coronavirus cité banlieue
Youri Gagarine, Asnières-sur-seine (92) -  Lionel BONAVENTURE / AFP
Société

Confinés au quartier

Ils ont moins de 30 ans, habitent dans des quartiers populaires et racontent leur confinement entre logement exigu, relations tendues avec la police et importance des réseaux sociaux.

Si nous avons perçu une chose depuis le début de l’épidémie de coronavirus, c’est que la crise sanitaire que nous vivons est un immense révélateur des inégalités sociales de notre pays. La situation dans les territoires les plus précaires n’échappe malheureusement pas à la règle. De fait, dans les quartiers populaires, le confinement va souvent de pair avec les galères de logement, les tensions avec la police, et l’impression d’être invisible dans les médias traditionnels. Mais la réalité est loin d’être partout la même. De la banlieue parisienne au nord de la France, j’ai demandé à quatre jeunes de moins de 30 ans comment ils vivaient cette période compliquée, ce qui les angoissait et comment ils s’occupaient. On y découvre des quotidiens divers, et cette impression de ne pas voir dans sa télé ce qu’on observe par la fenêtre.

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Yasmine, 23 ans, La Noé, Chanteloup-les-Vignes (78)

« Je suis chez moi avec ma mère, je ne suis pas sortie une seule fois à part pour jeter les poubelles. Je télétravaille, je suis mes cours à distance. Ça me rend folle. En temps normal, je suis toujours dehors. Chez moi, c’est juste un lieu où je dors. C’est en haut d’un bâtiment, il n’y a rien à faire, il n’y a pas de vue sur la mer. Et puis, il y a cette incertitude pesante, on n’a rien d’autre à faire que de regarder les informations, ça monte à la tête. Dans l’ensemble, ça me gonfle, je trouve ça anxiogène et révoltant même, parfois. Les infos sur le non respect du confinement dans les banlieues, ça m’a révolté. Dès les premiers jours, quand les journalistes se sont rués dans des quartiers comme Château-Rouge pour dire que les habitants de quartier ne savaient pas se comporter. Dans le même temps, les Parisiens partaient dans leurs maisons secondaires en bord de mer ou prenaient des apéros sur les berges, et les médias ont parlé d’insouciance. C’est un traitement à deux vitesses. Déjà que la situation est anxiogène, si en plus on se prend des infos comme ça…

« Les infirmières, les éboueurs, les caissières… J’ai l’impression qu’on les regarde pour la première fois »

La rupture avec les médias et les politiques est telle que ça a des conséquences. En bas de chez moi, il y a des petits qui sont dehors, j’ai envie de leur dire rentrez chez vous, mais d’un autre côté, j’essaie de les comprendre. En fait, il y en a plusieurs qui n’y croient pas, ça me rend triste. Ma mère m’a demandé plein de fois quels étaient les symptômes et les gestes barrières, et pour moi c’est la preuve que les infos et les discours gouvernementaux n’atteignent pas tout le monde. Heureusement, il y a des initiatives super, comme Banlieue Santé avec son opération "En mode confiné", qui traduit les gestes barrières dans toutes les langues. Mais pourquoi c’est une asso qui y pense et pas le gouvernement ? Toutes ces inégalités, que ce soit dans le traitement médiatique ou ailleurs, sont exacerbées. Tous ceux qui sont au front, les caissiers, les éboueurs, les infirmières…. J’ai l’impression que c’est comme si on les regardait pour la première fois. »

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Youri Gagarine, Asnières-sur-seine (92) - photo prise par Arnold.

Mariam, 15 ans, Belencontre, Tourcoing (59)

« Pendant le confinement, j’ai l’impression d’avoir deux personnalités. Parfois, je ne vois pas passer le temps. Parfois, je broie du noir, quand je regarde la télé, surtout. Dès que mon père allume la télé, on le supplie tous d’éteindre tellement ça nous fait peur. A côté de ça, sur les réseaux, il y a plein de fake news. Sur Snapchat, dans les stories populaires, ceux qui avant faisaient des vidéos humoristiques envoient maintenant plein d’informations non vérifiées. Par exemple, cette vidéo où on voit des chars de l’armée, de nombreuses personnes l’ont partagée en disant qu’ils préparaient une guerre à la place de l’épidémie. Il y a de fortes chances que ce soit faux donc j’ai arrêté de regarder.

« Dans mon quartier, c’est calme. Le confinement a montré que les gens étaient solidaires ici »

Au réveil, je regarde le site It’s Learning pour voir si mes professeurs ont envoyé des devoirs. Ils nous donnent beaucoup de travail. Ce qui est chaud, c’est qu’ils n’envoient pas forcément les exercices pendant les heures de cours, ils envoient ça aléatoirement, dès qu’ils ont fini de le faire, j’imagine. C’est encore plus difficile de s’organiser que d’habitude. Et c’est impossible de leur poser des questions. Je trouve que c’est une mauvaise idée l’école à la maison. Déjà, je suis distraite par n’importe quoi, mon chat, mon téléphone… Quand je me pose devant mon cahier, j’ai toutes ces questions par rapport à l'épidémie qui m’envahissent. Je suis tellement fatiguée mentalement que les devoirs sont secondaires. Mais les profs continuent à être sévères, à nous mettre des zéros.

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Sinon, je réalise des défis que mon prof de danse m’envoie, je fais du sport, des vidéos… J’ai vu le film turc qui fait le buzz sur les réseaux [7. Koğuştaki Mucize, NDLR], j’ai pleuré pendant des heures. Dans mon quartier, c’est calme. Le confinement a montré que les gens étaient solidaires ici. Le centre social a appelé pour avoir de nos nouvelles et savoir si on avait besoin de quelque chose. Pour l’instant ça va, mais je stresse pour la fin du confinement. Ma mère dit que si le lycée ne fait pas des tests à tous les élèves, elle ne me laissera pas y aller. »

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Arnold, chez lui.

Arnold, 23 ans, Youri Gagarine, Asnières-sur-seine (92)

« Je suis tout seul dans mon appartement. A Asnières, on est sous couvre-feu, on n’a pas le droit de sortir après 22 heures. La police tourne dès 19 heures et elle contrôle. J’ai déjà esquivé cinq contrôles en disant que je rentrais du travail. A chaque fois, les policiers bégaient, ils sont étonnés qu’un mec comme moi ait une carte de presse. Si je ne l’avais pas, je ne sais même pas ce qui se serait passé… Il y a de l’abus. Un des policiers qui m’a contrôlé m’a même dit "c’est tolérance zéro, on contrôle comme on veut, et on met autant d’amendes qu’on veut". Certains policiers sont compréhensifs, mais pas tous. J’ai l’impression qu’ils en profitent, qu’il y a plus de bavures que d’habitude. Ils sont peut-être sous tension, mais il y a des excès. Je sais qu’il y a des gens dehors, mais il ne faut pas abuser. Il n’y a pas grand-chose à faire dans un quartier, alors quand tu es dans une famille nombreuse et que tu ne peux pas sortir… Forcément, les gens ont plus envie de sortir que s’ils étaient dans un pavillon à la campagne. Quand tu as trois ou quatre frères et sœurs et que t’es enfermé toute la journée, tu pètes un câble. Les conditions de vie ne sont pas les mêmes.

« Je ne vois pas de couvre-feu à Neuilly ou à Paris »

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Le couvre-feu ? Je trouve que ça ne sert à rien. Ce n’est pas parce qu’on ne sort pas le soir que ça va changer quoi que ce soit. Ou alors, si vous voulez être réglo, vous faites un confinement total, pas uniquement pour les habitants de certains quartiers. Je ne vois pas de couvre-feu à Neuilly ou à Paris. Quand j’ai vu les bavures, je voulais partir avec ma caméra et filmer comme je le fais d’habitude. Mais avec le confinement, c’est trop risqué. Je les connais les policiers, même avec la carte de presse, ils peuvent te casser ta gueule. Du coup, une de mes principales occupations, c’est la console et GTA 5. Et je fais du montage pour mon média indépendant, L’Echo des banlieues. Je suis inquiet parce que ma famille est partie au bled, au Cameroun, pour être avec toute la famille. Ils ont été mis en quarantaine à l’hôtel. Chaque jour, j’appelle pour savoir comment ils s’en sortent. »

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Un ami d'Arnold. Youri Gagarine, Asnières-sur-seine (92)

Fatoumata, 27 ans, Bougimonts, Les Mureaux (78)

« J’habite dans un logement social, un F2. Le confinement… On galère. On a une chambre et un salon, avec mon mari et nos trois enfants. On galérait déjà avant le confinement, mais maintenant c’est encore pire car on est enfermés tous les cinq. Le matin, tout le monde est obligé de se réveiller en même temps car il n’y a pas de place. Tout a changé dans notre quotidien. Les enfants passaient la journée à l’école, nous on partait au boulot. Maintenant, on n’a plus d’intimité. L’après-midi, si mon mari veut aller se reposer, il doit aller s’allonger dans la voiture. C’est insupportable pour moi. Les enfants, c’est compliqué pour les siestes, et les devoirs n’en parlons pas, c’est catastrophique. Chez nous, on n’a pas la place pour une imprimante. Les enseignants envoient quelqu’un pour nous donner les devoirs en main propre, mais ça m’embête pour eux, et c’est dangereux. Mais au moins, les devoirs, ça occupe les enfants.

« On nous oublie encore plus que d’habitude »

Pour les courses, mon mari sort et imprime son attestation au Taxiphone. Avec les enfants, on n’est jamais sortis. J’ai trop peur d’attraper la maladie, ce serait encore pire à la maison. En plus, notre appartement n’est vraiment pas idéal. Récemment, on a eu plusieurs dégâts des eaux, et le bailleur n’a rien fait. On aurait voulu changer d’appartement mais le problème, c’est que notre demande de logement est stoppée à cause du confinement. Heureusement, on se sent soutenus dans cette épreuve par l’association Droit au logement et le collectif des locataires des Mureaux. Car au journal télévisé, on entend les décès, les cas confirmés, mais on entend pas la vie des personnes dans notre cas. On nous oublie encore plus que d’habitude. Vivre confiné, c’est pas facile, mais vivre confiné dans un petit appartement, c’est encore pire. »

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