Santé

Quand la France s'enflammait pour un médecin aux méthodes non conventionnelles

Trois siècles avant le Professeur Raoult, le magnétiseur Franz-Anton Mesmer défrayait déjà la chronique en divisant le corps médical et le pays.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
MESMER

Le 23 avril dernier, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) s’adressait à ses membres via un communiqué un poil sibyllin pour le profane dans lequel on pouvait quand même lire des choses somme toute assez logiques de type : « Il serait inadmissible, dans le contexte, de susciter de faux espoirs de guérison [chez les malades du Covid-19]. » Dans leur ligne de mire ? Les « apprentis sorciers » qui tenteraient de soigner des patients atteints du coronavirus avec des cocktails de médicaments exotiques aux effets potentiellement dévastateurs. Jean-Marcel Mourgues, vice-président du CNOM, justifiait cette intervention à l’AFP par « les multiples signalements qui nous ont été rapportés de traitements non éprouvés ».

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Le CNOM, qui pensait peut-être à Nicolás Maduro ou aux producteurs de roquefort, ne donne pas de noms. Mais il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour que certains se sentent visés et se vexent. Le Professeur Didier Raoult, éminent microbiologiste et directeur général de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) en maladies infectieuses de Marseille a répondu sur Twitter :

Si vous avez vécu le confinement à fond et que vous ne matez pas trop les infos, le Professeur Raoult soutient, depuis l'apparition de la pandémie dans l’Hexagone, que les malades du Covid-19 devraient être soignés avec une combinaison d’hydroxychloroquine, médicament anti-inflammatoire, et d’azithromycine, un antibiotique utilisé pour lutter contre les infections des voies respiratoires. Un traitement qui défraie la chronique puisque son efficacité n’est démontrée par aucune autre étude que celles publiées par son avocat, le médecin susnommé. Des petits arrangements avec l’histoire que Didier Raoult accompagne d’un nombre toujours croissant d’interventions médiatiques, déclenchant peu ou prou une bataille d’Hernani au sein du corps médical, entre les pro, les anti, les classiques et les modernes.

Tout ce pataquès n’a pas empêché Raoult de devenir une figure populaire, sorte de Panoramix providentiel, pour de nombreux Français. Les groupes de soutien ont fleuri sur les réseaux sociaux comme les bottes de muguet un 1er mai. Certains malades se déplaçant même jusqu’à l’IHU, persuadés que le protocole de soins prodigués était le seul capable de garantir leur survie – et aussi parce que l’Institut était un des premiers à proposer des tests de dépistage du Covid-19 à tout un chacun.

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« Une énergie qui se manipulerait grâce à des techniques mises au point par Mesmer, persuadé de pouvoir la canaliser et la faire circuler dans le corps du malade »

Décrit successivement comme un Messie, un Robin des Bois (sic), un renégat fort en gueule, charismatique, iconoclaste et controversé, Raoult déclenche aujourd’hui une hystérie qui n'a peu d'équivalent dans l'histoire de la médecine. Comme on ne comprend jamais mieux le monde d’aujourd’hui qu’en se penchant sur celui d’hier, on a cherché des traces de pareil engouement et ressorti un nom : celui de Franz-Anton Mesmer, magnétiseur qui débarque en France à la fin du XVIIIe siècle.

Mesmer est né en Allemagne en 1734. Après avoir étudié la philosophie, la théologie et le droit, il se tourne vers la médecine et rédige une thèse intitulée De l’influence des planètes sur les corps humains. On ne connaît pas exactement la date de son épiphanie mais Mesmer croit en l’existence d’un « fluide universel aux pouvoirs thérapeutiques ». En gros, un agent invisible à l’intérieur de chacun de nous capable, quand il est manipulé par les bonnes personnes, de soigner.

Dans Le guérisseur des Lumières, ouvrage de Frédéric Gros qui retrace la vie de Mesmer à travers une correspondance imaginaire, l’auteur prête au médecin ces propos au sujet du fluide : « Principe d’une énergie élémentaire traversant les corps, la terre, les étoiles, sans laquelle tout se fragmenterait ou irait en poussière, et qui fait ses plis en nous pour nous faire aimer et vivre ». Une énergie qui se manipulerait grâce à des techniques mises au point par Mesmer, persuadé de pouvoir la canaliser et la faire circuler dans le corps du malade. La souffrance résulterait d’un mauvais équilibre et ne pourrait être neutralisée qu’à travers des « crises » salvatrices provoquées par le médecin.

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Ce fluide pourrait être l’amalgame de plusieurs théories en vogue à l’époque, de personnages parfois un peu en avance sur leur temps, parfois en retard, toujours à la frontière entre le génie médical et le charlatanisme. Mesmer s’inspire du rapport à la nature du médecin suisse Paracelse, des aimants utilisés par l’astronome hongrois Maximilian Hell ou des exorcismes pratiqués par apposition des mains du prêtre autrichien Johann Joseph Gassner dont il est témoin. « Toute une science suspendue à ces mouvements dessinant au-dessus des corps la figure des caresses réparatrices, suspendue à ces impositions de paumes qui exigeaient qu’on calcule l’intensité de la pression, le degré d’écartement des doigts et surtout, surtout le point exact du corps où opérer la translation », écrit Frédéric Gros qui dresse un parallèle entre Mesmer et Mozart : une carrière précoce qui bouleverse l’ordre établi et n’est pas particulièrement bien accueillie par la corporation – maîtres de musique ou chanteurs pour l'un, docteurs et professeurs de médecine pour l'autre.

Mesmer commence à pratiquer à Vienne et les rumeurs de plusieurs guérisons lui valent une renommée assez fulgurante. Il finit cependant par s’attirer les foudres de la faculté de médecine locale qui le pousse à s’installer à Paris où il publie en 1778 son Mémoire sur la découverte du magnétisme animal. Dans la capitale, on se divise déjà entre partisans et détracteurs mais la cote de l'Allemand ne cesse de monter.

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« Si le Professeur Raoult est rapidement devenu une égérie des complotistes, Mesmer en sera lui une cible »

L’historien américain Robert Darnton raconte même dans Mesmerism and the End of the Enlightenment in France que le « mesmérisme » est un temps soupçonné de radicalité. Mesmer n’est-il pas cet homme dévoué et sincère qui débarque à Paris avec une découverte pouvant mettre fin à la souffrance humaine mais qui se heurte au pouvoir en place ? Son système ne menace-t-il pas les intérêts des puissants ? Mesmer lui-même ne se tourne-t-il pas vers le peuple, le prenant à témoin après avoir été humilié par l’Académie des sciences et la Société royale de médecine ? Son harmonie universelle ne fait-elle pas écho aux aspirations des futurs révolutionnaires ?

Contrairement au Professeur Raoult qui semble faire peu de cas de l’avis de ses pairs, Mesmer aura cherché leur assentiment toute sa vie. La pratique du magnétisme animal est étudiée par deux commissions royales – une menée, notamment par Benjamin Franklin ou Antoine Lavoisier qui estime que « le moyen le plus sûr pour constater l’existence du fluide magnétique animal, serait de rendre sa présence sensible – mais il n’a pas fallu beaucoup de temps aux commissaires pour reconnaître que ce fluide échappe à tous les sens ». Le fluide est donc déclaré inexistant. Le bruit circule même que des pratiques lascives ont été observées dans les chambres de crise et des témoins rapportent des émotions coupables chez les femmes qui se font toucher.

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En 1780, Augustin Roussel de Vauzesme prononce à la faculté de médecine de Paris un jugement que n’aurait pas renié le CNOM :
« De tous les temps, il a existé des gens à secret, possesseurs de recettes miraculeuses pour la guérison des maladies : et le public, ignorant en médecine, a toujours été la dupe des vaines promesses de ces aventuriers. »

Pourtant, on ne s’est jamais autant pressé au cabinet de Mesmer. La demande est si forte que la technique du célèbre « baquet » est inventée – une cuve de bois tapis de bouteilles d’une eau magnétisée par Mesmer, disposées le goulot vers le centre, augmenté de verre pilé, de soufre, de limaille, le tout recouvert d’eau, d’où s’échappent des tiges de fer courbées que les patients installés autour de la cuve peuvent actionner à leur guise en plaçant l’extrémité sur la partie souffrante.

Le succès de Mesmer est tel qu’il inspire d’autres praticiens. Son ancien disciple, Charles Deslon, qui avait tenu le compte exact de ses guérisons dans Observations sur le magnétisme animal, se met à son compte et adapte les préceptes de Mesmer à sa sauce, au grand dam de son ancien mentor qui, fatigué par les humiliations, lui a laissé les coudées franches en quittant Paris. On raconte que Marie-Antoinette tentera en vain de retenir Mesmer, promettant une importante pension et la promesse d’un lieu où installer sa clinique – un aréopage de princesses et de demoiselles d’honneur fréquentaient alors les fameux baquets.

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Les théories de Mesmer seront suivies avec enthousiasme jusqu’à la moitié du XIXe siècle. Certains détourneront le magnétisme vers d’autres sphères, le marquis de Puységur et son « somnambulisme artificiel » donneront in fine l’hypnotisme. Retiré en Belgique, Mesmer écrira un Précis historique des faits relatifs au magnétisme animal qu’il adressera aux « compagnies savantes du monde entier » dans l’espoir d’une validation même tardive.

Dans son livre, Frédéric Gros prête au médecin cette saillie : « La secte des médecins m’a condamné, eux qui n’ont jamais protégé que leur salaire, leur prestige et leur titre. Moi je guérissais, monsieur, ils ne font que soigner. Et encore, ce qu’ils appellent soigner, c’est rendre dépendants les malades de leurs drogues et de leur morale ». Elle rappelle un peu les relations qu’entretient le Professeur Raoult avec les institutions – dans Paris Match, le microbiologiste vient par exemple de comparer le conseil scientifique à Philippe Pétain.

Si le Professeur Raoult est rapidement devenu une égérie des complotistes, Mesmer en sera lui une cible, régulièrement cité comme preuve de l’existence de « démonolâtres » en guerre contre l’Église et à l’origine de la Révolution. Des accusations portées par l’ancien jésuite Jean-Baptiste Fiard dans une brochure publiée au début du XIXe siècle (qui lui apporte un soutien bien involontaire en affirmant la réalité des guérisons opérées par Mesmer) ou par l’abbé Augustin Barruel qui avait déjà exposé dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du Jacobinisme une théorie selon laquelle la Révolution avait été le fruit d’un complot mené par les templiers, les rosicruciens, les francs-maçons, les illuminati, les jacobins et le mesmérisme.

Longtemps moqué et accusé de charlatanisme, Mesmer bénéficiera d’une reconnaissance post-mortem. Jean-Martin Charcot puis Stefan Zweig dans son essai La guérison par l’esprit : Mesmer, Mary Baker-Eddy, Freud en feront un précurseur dans le traitement des maladies nerveuses, le considérant comme le premier médecin ayant constaté l’impact de la présence, la volonté et les paroles d’un individu sur les patients. Mais ça, c’était jusqu’à ce qu’Eric Normandin, hypnotiseur canadien, décide de prendre Messmer comme nom de scène et sape tout ce travail de réhabilitation.

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