Le « tourisme reproductif » : un business comme un autre sous le soleil espagnol
Photo de Alex Hockett sur Unsplash
Société

Le « tourisme reproductif » : un business comme un autre sous le soleil espagnol

Un commerce encore peu encadré par la loi sur fond de sélection génétique assumée et d’intrigantes pratiques financières.

« On m’a appelé pour me dire que c’était le moment. Le soir même, j’étais dans un avion pour Barcelone. Aussitôt arrivé, on m’a demandé de me masturber dans un tube, puis quinze minutes plus tard j’étais déjà sur la route du retour pour Paris. Prêt à retourner bosser le lendemain. »

Parfois, il faut être prêt à tout pour espérer avoir un enfant. C’est en tout cas le point de vue de François et de sa compagne après plusieurs années d’un douloureux parcours de procréation médicalement assistée (PMA) en France. Le processus, très long et lourd physiquement, a échoué à trois reprises pour le couple — quatre tentatives sont remboursées par la sécurité sociale. La faute à une infertilité commune et à des techniques bien moins avancées, et plus restreintes par la loi qu’il n’y parait en hexagone. En moyenne, seulement 48% des couples réaliseraient ici leur projet parental grâce à la fécondation in vitro (FIV), selon l’INED, et ce seulement « huit années après le début du traitement ». Les premières tentatives sont rarement les bonnes.

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Après des années de galère, François et sa femme décident donc de réaliser leur projet de devenir parents dans un « centre de fertilité », en Espagne. Ces centres, des cliniques privées qui ont pignon sur rue dans toutes les grandes villes du pays, proposent des méthodes de FIV plus radicales et couteuses que la PMA française. Plus efficaces aussi : « Elles ont vingt ans d’avance sur la science et la méthode », assure François.

La méthode en question : le « don d’ovocytes », qui correspond en réalité moins à un don qu’à la location de l’utérus d’une donneuse anonyme, pour la phase de fécondation avec le sperme du mari, avant que l’embryon ne soit retiré de son ventre puis transféré dans celui de la future mère (à un stade suffisamment avancé pour qu’il puisse continuer de se développer). La technique existe aussi en France mais elle n’y est pas rémunérée, et donc extrêmement peu pratiquée dans les faits, puisque le traitement à prendre et les opérations à subir sont conséquents pour la donneuse. « C’est un véritable sacerdoce », admet volontiers François.

Les Français sont ainsi les plus gros clients des cliniques espagnoles, dont les services sont généralement entièrement bilingues pour rassurer la clientèle. Selon la Société européenne d’embryologie et de reproduction humaine, nous représenterions même jusqu’à 40% de la clientèle dans certaines cliniques. Et selon le ministère de la Santé espagnol, en 2018, ce sont non moins de 3500 Françaises qui se sont rendus dans des cliniques de fertilité en Espagne. Un chiffre en augmentation constante tandis que l’infertilité, masculine notamment, est au plus haut.

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Mais cet eldorado de la fécondation in vitro a un coût : « 5150 euros pour la version avec un blastocyste garanti à l’arrivée [il s’agit d’un embryon au stade suffisamment développé pour être transféré, après cinq ou six jours], 8880 euros pour la version qui garantit au moins deux blastocystes », assure une assistance médicale de la clinique IVF, à Barcelone.

Le prix correspond à « la culture au stade d’embryon, la congélation et le maintient des embryons, les médicaments que doit prendre la donneuse, que vous devez financer, et le transfert du blastocyste de la donneuse vers la patiente », précise l’assistante médicale au téléphone. Sans oublier la rémunération de la donneuse pour ses efforts : environ 1000 euros, mais « il s’agit plutôt d’un dédommagement qui ne représente pas une énorme plus-value, car nous ne voulons pas en faire un business », nous rassure-t-on dans une autre clinique.

Afin de diminuer le prix conséquent pour leurs clients en quête de parentalité, certaines cliniques sont prêtes à conseiller d’étonnants tours de passe-passe financiers. L’une d’entre elles nous propose notamment, pour diminuer les couts des médicaments de la donneuse (des stimulateurs hormonaux qui rendent le processus plus efficace), de « les acheter en France avant de venir en Espagne, afin de se faire rembourser par la sécurité sociale ». Le gynécologue espagnol se charge alors d’éditer une ordonnance valable dans toute l’Union européenne, au nom de la patiente Française, pour que celle-ci puisse faire passer sa carte vitale en pharmacie. Sauf qu’il s’agit là non seulement de « détourner » un remboursement de la France vers l’Espagne, en faisant croire que le traitement est pour soi… mais aussi d’une pratique dangereuse, puisque des médicaments prescrits à une personne sont en fait ingurgités par une autre. Tout cela sous le contrôle consentant d’un professionnel de santé.

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Autre originalité peu attendue du don d’ovocytes espagnol : une sélection sur critères physiques et génétiques assumée dès le pas de la porte des cliniques de fertilité. « Le truc dingue, c’est quand il faut choisir la fille, raconte ainsi François. Nous, on n’intervient pas, on ne la verra jamais puisque la loi espagnole veut que le don soit anonyme. Mais on envoie des photos de ma chérie avec ses mensurations, sa taille, sa couleur de cheveux et d’yeux… Eux vont chercher dans leur catalogue la nana qui lui ressemble le plus physiquement. » Et ça marche ? « En fait, leur mantra, c’est de mentir le plus possible à ton futur gamin. Ça va jusqu’à nous laisser le choix du groupe sanguin de la donneuse, parce que en cours de biologie, quand l’enfant aura 12 ans et qu’on lui expliquera ce que sont les gènes récessifs et dominants, il se dira qu’il y a un problème si son papa ou sa maman est de tel ou tel groupe. Ils font tout pour trouver une fille génétiquement compatible. Comme ça, tu peux décider que tout ça n’a jamais existé, que ça a été trop dur et que ton enfant ne saura jamais », conclut-il.

La « compatibilité génétique » dont parle François, on en fait même des tests dans les cliniques espagnoles. À IVF, par exemple, il nous est demandé de passer un « geneseeker » (chercheur de gènes). Problème : ces examens sont strictement interdits en France par la loi bioéthique, sauf cas particulier, comme dans le cadre d’une procédure judiciaire, par exemple. Et ce pour plusieurs raisons, notamment le danger de voir exploiter ces données personnelles par un employeur ou un assureur, si on détecte une maladie génétique.

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« Pour contourner le problème, tu fais une prise de sang que tu envoies par UPS dans un laboratoire en Angleterre, et eux regardent ton ADN pour dépister environ 300 maladies génétiques ou prédispositions à ces maladies », explique François. De notre côté, notre conseillère en fertilité à IVF nous éclaire : « Comme ça, on se base sur votre caryotype [l’arrangement de nos chromosomes] en plus de votre phénotype [l’ensemble de nos critères physiques] pour vous trouver la donneuse la plus compatible et écarter le risque de maladies. »

La pratique controversée permettrait ainsi de contrôler au maximum ce que l’on attend « génétiquement » d’un nouveau-né. Chose certes rassurante pour les parents, mais flippante pour la diversité du patrimoine génétique humain au long terme ?

« Je conseille quand même de le faire. Je l’ai fait entre la donneuse espagnole et le donneur, mon mari. Le risque de maladie génétique chute drastiquement et c’est même une aide au diagnostic en France. Au troisième trimestre de ma grossesse, les médecins français ont suspecté une maladie génétique pour mon fils. Avoir la liste des maladies évitées par le geneseeker a été d’une grande aide pour eux et un soulagement pour moi », confie une jeune maman récemment rentrée d’Espagne.

Parfois, ce sont même les médecins de PMA Français eux-mêmes qui conseillent certaines cliniques espagnoles à leurs patients. Un business qui trouve donc ses ambassadeurs jusqu’en hexagone, et ne risque pas de s’éteindre si tôt.

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