coronavirus pandémie
IIllustration : Giovanni Spera
Société

Ce que l'on peut tirer des pandémies passées

Vous vous demandez comment le coronavirus pourrait changer le monde ? Regardez l'histoire.
Niccolò Carradori
Florence, IT
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Peste antonine, peste noire, grippe espagnole, grippe de Hong Kong… L’humanité a été confrontée à au moins treize pandémies avant que le Covid-19 ne soit déclaré comme tel par l'Organisation mondiale de la santé le 11 mars 2020. Et souvent, ces événements catastrophiques ont entraîné de profonds changements sociaux et politiques.

L'incertitude est l'un des principaux moteurs de l'anxiété que beaucoup ressentent face à l'état actuel des choses. Soudain, notre monde semble très différent de ce qu'il était. Il est tout à fait naturel de se demander à quoi ressembleront les choses lorsque nous serons tous autorisés à nous serrer la main, à nous embrasser et à voyager à nouveau. Est-ce que quelque chose va changer structurellement dans notre mode de vie, ou allons-nous immédiatement revenir à nos anciennes habitudes ? Bien qu'il soit difficile de le prévoir, il est utile de se pencher sur l'histoire pour voir comment ces événements nous ont façonnés dans le passé.

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J'ai discuté de cette idée avec Barbara Gallavotti, biologiste, journaliste scientifique et auteure du livre Le Grandi Epidemie, sur l'impact des maladies infectieuses à grande échelle sur l'humanité. Gallavotti pense que l'histoire peut offrir des perspectives. « Nous devons comprendre que la situation actuelle n'est pas du tout comparable à ce que nous avons vécu auparavant, dit-elle. Cette fois, notre réaction a été infiniment plus rapide. Nous n'avons pas besoin de remonter trop loin dans le temps, il suffit de penser au VIH/sida dans les années 1980. » La pandémie du sida, qui a tué 32 millions de personnes entre 1981 et 2018, a provoqué une nouvelle discrimination à l'encontre des groupes minoritaires qu'elle a le plus touchés : les homosexuels et les consommateurs de drogues injectables. Il a fallu attendre sept ans avant que la Food and Drug Administration américaine n'approuve le premier traitement contre la maladie.

En comparaison, les scientifiques avaient déjà séquencé le génome du coronavirus le 10 janvier et la course est lancée pour mettre au point le premier vaccin. Le fait que nous soyons mieux équipés et – tiens donc ! – plus motivés pour résoudre l'actuelle pandémie de coronavirus ne rend pas la tâche moins urgente. Mais au cours du mois dernier, nous avons entendu de nombreux arguments disant que notre société craint la mort plus qu’elle ne le devrait, ou que nous n'avons peur que parce que notre niveau de vie est devenu très élevé. Gallavotti estime que ces récits, bien que visant à rassurer, peuvent être nuisibles. « Nous parlons tout le temps de la façon dont le coronavirus "affecte les personnes âgées", dit-elle, comme beaucoup parlaient autrefois du VIH qui affectait les homosexuels et les toxicomanes. À l'époque, cela a minimisé le sentiment d'urgence et causé davantage de décès. »

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« Je pense qu'il est peu probable que la mondialisation soit remise en question, de même que la facilité avec laquelle les gens se déplacent. Les infections étaient déjà répandues dans le monde entier avant que nous ne nous déplacions autant » – Barbara Gallavotti, biologiste et journaliste scientifique

Aux États-Unis, l'administration Reagan a d’ailleurs suggéré de réduire les dépenses liées au sida en 1985 et a largement ignoré sa propagation rapide, jusqu’au moment où l'acteur hollywoodien Rock Hudson a contracté le virus. En 1987, après la mort de ce dernier, Ronald Reagan a fait sa première mention publique de la pandémie dans un discours : « Il est important que l'Amérique ne rejette pas ceux qui ont la maladie, mais qu'elle s'occupe d'eux avec dignité et gentillesse. »

En terme de communication, Gallavotti pense que nous pouvons apprendre beaucoup des erreurs fatales commises lors de la grippe espagnole, qui a tué au moins 50 millions de personnes entre 1918 et 1920. « Dans certains États américains, les autorités ont essayé de minimiser la situation, et les infections ont augmenté », dit-elle. À San Francisco, cependant, les politiciens et les responsables médicaux ont uni leurs forces, rendant les masques obligatoires et exhortant les gens à « sauver leur vie ». Toute personne trouvée sans masque risquait une amende ou même la prison. En communiquant très tôt sur la gravité de la situation, la ville a été en mesure d'éviter un pire sort.

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Tout au long de l'histoire, les crises ont également entraîné des changements sociétaux imprévisibles. Lors de la crise de la fin du Moyen Âge, dans l'Europe des XIVe et XVe siècles, des épidémies comme celles de la typhoïde et de la peste noire (1347-1351) ont créé un tel vide dans la population active que de nombreux travailleurs ont pu exiger des salaires plus élevés – bien que certains experts affirment que tout argent supplémentaire a été perdu en raison de l'énorme inflation de l'époque. Certains attribuent même à la peste une révolution sociale et culturelle qui a conduit à l'ère de la Renaissance, et des études ont montré qu'après la peste, les régimes alimentaires se sont améliorés, tout comme l'espérance de vie. Gallavotti souligne que la peste noire, qui a anéanti jusqu'à 60 % de la population européenne à l'époque, était d'une tout autre ampleur que le coronavirus. « Mais ces situations d'urgence nous font réfléchir », dit-elle.

Il est également naturel de se demander si les débats que le coronavirus a suscités sur la mondialisation, la pollution et certains systèmes de soins de santé vont réellement changer la donne. « Je pense qu'il est peu probable que la mondialisation soit remise en question, de même que la facilité avec laquelle les gens se déplacent, dit Gallavotti. Les infections étaient déjà répandues dans le monde entier avant que nous ne nous déplacions autant. La peste noire est apparue en Asie et s'est répandue en Europe, tout comme le coronavirus. » Selon elle, le problème le plus urgent est l'intervention humaine sur la nature – en particulier l'agriculture. Les transmissions de l'animal à l'homme ont été à l'origine de l'émergence du SRAS, du virus Ebola, de la grippe aviaire et du coronavirus, et la pandémie actuelle a mis les marchés d'animaux vivants sous les radars. « Nous devons comprendre que l'omniprésence de l'homme dans la nature ne nuit pas seulement à l'environnement, elle nous met aussi en danger », dit-elle.

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Quant à l'importance d'un filet de sécurité économique : « Un État-providence qui garantit des soins de santé pour tous est fondamental, poursuit Gallavotti. Le développement technologique fait vraiment une différence aujourd'hui par rapport au passé. » Après la grippe espagnole, les gouvernements ont commencé à mettre en place un système de santé universel, en commençant par la Russie, puis le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. Certains pays ne disposent toujours pas d'un système de santé universel adéquat, mais cela pourrait changer – une enquête de mars a révélé que 40 % des Américains étaient plus enclins à soutenir le système de santé universel après l'émergence du coronavirus.

Gallavotti fait valoir que les pandémies ont souvent montré que les humains sont bornés. « Nous avons été avertis à plusieurs reprises du risque de pandémie lors des épidémies de SRAS et de grippe porcine au début des années 2000, dit-elle. Ces avertissements n'étaient pas non plus des boules de cristal : ils étaient basés sur des données réelles. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à ce qui compte vraiment. J'espère que cela nous aidera à redéfinir nos priorités. »

Aucun livre d'histoire ne peut nous dire comment la crise du coronavirus va se terminer. Mais nous pouvons réapprendre à apprécier des choses que nous considérions comme acquises jusqu'à récemment : les soins de santé universels, le progrès scientifique et le respect de la nature.

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