondre à cette question ?
**Je sais pas… Je me demande juste quel est ton sentiment personnel face à tout ça.
**J’essaie de comprendre ce qui me rend heureux. Comme un animal qui cherche à éviter la souffrance. Mais il faut d’abord l’identifier parce qu’on est parfois dedans sans le savoir. Qu’est-ce qui va me faire me sentir le plus mal : parler de la Palestine, des droits humains et du féminisme, ou mettre tous mes sentiments en bouteille ? J’observe les gens et, de ce que j’en ai vu, j’ai pas envie de suivre ceux qui ont choisi la deuxième solution. Leur mode de vie, leur santé, leurs relations avec eux-mêmes, les autres et l’argent me dépriment. J’ai essayé mais ça n’a pas marché…
**Qu’est-ce qui te rend heureux dans la vie ?
**Vivre mon essence de la façon la plus authentique possible. Comme un muscle dont tu testes la résistance : quel est le poids le plus lourd que je peux porter ? C’est là que j’apprends à danser avec tout ça. J’aime sentir et goûter le bon. J’aime aussi bouger. Cette histoire du corps : la libération, le mouvement. À Paris, je m’épanouis du simple fait de ne pas avoir à utiliser une voiture. Le corps humain est fait pour courir, nager, grimper… Je peux pas rester assis comme ça, ça fait mal au dos. Je suis scientifique : le sport, la liberté, le cycle de la vie, baiser, manger… s’exprimer. C’est pour ça que j’aime parfois dire des injures : il faut laisser les corps s’exprimer, zebbi !